C’était au début de l’année. Presque un an donc que par l’intermédiaire d’Atelier Ciseaux (lire), j’ensoleillai mes esgourdes d’un reggae lo-fi sans âge : Tough Guys ou l’avant-goût presque trop parfait des chaleurs estivales, ébauché par un type que j’imaginais être le plus cool de la côte ouest américaine. Sans être complètement dans les choux - le bonhomme participant alors à un split vinyle avec l’invétérée slackeuse Bethany Cosentino et son groupe Best Coast (lire) et ce, après avoir partagé son appartement et son amitié avec Nathan Williams, trublion de l’électricité biturée (lire) - certains artistes déjouent chaque pronostic jusqu’aux moindres clichés, prenant à contre-pied l’air du temps et sa dose extensive de conformisme ambiant. Car Andrew Caddick - ou Jeans Wilder selon son état civil musical - en plus de dispenser un son à l’authenticité exacerbée, se trouve être une personne atypique, à rebours de l’idéologie de l’omniscience, favorisée par internet et la profusion de démo, face B et autres ébauches reprises en cœur par l’internationale blogueuse. Non, Andrew, à l’image de sa musique et de ses influences composites, est une personne rare, presque inestimable. Mais il faut lui consacrer du temps. Car si l’on considère les flots ininterrompus qui balayent nos plages hi-fi, la recherche de l’étrange nouveauté devient compulsive, sans lendemain, en un mot épileptique. D’un côté l’omniscience diarrhéique, de l’autre la frénésie amnésique. Bien mal barré que l’on est, au cœur de la nuit, meurtri par cette ineffable perte de sens d’une sémantique musicale jusqu’alors si poignante. Au tamis du temps, à celui des jours et non plus à celui des années, que reste-t-il d’une chillwave photocopiée jusqu’à la lie ? Que reste-t-il d’un post-shoegaze décalqué à l’infini ? Quelques bribes de morceaux compilés, pas grand chose, un trouble rêve dans un écrin de fumée opiacée. Peu d’albums surtout. Et encore moins de bons albums, se contentant d’aller au-delà des formules éculées, osant l’intimité au dépend de la grégarité. Co-réalisé par Atelier Ciseaux et La Station Radar, Nice Trash de Jeans Wilder, à paraître le 8 décembre prochain, s’inscrit dans cette veine verte et violacée du dépouillement de soi, de la mise à nue d’une fragilité émotive, lovée jusqu’aux confins du moindre arrangement. Quand d’autres empilent en continu les essais non transformés, Andrew amplifie le soin du détail, n’hésitant pas à consacrer deux années de sa vie dans le fignolage obsessionnel d’un disque à la splendeur spectrale et habitée, où la complainte amoureuse se pare d’un grain doucereusement passéiste, tel un regard mélancolique tacheté de poussière mordorée. Tout en restant éminemment contemporain - comment ne pas déceler le voile shoegaze de Blonde Beach ? L’ambient hantée de Blanket Mountain ? La chillwave percluse de beats vaporeux d’Internationals Water ? - Jeans Wilder fait montre d’un attrait sans fard pour les ballades au flegme romantique en plein cœur des sixties : In my Dreams et Sparkler d’abord, aux charmes délicieusement surannés, le mirifique et conclusif Light Sleeper ensuite, où un arpège de guitare chancelant se joue des métronomes, magnifiant la poésie lunaire d’un Andrew à la voix nimbée d’échos. Singulier et fascinant, un tel épanchement dévoilé vire au chef d’œuvre minimaliste avec Be my Shade, introduisant Nice Trash d’un sample à la sinusoïde transpercée d’atermoiements fantomatiques, que l’on jure susurrés dans l’ombre. Don’t Wanna Live Forever aurait pu constituer la seule faute de goût de l’album, de par son rythme et ses claviers à la ringardise assumée, s’il ne basculait pas subitement vers l’un de ses moments les plus touchants, où l’infini désespoir s’arrachant des tripes émerge d’une brume électrique crépitante. Une gageure.
C’est bien peu de dire qu’il est malaisé de rester insensible aux volutes sentimentales de Nice Trash, aimanté que l’on est par la sincérité prodiguée par son auteur. Un Andrew Caddick que l’on s’est permis de contacter pour une entrevue à l’image et à la hauteur de l’homme, décontractée et sans fioriture. Le bonhomme s’est même fendu à votre intention d’une mixtape de toute beauté - à écouter et télécharger ci-dessous.
Nice Trash est en pré-order du 3 au 8 décembre par ici.
Entrevue avec Andrew Caddick
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Salut… Je suis Andrew, les gens me connaissent en tant que Jeans Wilder. J’adore me défoncer en regardant Seinfeld. Parfois, je fais de la musique. Ha !
Si tu devais définir ta personnalité en trois mots, quels seraient-ils ?
Honnête, charmant et paresseux.
Peux-tu m’expliquer pourquoi “Jeans Wilder” et pas “Andrew Caddick and Melissa Duenas” ? Parle moi de ce nom… qui est Jeans Wilder ?
Et bien, Melissa était juste batteuse sur les concerts pendant deux mois et n’a joué sur aucun des enregistrements… Je n’ai jamais aimé jouer sous mon propre nom, c’est pour ça que j’utilise un pseudonyme. Jeans Wilder est juste un jeu de mots sur Gene Wilder, l’acteur… Ce jeu de mots battait tous les autres noms que j’avais en tête…
Comment est venu l’idée de créer Jeans Wilder ?
J’ai accumulé beaucoup d’énergies négatives à force de travailler à fond dans un job stressant… Je me suis alors investi dans Jeans Wilder uniquement pour me décharger de mes frustrations avec le monde extérieur… et pour ne pas finir par me tuer.
Parle-moi du processus créatif, qui fait quoi ?
J’écris, joue, enregistre et produit tous. Sauf les samples que je peux utiliser.
Quelles influences introduis-tu dans les chansons de Jeans Wilder ?
Au départ, le groupe était très “Jana Hunteresquement” sombre, un peu folk sur les bords. Maintenant, c’est plus du doowop rencontrant les Beach Boys… Une juste progression naturelle non ?
Comment définirais-tu ta musique si c’était George W.Bush qui te le demandait ? Et si c’était Mick Jagger, même réponse ?
Je leur dirais juste que c’est de la musique pour taper de la cocaïne. Ils adoreraient ça.
Si tu étais contraint à l’exil sur une île déserte, quels disques emmènerais-tu ?
Smiley Smile des Beach Boys, Jane Doe de Converge, Philosophy of the World de The Shaggs, Nigga Please d’‘Ol’ Dirty Bastard et Speaking in Tongues des Talking Heads.
Parlons de Nice Trash… Je le trouve très réussi. Il dégage une certaine atmosphère, mélancolico-romantique. Qu’en dis-tu ?
Je l’aime beaucoup. Je suis fier du résultat. Son écriture et son enregistrement ont fait partie d’un processus très intense. Un processus qui a pris deux ans. Ça parle de moi tombant amoureux de quelqu’un. Le disque retrace du début jusqu’à la fin de l’histoire. Romantique, mais triste.
Quelles sont tes intentions avec Nice Trash ? Dis-moi en plus sur ce titre ?
Nice Trash était une private joke avec cette fameuse personne… J’étais un loser pour elle, mais un loser cool… Comme si je ne méritais rien, tout en ayant un putain de sens de l’humour à propos de cette contradiction…
Cet album va sortir via Atelier Ciseaux et la Station Radar. Comment les as-tu rencontrés ?
J’ai commencé à travailler avec la Station Radar par l’intermédiaire de Jen Paul, une incroyable musicienne du New-Jersey, qui m’a invité à faire un split vinyle avec elle (voir par là). Ils ont aimé mes morceaux, depuis notre relation est plus étroite que jamais. J’ai rencontré Rémi d’Atelier Ciseaux, lorsqu’il m’a approché pour faire un 7″… qui a fait boule de neige jusqu’au split vinyle avec Best Coast (lire).
Est-ce que l’esthétique d’un disque a autant d’importance pour toi que la musique elle-même ?
J’aime penser ça oui… D’un côté, la musique est vraiment la raison pour laquelle tu achètes un disque. Mais le visuel et le packaging a son importance aussi… Je pense qu’ils peuvent te raconter une bonne partie de l’histoire, comme la musique.
Est-ce que Jeans Wilder est un bon groupe en live ? Quelle est la configuration des concerts ? Quand est-ce que tu viens nous montrer ça en France ?
J’ai fait pas mal de concerts en tournant aux US. C’est toujours un peu “juste” pour moi… jouant des instruments live sur des bouts d’enregistrements… J’ai eu une batteuse pendant quelque temps (Melissa Duenas donc, ndlr), mais je suis en train de monter un vrai groupe pour une tournée en Europe prévue en mars prochain.
Peux-tu nous en dire plus sur Jacuzzi Youth ? Worthless Waste ? Daytime Television ? As-tu d’autres side-projects ?
Jacuzzi Youth est un projet chopped and screwed que je fais sur mon temps libre… Disons que je pense tout le temps à Jeans Wilder, alors c’est sympa de faire un break de temps en temps, délaisser le projet un moment en me laissant tenter par autre chose.
Worthless Waste et Daytime Television sont des projets de Jonathan Lockhart, qui en a d’ailleurs un autre se nommant Lambo Doors. Je n’ai rien à voir avec ces groupes… et si j’ai quelques side-projects en cours, il est un peu tôt pour en parler.
Qui sont les amis de Jeans Wilder ? Y a-t-il une scène aux US à laquelle tu te sens appartenir ?
Il se trouve que je suis amis avec des gens que je ne nommerai pas… Leur succès n’est un secret pour personne (lire)… Les gens aiment me taquiner avec ça, c’est bizarre… Comme si je n’étais qu’un trou du cul à cause de mon amitié avec quelqu’un. En tout cas, non, je ne me sens proche d’aucune scène en particulier…
Michael de Ghost Animals m’a déjà demandé de lui envoyer des Gauloises blondes. Qu’aimerais-tu recevoir de français dans ta boîte aux lettres ? Pareil ! J’aimerai bien des cigarettes françaises ! Et pourquoi pas un bonbon français ?
Traduction : Virginie Polanski.
Audio
Jeans Wilder - Blonde Beach
Mixtape
“It’s just a keep warm while driving around in the cold/feeling nostalgic kind of mix” - Andrew Caddick (download).
01. Night Control - Star 131
02. Real Estate - Suburban Dogs
03. Ducktails - Art Vandelay
04. Deerhunter - Revival (Jacuzzi Youth Mix)
05. Green Gerry - Cozy Space Mugz
06. Grizzly Bear - He Hit Me
07. His Clancyness - Summer Majestic
08. Soft Healer - Movie Light
09. Dirty Beaches - Coast to Coast