Le Journal de Montréal, p. 27, Nathalie Elgrably-Lévy, 2 décembre 2010
Paul n’a jamais fumé. Paul est mort. Donc, ne pas fumer tue. Ceux qui étaient attentifs pendant leurs cours de philosophie reconnaîtront qu’il s’agit là d’un sophisme, un argument apparemment logique, mais fondamentalement incorrect.
Mais aujourd’hui, le pays que l’on surnommait le « tigre celtique » il n’y a pas si longtemps n’est plus qu’un frêle petit chaton. Qu’a-t-il bien pu lui arriver ?
Lorsque l’Irlande connaissait une croissance exceptionnelle, une hausse des taux d’intérêt s’imposait. Mais comme elle avait adopté l’euro, elle était tributaire des décisions de la Banque centrale européenne (BCE), et était obligée de composer avec des taux d’intérêt maintenus très bas en raison de la faiblesse des économies française et allemande. C’est alors que le crédit facile combiné à la vitalité de l’économie provoqua la formation d’une bulle immobilière, laquelle incita les banques à prêter en fonction de la valeur future des propriétés et non en fonction de la solvabilité du client. Ces prêts irresponsables n’auraient eu de conséquences que pour les banques fautives si l’État irlandais n’avait pas eu la mauvaise idée de les garantir. Comme toutes les bulles, la bulle immobilière celtique a fatalement éclaté. Le gouvernement s’est alors trouvé dans l’obligation de respecter ses engagements, ce qui lui occasionne maintenant un déficit abyssal et le contraint à consentir des sacrifices.
Quel rôle le libre marché a-t-il donc joué ? En réalité, une politique monétaire étatiste décidée à Francfort de façon centralisée pour seize pays, tout comme le fait que le gouvernement garantisse des prêts, c’est l’antithèse du libre marché ! J’ai souvent vanté les mérites des réformes libérales irlandaises. Aujourd’hui, je persiste et signe sans hésiter. Ce sont ces réformes qui ont sorti le pays de la misère, mais ce sont les politiques monétaires inappropriées et les mesures interventionnistes irresponsables, irréfléchies et nocives qui expliquent sa débandade économique. Quant à ceux qui ricanent en affirmant que le cas de l’Irlande est la preuve de l’échec du libre marché, ils feraient bien de rire moins et de s’informer davantage. Un sophisme est si vite arrivé !