A mi-chemin entre John Grisham et Vaudeville, animé par des industriels ŕ la démarche importante et de trčs étoilés généraux, le dossier des ravitailleurs en vol américains s’achemine lentement vers un épilogue incertain. Le choix de l’heureux gagnant du programme KC-X, Boeing ou EADS, qui devait ętre annoncé le 12 novembre, est en effet reporté ŕ une date indéterminée. On sait aussi qu’il ne s’agira pas nécessairement de l’épilogue tant attendu, d’ultimes rebondissements pouvant encore intervenir, par exemple une protestation du perdant renvoyant tout le monde ŕ la case départ.
Le général Norton Schwartz, chef d’état-major de l’USAF, se dit probablement qu’il n’a pas mérité de vivre un tel cauchemar. Pire, un malheur n’arrivant jamais seul, il est entraîné au męme moment dans l’amorce d’un improbable débat relatif ŕ la succession des avions de combat F-22 et F-35 Joint Strike Fighter. De toute évidence, il n’y a pourtant pas urgence : les derniers exemplaires du premier cité n’ont pas encore été livrés tandis que le second, empętré dans des difficultés de tous ordres, prend du retard en męme temps qu’il coűte de plus en plus cher. Il est désormais peu probable que les premiers exemplaires du JSF entrent en service avant 2016, un retard qui émeut moins qu’il n’y paraît ŕ premičre vue, dans la foulée de sérieuses contraintes budgétaires. Last but not least, le général Schwartz est trčs certainement préoccupé par le dossier ultra secret du Next Generation Bomber. Mais, lŕ au moins, il n’y a pas de polémique possible, aucune information n’étant mise sur la place publique.
Dans l’ordre chronologique des événements ŕ venir, c’est évidemment le KC-X qui domine. On le sait, un employé distrait ou incompétent a envoyé ŕ Boeing un pli destiné ŕ EADS, et inversement. Depuis lors, l’état-major a rétabli l’égalité des chances entre rivaux en s’assurant que l’échange involontaire d’informations contractuelles sensibles était partagé avec la plus grande justesse. On ne saura évidemment pas qui a consulté le dossier ou l’a renvoyé ŕ l’expéditeur dans ouvrir les fichiers informatiques et les recopier. Chacun affirme, la main sur le cœur, n’en avoir rien fait. Un porte-parole de l’USAF, qui ne craint pas le ridicule, a tranché : Ťit doesn’t matterť. Difficile ŕ croire…
Le moment venu, le vainqueur sera immanquablement accusé d’avoir honteusement modifié son offre aprčs avoir pris connaissance d’informations relatives ŕ son rival et qui n’auraient jamais dű lui parvenir. Il n’en faut pas plus pour imaginer un blocage politique, une polémique, une intervention du General Accountability Office, voire un nouvel appel d’offres. Cette forme originale de mouvement perpétuel donne jour aprčs jour plus de force ŕ l’hypothčse d’un partage de la commande entre les deux concurrents. A la nuance prčs que le marché initial de 179 avions, qui devrait ętre suivi par deux autres (KC-Y et KC-Z) pourrait rester unique en son genre, la suite étant reportée au-delŕ de 2020.
Dans ces conditions, Boeing et EADS bénéficieraient chacun d’une commande de 80 appareils seulement. Le commentaire qui s’imposerait aussitôt : tout ça pour ça ! Resterait néanmoins ŕ répondre ŕ la double question de principe. EADS, intimement persuadé de présenter l’offre la meilleure, crierait ŕ l’injustice. Boeing s’insurgerait violemment contre un choix défavorisant un prétendant bien américain, un avion construit aux Etats-Unis par des personnels américains. Cela ŕ l’opposé du rival européen proposé par un groupe aux dangereux relents étatiques et généreusement subventionné (sic). C’est devenu un leitmotiv : trois gouvernements européens seraient les copropriétaires du groupe EADS. Lequel, dčs lors, n’aurait pas ŕ s’embarrasser de respecter les rčgles du jeu.
Dčs lors, on peut d’ores et déjŕ affirmer que le soap opera KC-X, que certains ont qualifié ŕ Washington de Ťcirque tragiqueť, est loin d’une conclusion. Cela en attendant, soit-on jamais, des révélations aimablement fournies par WikiLeaks…
Pierre Sparaco - AeroMorning