L’Irlande s’est vue sommée d’accepter un plan d’aide financière massive. Ce plan s’accompagne de pressions incitant à une hausse des impôts auxquelles le gouvernement irlandais n’a pas encore cédé, mais qui inquiètent fortement nombre d’entreprises installées dans le pays.
Comment un pays qu’on appelait encore voici peu le « tigre celtique » en est-il arrivé à cette situation ? Celui qui examinera les choses superficiellement dira : en raison d’une vague spéculative qui a débouché sur une bulle immobilière déraisonnable.
Et, superficiellement, c’est exact. Les banques irlandaises ont financé des investissements hypertrophiés dans des appartements, des maisons, des résidences de luxe dont les prix ont monté de manière artificielle avant de retomber brutalement en laissant derrière eux un océan de dettes que nul ne remboursera jamais.
Cela énoncé, la question à poser est : pourquoi ces financements ? Et question subsidiaire : d’où venait l’argent ? Pratiquant une fiscalité très basse sur les entreprises et les créateurs, l’Irlande a attiré des multinationales, tout particulièrement dans le secteur des hautes technologies, ce qui lui a permis un taux de croissance très élevé et des créations de centaines de milliers d’emplois bien rémunérés.
La fiscalité très basse a attiré aussi des capitaux. Elle a conduit les banques à utiliser les capitaux sur la base d’anticipations d’une poursuite indéfinie de la croissance.
Quand la croissance a laissé place à la récession née de la crise financière mondiale (née elle-même de l’éclatement de la bulle suscitée par les subprimes), les anticipations se sont révélées fausses. Un effet en cascade a suivi, qui a conduit à la catastrophe présente.
Si l’Irlande n’avait pas adhéré à la monnaie unique, elle aurait disposé de variables d’ajustement lui permettant de gérer la situation : la dévaluation de sa monnaie en premier lieu. Étant dans la zone euro, elle n’a pas ces variables à sa disposition. Si l’Irlande n’était pas entrée dans la zone euro, ses banques n’auraient d’ailleurs pas pu procéder à la spéculation à laquelle elles ont procédé : la croissance et l’afflux de capitaux auraient fait varier le taux de la monnaie. Les taux d’intérêts ne seraient pas restés ce qu’ils ont été.
En ayant fait entrer dans la monnaie unique des pays qui n’avaient pas le même fonctionnement économique, pas le même rythme de croissance, pas les mêmes choix gouvernementaux, l’Union européenne a établi un système qui était, dès le départ, lourd de distorsions potentielles. Ces distorsions se sont, hélas, concrétisées.
La valeur de la monnaie, les taux d’intérêts, constituent un corset uniforme dans lequel on a fait entrer un ensemble de corps différents. La Grèce a été le premier pays à tomber. Elle se trouve aujourd’hui enfermée dans un processus qui ne peut que la mener à une longue déflation.
L’Irlande est le deuxième pays à tomber. Le Portugal n’est pas loin. L’Espagne risque fort de suivre, puis l’Italie. L’Union européenne et le FMI proposeront des remèdes coûteux qui sauveront les apparences de manière provisoire, sans résoudre le problème. On parlera de la nécessité d’une « gouvernance » européenne, donc d’un surcroît de dirigisme.
Le problème non résolu conduira à d’autres dysfonctionnements. Les pays de la périphérie de l’Union représentent 30 % de son PIB et, faute de pouvoir gérer leur monnaie, sont condamnés à l’asphyxie chronique.
La France est tout au bord de la périphérie et connaît elle-même des symptômes d’asphyxie. L’Allemagne devrait, sans l’euro, voir sa monnaie réévaluée par rapport aux autres monnaies européennes et elle bénéficie présentement, grâce à l’euro, de l’asphyxie des autres, ce qui lui permet d’avoir une croissance et des marges à l’exportation qu’elle n’aurait pas sans cela – et ce fait masque les difficultés découlant de sa démographie.
Les pays de la zone euro sont, pour la plupart, victimes de l’euro. On ne touchera pas pour autant à l’euro, même si cela finit par coûter un prix exorbitant.
En fait, cela coûte déjà un prix exorbitant. Les pays de l’UE sont victimes, aussi, d’une ossature rigide qui fait de l’Europe une zone en déclin relatif sur la planète. On va encore rigidifier l’ossature. Tout cela est très logique : l’Europe ne connaît que la marche avant, même quand elle est au bord du gouffre !
Guy Millière pour « Les 4 Vérités »
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