Il n'y a pas si longtemps, je reçois une coupure de presse émanant du Figaro. Peu habitué à la lecture de ce quotidien, je reste tout de même sensible à ce genre d'articles qui font progresser notre réflexion. Bien entendu, il s'agit de musique et plus particulièrement d'un cas bien à part, celui des musiciens français qui font quelques infidélités à la langue de Molière. Voici donc l'excellent travail d'enquête de Bertrand Dicale. Bonne lecture.
Des groupes comme Aaron, Cocoon (photo ci-dessus) ou Hey Hey My My triomphent dans la langue internationale de la pop.
Des groupes comme Aaron, Cocoon (photo ci-dessus) ou Hey Hey My My triomphent dans la langue internationale de la pop.
Le
temps est à l’anglais. Pas l’anglais phonétique et scolaire des yé-yé,
auxquels les Anglais ne comprenaient rien. La langue anglaise qui se
chante aujourd’hui en France est celle du folk contemporain ou de la
pop élégante, une langue qui demande beaucoup plus que des cours
d’anglais de terminale, et qui aujourd’hui rencontre son public, en
France et à l’étranger. La pop versaillaise d’Air et de Phoenix, tout
comme l’électro surpuissante de Daft Punk, avaient été couronnées ces
dernières années. Voici maintenant toute une série de groupes français
anglophones, pour la plupart distribués par le label Discograph : Stuck
in the Sound, les petits nouveaux Cocoon et Hey Hey My My, et surtout
Aaron, qui après les Bouffes du Nord et le théâtre Edouard-VII au
printemps, chantait deux fois la semaine dernière à l’Olympia.
Le
duo pop Aaron a dépassé les 200 000 exemplaires vendus de l’album
Artificial Animals Riding On Neverland (dont l’acronyme compose leur
nom). Cocoon a emporté le concours CQFD des Inrockuptibles avant d’être
une des révélations du dernier Printemps de Bourges et de sortir il y a
quelques semaines l’album My Friends All Died in a Plane Crash. Hey Hey
My My, après avoir sorti l’album Hey Hey My My en avril dernier, n’a
pas cessé de tourner. Il court dans tout le métier un « buzz » élogieux
et insistant sur Izia, la fille de Jacques Higelin, âgée de dix-sept
ans, courtisée par plusieurs maisons de disques après qu’eurent circulé
des « démos » écrites directement en anglais. Une des révélations les
plus originales du rock européen en 2006 est l’ancien guitariste
d’Emilie Simon qui fait carrière sous le nom de Medi & The Medicine
Show - il est niçois...
« Les gens sont décomplexés quant à
l’idée de chanter en anglais », se réjouit Julien Garnier, chanteur et
guitariste d’Hey Hey My My. Car le retournement de tendance est récent.
Avec son complice Julien Gaulier, il avait formé British Hawai, groupe
punk-rock lui aussi anglophone : « Il y a trois ans, quand on avait des
rendez-vous en maison de disques, on nous disait »Ça ne nous intéresse
pas s’il n’y a pas de chansons en français». » Même son de cloche chez
Simon Buret, chanteur et auteur d’Aaron : « On nous a dit »il faut tout
refaire en français». » Et Marc Daumail, chanteur et guitariste de
Cocoon salue « le courage des programmateurs radio. Il y a quelques
années, jamais un groupe français chantant en anglais ne serait entré
en rotation sur France Inter ».
« Pas de logique commerciale »
Évidemment,
tout commence au berceau : « Mon père m’a biberonné à Bob Dylan et Neil
Young, dit sans détour Marc Daumail. Si j’avais écouté du Lorie ou du
Patrick Sébastien depuis l’enfance, je ferais aujourd’hui des bals en
faisant tourner la serviette. » À vingt-deux ans, le garçon de Cocoon a
une culture voisine de celle de son aîné d’Hey Hey My My, trente-deux
ans, arrivé au rock à quatre ans par l’album The Game de Queen. Peu
importe l’environnement français dans le désir de musique chez Simon
Buret, comédien avant d’être chanteur : « J’ai un père américain et une
mère française. Mon père ne parle pas un mot de français. Il se trouve
que quand nous avons commencé à faire de la musique ensemble (avec
Olivier Coursier, le musicien « professionnel » d’Aaron), je n’arrivais
plus à dire certaines choses. Je les couchais sur papier, comme des
lettres ouvertes. Et comme je voulais être compris de ces gens-là,
c’était en anglais. Les chanter désamorçait ces choses. Il n’y avait
pas de logique de commerce, je ne pensais pas que ça finirait sur un
CD. »
Il se trouve que le projet d’Aaron, « fait à deux dans une
bulle », est utilisé pour la musique du film Tout va bien ne t’en fais
pas. Succès immédiat. Contre toutes leurs attentes, les deux garçons
montent sur scène et leur aventure connaît un démarrage
spectaculaire... au moment où la chanson On My Way de Cocoon devient
une des grandes sensations radio de la saison. Quelques années après
que Overhead ou Syd Matters eurent connu le barrage du « pourquoi ne
chantez-vous pas en français ? », cette fournée de Français anglophones
se fait mieux entendre. Leur absence de dogmatisme y est sans doute
pour beaucoup : « On n’est pas contre les paroles en français, chanter
en anglais n’est pas une revendication, assure Julien Garnier d’Hey Hey
My My. Simplement, écrire nous est plus facile en anglais qu’en
français. Il est difficile de trouver un langage vraiment pop en
français. C’est génial de dire en anglais Here comes the sun (« voici
le soleil », tube des Beatles) alors que ce n’est vraiment pas terrible
en français. » Aaron met une chanson en français sur son album, « une
seule parce qu’on s’est dit que ça ferait un joli clin d’oeil ». Et
Simon Buret, « attiré par beaucoup d’autres langues », se voit bien «
essayer de chanter un jour en arabe, pour les sonorités ». L’anglais
conduit bien sûr à de curieux paradoxes, comme pour Cocoon : « C’est
important de jouer à l’étranger, dit Marc Daumail. Jouer en Angleterre
a été une expérience énorme. Pour la première fois de notre vie, les
gens ont compris les paroles. »