Economie: Fillon aperçoit des "vents contraires"
Par Pascal Riché - http://rue89.com/
François Fillon a décidé de maintenir une hypothèse de croissance de 2-2,25% pour la France en 2008. Méthode Coué?
Après avoir humé l'air économique, le capitaine Fillon en a convenu dimanche, lors du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro: "C'est vrai qu'il y a aujourd'hui un certain nombre de vents contraires qui se lèvent." Pour le Premier ministre français, "il y a un climat qui pèse sur l'économie mondiale qui est incertain". Mais pas question pour autant de modifier la voilure ou de changer de cap. Fillon ne compte pas réviser la prévision officielle de croissance pour la France pour 2008: entre 2% et 2,25% . En 2007, la croissance était pourtant déjà en dessous de 2%...
Aux Etats-Unis, ce risque existe, pas de doute. L'économie américaine est en phase de ralentissement. Le nombre de créations d'emplois était décevant en décembre, et le chômage est passé de 4.7% à 5%. Personne aujourd'hui n'exclut une récession, qui serait la conséquence de plusieurs facteurs:
- D'abord, la chute du prix de l'immobilier, précipitée par la crise des subprimes (qui a commencé pendant l'été dernier par des accidents de remboursement d'emprunts immobiliers). Ces difficultés ont contaminé le secteur bancaire, ce qui a pesé sur le crédit.
- Ensuite, la hausse du prix du pétrole: il a triplé depuis 2003, et continue à grimper. Le prix d'autres matières premières sont également en hausse. Les tensions politiques concernant l'Iran l'Irak, le Nigeria ou le Pakistan n'arrangent rien.
- Les taux d'intérêts augmentent ("se tendent") par crainte de l'inflation. Sur les marchés, les prêteurs demandent en effet une rémunération supérieure sur les crédits à long terme, afin de tenir compte de ce risque. Cette hausse des taux ne manquera pas d'aggraver la crise des subprimes.
Cette morosité américaine est en grande partie partagée par l'économie européenne:
- L'économie européenne, d'abord, n'est pas à l'abris de la hausse des prix du brut et du gaz.
- Son système bancaire a été touché par la crise des subprimes. Le Crédit agricole a révélé que la crise des subprimes allait lui coûter 1,6 milliard d’euros.
- La Banque centrale européenne (BCE), qui voit l'inflation augmenter, risque de durcir sa politique, alors que les risques de récession nécessiteraient en principe une baisse des taux d'intérêt.
- Enfin, la baisse du dollar n'est pas une bonne nouvelle pour les exportations européennes.
Jusque-là, la baisse des prix des produits asiatiques permettait de contrebalancer l'effet de la hausse des prix du pétrole sur le niveau d'inflation. Mais cette chute des prix, selon les experts, touche à sa fin. Les Etats-Unis font pression pour que la Chine réévalue sa monnaie.
Par ailleurs, les salaires réels, dans les pays industrialisés sont restés très sages (cf. le débat en France sur le pouvoir d'achat, le vrai poison du mandat de Nicolas Sarkozy). Le partage de la valeur ajoutée s'est fait de plus en plus au détriment des salaires. Là encore, cela a compensé l'impact des prix de l'énergie sur l'inflation...
On évoque aujourd'hui le risque d'une hausse des prix de l'alimentation, entraînée par les tensions sur les marchés de l'énergie. En effet, de plus en plus de pays, comme le Brésil, recourrent largement aux biocarburants. Les marchés de l'énergie et ceux des produits agricoles sont donc interconnectés.
Lorsque l'économie va mal, il existe un remède éprouvé: la baisse des taux d'intérêt directeurs par les banques centrales. Ce sont ces taux de refinancement des banques qui donnent le "la" sur les taux à court terme. S'ils baissent, cela encourage le crédit, les projets, la croissance.
Le problème, c'est que les banques centrales craignent également un retour de l'inflation. Et que leur instrument pour lutter contre l'inflation, c'est la hausse des taux d'intérêt.
Les responsables des banques centrales doivent donc choisir: quelle est leur priorité, combattre l'inflation ou le chômage? La banque centrale américaine a pour mission de combattre l'inflation ET le chômage. Le dilemme est pour elle difficile, mais elle semble avoir choisi de favoriser l'activité, quitte à subir un peu plus d'inflation. Le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a indiqué que "des récents changements de perspectives économiques et des risques pour la croissance" rendraient nécessaires de nouvelles baisses des taux d'intérêt.
La Banque centrale européenne, en revanche, a pour unique mission de maintenir l'inflation à moins de 2%. Elle sera donc encline à opter pour une politique rude. Son président Jean-Claude Trichet a d'ores et déjà froncé les sourcils, menaçant de relever les taux directeurs de la BCE si les entreprises augmentaient les salaires pour tenir compte de la hausse des prix: "Nous appelons tous les décideurs à ne pas laisser une spirale des prix se mettre en route. Nous ne tolérerons pas le démarrage d'effets de second tour." Le risque est que la banque centrale, par une politique trop stricte, ne bloque complètement la machine économique européenne.
Entre la Fed et la BCE, un grand écart se prépare donc.
Il y a deux façons de faire baisser un prix: augmenter l'offre ou réduire la demande.
Côté offre, l'Opep, le cartel des pays producteurs, a en main une clé: elle pourrait faire un geste, en augmentant les plafonds de production de ses pays membre, lors de sa réunion du 1er février. Mais l'Opep n'a plus la puissance qu'il avait dans les années 70, loin de là, et personne ne mise trop sur un tel scénario.
Côté demande, la Chine et l'Inde continuent de connaître une croissance rugissante, dévoreuse d'énergie. Finalement, seule une récession américaine serait aujourd'hui susceptible d'entraîner à coup sûr une baisse de la demande.
C'est justement ce sur quoi pariaient les marchés cette semaine. Après être monté à 100 dollars le baril, le prix du brut est descendu à 94 dollars.