C’était hier et la nouvelle a été abondamment relayée, y compris ici. Des scientifiques américains ont annoncé qu’ils avaient découvert qu’une bactérie pouvait se passer de phosphore et le remplacer par l’arsenic et intégrer ce dernier aux macromolécules qui sont les bases du vivant. Et ce dans des conditions bien précises : celles d’un laboratoire où la bactérie n’avait pas de phosphore à sa disposition mais de l’arsenic en quantité.
L’annonce de ces recherches et leur diffusion par la presse n’était prévue qu’à 20 heures, jeudi, mais un journal a brisé l’embargo, m’obligeant à publier plus tôt mon article sur le sujet. Je profite donc d’avoir un peu plus de temps pour revenir sur certains points et répondre aux questions posées dans les commentaires – parfois peu amènes ! – déposés par nos lecteurs.
La genèse de ces recherches. La genèse de ces travaux vient d’une hypothèse simple. L’arsenic et le phosphore sont très proches chimiquement, bien que le premier soit extrêmement nocif et le second indispensable à la vie. En vertu de cette proximité chimique, peut-on imaginer qu’une forme de vie ait la capacité d’utiliser l’arsenic à la place du phosphore ? Voila la question telle qu’elle a été posée.
L’historique du questionnement de ces chercheurs est détaillé dans cet article. La “première pierre” a été posée en 2008, lorsque ces chercheurs se sont demandé si la “nature avait aussi choisi l’arsenic”, titre d’une publication (.pdf) où figuraient les indices plaidant pour l’existence d’une vie, présente ou passée, qui aurait pu avoir pour base l’arsenic. Et c’est à partir de ces hypothèses qu’ont été menées les études sur la bactérie trouvée dans les sédiments d’un lac californien.
Les “précédents”. Plusieurs commentaires ont relevé qu’“une équipe française était arrivée à des résultats comparables”. Suivait un lien vers un articlesur cette découverte. Il fait référence à des recherches publiées en 2007 par une équipe de l’université de Strasbourg et ainsi résumées par Actualité environnement :
“Aucune bactérie capable de se développer dans un environnement contaminé par l’arsenic n’avait été à ce jour complètement caractérisée. (…) Or la bactérie H. arsenicoxydans présente la capacité de mettre en oeuvre des réactions d’oxydoréduction vis-à-vis de ce métalloïde et, en particulier, de le faire passer de son état le plus toxique As [III] à sa forme oxydée, beaucoup moins mobile et toxique As[V].”
Selon, Purificacìon Lopez, microbiologiste et directrice de recherches au CNRS, des bactéries ont des comportements encore plus étonnants dans un milieu riche en arsenic.
“On sait depuis des années que certaines bactéries tolèrent et utilisent l’arsenic. Elles peuvent tirer l’énergie nécessaire à leur métabolisme en utilisant l’arsenate [un ion négatif formé d’un atome d’arsenic et de quatre atomes d’oxygène].
Dans la réaction d’oxydo-réduction qui fournit de l’énergie à la bactérie, l’arsenate joue le rôle d’accepteur d’électron à la place de l’oxygène – l’accepteur d’électrons qu’utilisent nos cellules, par exemple. On trouve ce type de bactéries dans des milieux extrêmes, souvent très acides et riches en métaux, comme dans la mine de Carnoulès, dans le Gard.
Dans tous les cas, l’”utilisation” d’arsenic par la bactérie reste confinée à l’obtention d’énergie.”
La partie émergée de l’iceberg. Il n’avait jamais été prouvé qu’un être vivant pouvait intégrer l’arsenic à l’une de ses macromolécules. Mais la bactérie GFAJ-1 n’a utilisé de l’arsenic que parce qu’elle y a été forcée. A l’état naturel, elle préférera toujours le phosphore “car sa machinerie cellulaire y est mieux adaptée”, selon les mots de Mme Lopez.
Pour Paul Davies, l’un des auteurs de l’étude dont nous parlons, les recherches n’en sont qu’à leur début.
“Cet organisme a la capacité de se développer soit avec l’arsenic, soit avec le phosphore. C’est très particulier. (…) GFAJ-1 indique peut-être la direction vers des organismes encore plus invraisemblables. Le saint Graal serait un microbe qui ne contiendrait pas de phosphore du tout.
[Cette découverte] est la partie émergée d’un gros iceberg qui a la capacité d’ouvrir un nouveau domaine de la microbiologie.”
Des scientifiques circonspects. Maintenant que ces recherches sont publiées, c’est au tour d’autres équipes scientifiques de s’en emparer. Certains biologistes n’ont pas traîné pour faire part de leurs doutes.
Dans un article de la journaliste Elizabeth Pennisi (.pdf, lien payant) publié dans le même numéro de Science, deux des biologistes cités sont sceptiques. L’un, Barry Rosen, y voit des résultats plausibles, mais pour le convaincre, il faudrait que l’équipe américaine lui montre “une enzyme contenant de l’arsenic”. L’autre, Steven Benner, estime que “selon lui, les travaux publiés n’établissent pas” avec certitude que GFAJ-1 a remplacé le phosphore par l’arsenic dans son métabolisme.
Une opinion que partage Mme Lopez qui s’étonne que les données fournies soient “indicatives et non démonstratives”. Pour la microbiologiste, les résultats fournis ne “démontrent pas complètement” que l’arsenic ait été incorporé par la bactérie. Les analyses physico-chimiques effectuées sur la bactérie suggèrent que l’arsenic est bien présent, mais “il peut s’agir d’un artefact”.
Pourtant, estime Mme Lopez, il aurait été simple d’en avoir une preuve directe en extrayant l’ADN de la bactérie et en l’analysant par spectrométrie ce qui est “la chose la plus facile au monde”. Et, conclut-elle, “cette expérience ne figure pas dans le compte rendu de leurs recherches est suspect. Il se pourrait que l’on ait des surprises”.
A suivre…
Images : Science