Wikileaks, la crédibilité perdue de Sarkozy
Lundi, le site Wikileaks lâchait sa nouvelle bombe médiatique : 250 000 télégrammes et notes de la diplomatie américaine de 2005 à 2010 ont été confiés à 5 journaux, dont le Monde en France. Pendant des semaines, des centaines de journalistes les ont triés et analysés. Et ce lundi 29 novembre, ce fut le grand déballage, par salve. Toute la semaine, les révélations se sont succédées. Les pouvoirs protestent, enragent, menacent. Hillary Clinton s'est excusée auprès d'une douzaine de chefs d'Etat. François Baroin explique qu'une société transparente serait totalitaire. Wikileaks perd l'un de ses hébergements et se réfugie en France, son fondateur est poursuivi dans une affaire de « sexe par surprise » qui semble monter de toutes pièces. Les dommages apparaissent considérables.
En France, la crédibilité de Nicolas Sarkozy en a pris en coup. Les compte-rendus de réunions officielles ou d'anecdotes vécues des diplomates américains ne sont pas tendres avec Sarkozy. Et ces jugements apparaissent d'autant plus sévères qu'ils sont sans arrière-pensée : Sarkozy est par ailleurs loué pour son atlantisme débridé, « le président le plus pro-américain depuis la seconde guerre mondiale » est totalement acquis à toutes les causes de l'Oncle Sam, y compris les pires comme la guerre en Irak. Et pourtant, les diplomates américains ne se gênent pas pour le dépeindre comme « irritable », « imprévisible », « impatient » dans ses décisions, discourtois même avec les alliés traditionnels de la France (comme le Maroc), « autoritaire » avec ses collaborateurs, instable, et effroyablement susceptible. Déstabilisé par son divorce avec Cécilia, il exhibe quand même sa troisième épouse Carla pour « pour promouvoir les intérêts nationaux de la France au Brésil.»
Parle-t-on vraiment du président de la cinquième économie du monde ?
Les mémos publiés révèlent aussi non-dits et mensonges : en 2005, Sarkozy annonça à un diplomate américain qu'il sera candidat à la présidentielle. Même en France, c'était un secret de Polichinelle. Mais pendant les 16 mois qui suivirent, Sarkozy a tout de même joué une grande mascarade de fausses hésitations en primaires trafiquées, jusqu'en janvier 2007 et son meeting monstre à Paris, Porte de Versailles, pour plébisciter sa candidature.
Plus grave, le même Sarkozy, pourtant ministre de l'intérieur d'un gouvernement s'opposant à l'intervention américaine en Irak depuis 2003, exprime publiquement son souhait d'envoyer des troupes françaises. Du côté de l'administration Bush, on applaudit. Plus grave encore, les coulisses de la libération de Clotilde Reiss nous sont dévoilées : cette jeune Française, interprète, avait été arrêtée en emprisonnée en Iran en juillet 2009, puis relâchée mais retenue à l'ambassade de France jusqu'en mai 2010. En France, l'Elysée fit croire que la Syrie avait joué un rôle déterminant. Les médias relayèrent l'importance de ces efforts syriens... pourtant inexistants. En coulisses, le propre conseiller de Sarkozy dans cette négociation expliquait à ses interlocuteurs américains que ni Sarkozy ni personne à l'Elysée ne savait si le président syrien Bachar Al-Assad, nouvel ami du moment, avait fait quoique ce soit d'utile dans cette affaire. Mais il fallait faire croire au bon peuple de Sarkofrance que le rapprochement entamé depuis 2007 avec ce dictateur portait enfin ses fruits.
Vendredi, Eric Besson, ministre de l'industrie et de l'économie numérique, a demandé au conseil général de l'Industrie, de l'Energie et des Technologies (CGIET), de mettre fin à l'hébergement du site WikiLeaks en France. L'ancien ministre des expulsions n'a perdu aucun de ses sales réflexes. Il aurait dû accompagner Jean-François Copé, le nouveau secrétaire général de l'UMP, parti en Chine renouveler son partenariat avec le Parti Communiste Chinois. La Chine est un pays modèle en matière de contrôle du Web.
Karachigate, le scandale d'Etat
Autre affaire, autre trouble. Le Karachigate change de nature. De multiples procès-verbaux d'auditions, tant devant la mission parlementaire de 2009 (Balladur, Léotard) qu'auprès des juges Renaud Van Ruymbeke (Villepin, Mazens) ont été publiés cette semaine. Et l'on découvre peu à peu une immense affaire d'Etat, bien loin de la « fable » annoncée par Nicolas Sarkozy en juillet 2009. D'ailleurs, à l'Elysée, la tactique de défense a changé depuis 10 jours. Il faut protéger le patron.
L'étau s'est d'abord resserré autour de François Léotard, ministre de la Défense dans le gouvernement Balladur. L'un de ses conseillers de l'époque, Renaud Donnedieu de Vabres a été pointé du doigt comme intermédiaire clé par Patrice Molle, ex-dircab d'Hervé Morin. Devant les députés, en novembre 2009, Léotard accusait aussi le même Morin d'avoir participé aux tractations pakistanaises. Ce dernier dément. Cette fine équipe balladuro-centriste est désormais lâchée en pâture aux enquêteurs et à la presse comme les nouveaux « présumés coupables » de l'affaire. Ils sont notamment désignés comme responsables d'avoir imposé deux intermédiaires inutiles dans la vente des sous-marins au Pakistan. Au passage, on oublierait presque que l'ami de trente du président actuel, Brice Hortefeux, passe pour un proche de l'un de ses intermédiaires, et qu'il a accomplit de nombreux voyages en Arabie Saoudite sans rapport évident, selon Villepin, avec ses fonctions officielles.
Secundo, différents témoignages publiés cette semaine ont révélé que le soupçon de commissions et de rétrocommissions en faveur du camp Balladur concernait aussi, et surtout, les contrats militaires conclus à la même époque avec l'Arabie Saoudite : quelques 288 millions d'euros de commissions étaient promis au réseau K, ces deux intermédiaires imposés par le gouvernement Balladur dans la cession des sous-marins au Pakistan. Au final, le Point a précisé que ce réseau K n'aurait touché que 86 millions d'euros, dont 53 millions sur les contrats saoudiens, et que ces commissions n'étaient pas destinées à des Saoudiens : où est donc parti l'argent ?
Tertio, la défense sarkozyenne s'est enrichie d'un article du Figaro. Le quotidien a tenté de démontrer que Nicolas Sarkozy, s'il était bien au courant du contrat pakistanais et de ses commissions, y était hostile jusqu'à l'été 1994. Ministre du budget, il a pourtant validé le volume de commissions quelques mois plus tard.
Chirac, Villepin, Sarkozy, Balladur ou Léotard sont contraints, quinze ans après les faits, à rejouer la guerre des droites. Tous marchent sur des oeufs, tous craignent l'emballement, la confession de trop, le témoignage imprévu qui peut transformer l'affaire en scandale incontrôlable. Quand Léotard explique, voici un an, qu'il croit au lien entre l'attentat de Karachi et l'arrêt du versement des commissions décidé par Jacques Chirac, Villepin dément, en argumentant que n'étaient visés que des corrompus non pakistanais.
Social, la crise qui dure
Une vague de froid et de neige, depuis 8 jours, suffit à rappeler, comme chaque année, l'ampleur de la précarité en Sarkofrance. Benoist Apparu, le tout jeune secrétaire d'Etat au Logement et aux Sans-Abris s'est précipité sur les plateaux de radio et de télévision, avant que la polémique n'enfle trop après les premiers décès pour cause de froid. Samedi, une « chômeurs-pride » était organisée à Paris, histoire de rappeler symboliquement que le chômage reste massif et mal indemnisé.
Cette polémique est aggravée par les menaces explicites qui pèsent sur la Sécurité sociale. Mercredi après-midi, Nicolas Sarkozy parlait de la médecine de proximité, lors d'une table ronde organisée à Orbec, dans le Calvados, avec « les professionnels de la santé ». En fait, Sarkozy s'était choisi un petit patelin de 2 500 âmes, équipé d'une maison de santé avec 4 médecins, et un panel de gens du coin. Il avait l'avantage. Les questions, rares pendant les 89 minutes de la rencontre, furent polie. Sarkozy pouvait parler sans crainte d'être contredit. Ces panels excluent toujours les contestataires. Ainsi pouvait-il s'indigner tranquillement que les urgences hospitalières soient engorgées. Aucun urgentiste n'était là pour lui rappeler que des années de déremboursements et franchises médicales avaient poussé les plus précaires aux urgences pour des soins même minimes. Sur place, Sarkozy a repris l'idée d'une tarification à tiroirs : paiement à l'acte, supplément forfaitaire pour des actes spécifiques, et même bonus sur objectifs de santé publique. Cette modularité de la facturation médicale, c'est-à-dire faire payer plus cher en fonction de l'ampleur des soins et du diagnostic, est une ancienne lubie. Et pas un mot sur une éventuelle modularité en fonction des revenus du patient, ou sur la résurgence de maladies hier disparues comme la jaunisse du nourrisson.
D'interventions en déclarations, de rapports en recommandations, on comprend aussi mieux le dessein de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de la dépendance. Ce sera son grand chantier social de la fin de son mandat, nous a-t-il promis. En fait, l'opération, lancée le 26 novembre par Roselyne Bachelot, s'appuie sur quelques impostures : avec la création annoncée d'une cinquième branche de la Sécu, Sarkozy veut nous faire croire que la dépendance n'est pas traitée aujourd'hui. Il place l'assurance privée obligatoire au coeur de ses propositions. Le 26 novembre dernier, Bachelot a quasiment exclu le recours aux successions, comme la hausse des cotisations sociales : où trouvera-t-on l'argent nécessaire pour financer la dépendance dont le coût devrait passer de 22 à 30 milliards d'euros d'ici quelques années ? Via une assurance privée et obligatoire. Chez Malakof-Médéric, dirigée par Guillaume Sarkozy, frère de Nicolas, on se frotte les mains.
Euro, l'impasse européenne
Le weekend dernier, Nicolas Sarkozy a tenu à faire savoir qu'il s'était entretenu avec tous ses collègues européens de la crise irlandaise. Dimanche, les ministres des Finances de la zone euro et celui du Royaume Uni tombait d'accord sur un plan d'aide et la pérénisation du Fonds de soutien de la zone euro, mis en place en juin dernier. Sarkozy a même accepté l'idée allemande d'une contribution du secteur privé. L'Irlande va recevoir 85 milliards d'euros pour financer sa dette. Dès lundi, Christine Lagarde relaye la satisfaction officielle.
L'opération tourna court. Dès lundi, la spéculation reprend, cette fois-ci contre le Portugal et l'Espagne. Christine Lagarde s'agace qu'on compare la France à ses voisins fragiles. Jeudi, la BCE est contrainte d'annoncer la poursuite des rachats d’emprunts d’Etat et l'extension des allocations illimitées pour les banques jusqu'à fin mars 2011. Et vendredi, les mauvais chiffres du chômage américain ont boosté l'euro contre le dollar. Un répit ? Sarkozy lâche rapidement un communiqué de presse, alors qu'il est en vol pour l'Inde pour un voyage de 4 jours: il se félicite « que la zone euro, en améliorant le Pacte de stabilité et de croissance et en se dotant de mécanismes de gestion de crise, se soit engagée dans la voie de la réforme.»
Samedi, Nicolas et Carla Sarkozy sont arrivés en Inde, à Bangalore. Les chefs d'entreprises qui s'étaient tassés dans l'Airbus présidentiel espèrent signer quelques « projets » d'accords, notamment dans le nucléaire civil. Les nombreux journalistes, ceux-là même que Sarkozy traitait avec « humour » de pédophiles à Lisbonne, suivaient dans un autre vol. A l'Elysée, on insiste sur l'importance de ce déplacement « incroyablement » long, et si important pour la présidence française du G20.
Croyez-le... Sarkozy est enfin président.
Ami sarkozyste, où es-tu ?