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Jacqueline Briot : Chapitre 1, Une jeunesse vendéenne

Par Mpbernet

Voici le récit autobiographique de Jacqueline Briot, née Renaud (1919-2002), femme généreuse et dynamique, "habitée" par les valeurs de la Croix-Rouge toute sa vie. Sans corrections, sans réécriture...telle que je l'ai recueillie sur un cahier à spirales. Récit terminé en avril 1994.

Samedi 4 octobre 1919 à 17 heures 45 : après trente heures d’efforts, Maman met au monde une petite fille de 2,259 kg qui, paraît-il, est arrivée en serrant ses petits poings comme pour dire : « A nous deux, la vie ! »

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Petite fille qui aurait dû être un garçon. Le hasard était alors roi, la famille n’avait pas choisi de prénom féminin. Comment appeler cette petite chose dont le papa était déjà le premier adorateur ? Devant le médecin de famille qui me donnait ma première fessée :

- Docteur, ne la battez pas !

Et le vieux garçon de répondre :

- Tu la gifleras bien des fois d’ici ses 18 ans !

- Jamais !

Quand il nous a quittés, j’avais 44 ans et j’attends toujours ma première gifle de sa part.

Revenons au choix du prénom. Mon arrière-grand-mère paternelle, qui était présente (les accouchements étant à l’époque affaire de famille) dit à Maman :

- Ma petite-fille, tu devrais bien l’appeler Rosalie, car c’était le prénom de ma défunte mère, celui de ta défunte sœur et le mien.

Filleule de ma grand-mère Poirier et elle-même marraine de la sœur « défunte » de Maman, femme extraordinaire, Tante Rosalie fut une femme à laquelle je dois beaucoup. Dieu merci, Maman ne céda pas et, après avoir hésité entre Jacqueline et Françoise, puisque le 4 octobre est le jour de la Saint François, on décida de me prénommer Jacqueline.

Maintenant, je dois expliquer pourquoi j’aurais pu m’appeler Rosalie….et ce n’est pas si simple !

Rosalie Foucaud, née Perdriau, mon arrière-grand-mère paternelle, était la marraine d’une petite Rosalie Dou, fille de sa meilleure amie, laquelle devint par mariage avec Philippe Poirier, ma grand-mère paternelle. Celle-ci devint, naturellement, marraine de la fille aînée de sa propre marraine, Tante Rosalie, tante de mon père, et en réalité notre grand-mère, je dirai plus tard pourquoi. Laquelle Tante Rosalie fut à son tour choisie comme marraine d’une fille de sa marraine (ma grand-mère Poirier) qui s’appela Rosalie et mourut à 18 ans. Ai-je été claire ?

Cela dit, je fus tout de même gratifiée de quatre prénoms : Jacqueline, Octavie (comme mon parrain, le frère de Papa), Rosalie et Louise (comme ma marraine, la sœur aînée de Maman).

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Un mot sur la famille. Côté paternel : mon arrière-grand-père Jean-Baptiste Foucaud était maçon à Saint-Etienne du Bois. Avec sa femme Rosalie Perdriau, ils eurent trois filles : Tante Rosalie, dont on entendra souvent parler, Alexandrine ma grand-mère, qui épousa mon grand-père Renaud et dont elle eut deux fils en dix mois (Alexandre, mon père, et Octave), et Célina, dont je n’ai pratiquement aucun souvenir.

Copieusement trompée par son mari très volage, Alexandrine « osa » divorcer en 1893, en se fâchant avec toute sa famille, et surtout avec Grand-père Foucaud qui ne la revît jamais et exigea qu’elle ne vienne pas à son enterrement, injure suprême à l’époque. Mon grand-père se remaria toutefois, et eut seize enfants de sa seconde épouse, dont nous ne connaissons aucun.

Mon grand-père Foucaud fit son service militaire dans l’infanterie pendant sept ans. Durant cette période, il alla et revînt de la bataille de Solferino à pied. C’est sans doute de là que me vient le gène « Croix-Rouge », qui m’a poussé à faire mes 57 ans de service…En 1870, en sa qualité d’ancien militaire, grand-père faisait faire l’exercice aux jeunes de Saint Etienne du Bois avec bâtons et fourches. Dieu merci, les Prussiens s’arrêtèrent à la Loire !

Côté maternel, Grand-père Philippe Poirier était marchand de grains. Cette activité couvrait alors le négoce des engrais, du charbon, le roulage, etc.…Il était l’aîné de neuf frères et sœurs. Je l’ai connu puisque j’avais cinq ans lorsqu’il est mort. J’étais la seule, fille de sa fille préférée, à avoir le droit de le tutoyer. Il me disait :

- Tu es née trop tard. Toi, tu n’aurais pas laissé mon commerce partir à des étrangers.

C’est peut-être vrai, nul ne le sait, mais il est vrai que le seul fils qui lui restait sur les trois – deux étant morts vers 20 ans – était professeur de mathématiques et aucun de ses quatre gendres ne voulut reprendre l’affaire.

Je n’ai pas connu ma grand-mère, née Rosalie Dou, décédée vers 1912. Elle était fille de meuniers de La Grange Villeneuve, toujours à Saint Etienne. Mes arrière-grands-parents étaient morts de la variole en 1870. Elle avait une sœur adorable, Tante Sylvie, et deux frères, Pierre et Jean Dou, aussi grands et roux que leur sœur était petite et brune.

Papa était né en 1887, prématuré de sept mois. Il fut enveloppé dans du coton hydrophile et ne fut jamais malade, sauf de la typhoïde en 1929. Il mourut en 1963 d’une crise cardiaque.

Il fut élevé par sa grand-mère Foucaud et Tante Rosalie lui servit de mère – elle n’avait pas d’enfant – notre grand-mère, après son divorce et la malédiction paternelle, était partie à Paris où elle se remaria avec un courtier en Bourse.

Après son Certificat d’Etudes, papa apprit le métier de menuisier-charpentier chez le père de mon oncle Braud. Tonton Pierre était le mari de Tante Adélia, sœur de Maman. Son apprentissage terminé, il entreprit son Tour de France et devint Compagnon puis Maître en sa spécialité. En 1913, il entra aux Chemins de Fer où, sauf lors de la coupure de la Grande Guerre, il resta jusqu’en 1945 lorsqu’il prit sa retraite.

C’était un homme très intelligent et incroyablement bon, avec un sens extraordinaire du devoir. Il avait deux sujets d’adoration : sa femme et sa fille. Après la mort de Maman en 1945, la seule personne qui eut toujours raison à ses yeux, fut moi. Après mon mariage, il reporta une partie de cette adoration sur Pierre, disant :

-    - Il n’y a que ma fille qui eut de la chance, mes brus sont des garces.

Ce qui était un peu vrai d’ailleurs !

Maman était la huitième et dernière fille de la famille. Philippe, l’aîné, Clément et Rosalie étaient morts jeunes. J’ai en fait connu Tante Marraine, Marie-Louise, grand-mère de mes cousins de La Guérinière, Tante Petit, mère de Georges et Marcelle, Tonton Narcisse, professeurs de maths à Nantes, Adélia, épouse de Pierre, aussi « bonnet de nuit » que son mari était drôle mais très brave personne au demeurant, Clémentine, appelée Tante Printemps, formidable d’allant et de gaîté, morte à 97 ans mais à laquelle on ne donnait que 70.

Enfin, Maman, l’intelligence et la vitalité faites femme. Petite – 1,49m – mince, hélas malade une grande partie de sa vie.

Je suis née le 4 octobre 1919. Elle m’a nourrie. Guy est arrivé le 21 mars 1921, elle l’a nourri, et lorsque Yves est né le 3 septembre 1923, elle était complètement décalcifiée. Le remède de l’époque : un corset de plâtre qui, en séchant, lui donna une congestion pulmonaire et une pleurésie. Réunion de médecins qui avertissent Papa qu’elle ne peut pas survivre. Elle appelle l’aréopage et déclare :

-    - J’ai trois enfants, je les élèverai.

Elle tint parole. Elle nous quitta en 1945 alors que nous étions âgés de 26, 24 et 22 ans.

Yves, mon petit frère, ce bébé tous blond qui, tout petit, avait déjà l’air triste, je l’ai très vite aimé et j’ai essayé d’atténuer les coups que la vie lui a réservé : enfance maladive, jeunesse sans histoires mais pas aussi gaie par tempérament que pour Guy ou moi, mariage malheureux avec une « bourrique », mais un fils, vivant portrait de Papa, que ni lui ni moi ne connaissons. Je m’en moque mais pour Yves, c’est très dur et souvent, j’ai dû faire de l’assistance psychologique. Depuis la mort de Papa, il a son appartement dans notre maison, mais je dois souvent servir de tampon : Pierre lui fait reproche de je ne sais quoi….Cependant, j’ai promis à Maman mourante de m’occuper des « petits » et je tiens parole.

Depuis 1923, Maman souffrait d’asthme. Elle était souvent malade, mais toujours d’une énergie farouche et, même couchée, elle menait son monde fermement. Très en avance sur son temps. La preuve : lorsque j’eus 13 ans, elle me dit un jour :

-    - J’ai à te parler.

- Bien Maman…

Et elle m’expliqua – c’était en 1932 – comment les enfants venaient au monde et aussi comment on les faisait, avec pour conclusion :

- Maintenant, tu sais. Tu prends tes responsabilités. Mais, dis-toi bien que s’il t’arrive un problème, tu assumeras. Papa et moi, nous te laisserons te débrouiller. Mais je le répète : tu assumeras.

La leçon fut salutaire, à une époque où la pilule était loin d’être inventée.

Revenons à la fin de 1919. Je fus un bébé comme les autres, mai qui s’affirma rapidement. J’ai dit mes premiers mots le jour de mes 6 mois et chacun sait que je n’ai jamais arrêté depuis. La série des bêtises a commencé avec mes premiers pas.

Mon premier souvenir : la naissance de Guy. Un drame. On me confia deux jours à une vieille amie. Là, j’ai pris ma première grosse colère, mais, le lendemain, merveille, j’avais un petit frère tout brun, avec beaucoup de cheveux, et ce fut le début d’une affection et d’une complicité éternelle.

Bien entendu, j’ai voulu tout de suite faire partager à Guy aussi bien du chocolat (à 3 ou 4 mois), que des rillettes. Persuadée que Guy m’admirait, j’ai fait une montagne de sottises comme verser mon plein pot par la fenêtre, jeter mes médailles et mon collier dans la rue. Maman me mettait une jolie robe pour sortir et deux minutes plus tard, j’allais jouer dans le charbon… Elle m’a souvent dit, plus tard :

- Je préfèrerais élever deux garçons comme tes frères qu’une autre fille comme toi !

A mon retour à la maison après la naissance d’Yves – je fus chez une Tante pour huit jours :

-    - Embrasse ton petit frère !

- - Non, tu m’avais promis une petite sœur ! Va l’échanger, je veux une petite sœur !

- - C’est impossible, dit Maman. Papa et moi, nous avons choisi. C’est mieux pour toi d’avoir deux petits frères et d’ailleurs nous t’avons gardé une petite chatte.

On me donna alors Zézette, que je gardai pendant 17 ans.

Maman fut très malade à la suite de la naissance d’Yves. On me confia alors pour six mois à ma Tante Rosalie – j’étais tellement insupportable – qui habitait à 400m de chez nous. J’y restai 27 ans, jusqu’à sa mort, mais je voyais mes parents chaque jour.

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1er octobre 1922 : je commence mes humanités à la maternelle. J’y rencontre Raymonde, qui sera toujours mon amie. Elle arborait de belles tresses que je tirais à plaisir, et Jean Biron, et plusieurs autres amies qui avaient les cheveux frisés que je tirais aussi. La Maîtresse que connaissaient bien mes parents – amis de la Directrice, Madame Rigalleau qui possédait une maison à Saint Etienne – ma donne une ardoise et un crayon pour faire des bâtons. Je hurle pour avoir deux crayons. Car je me sers de mes deux mains : triomphante, je remplis mon ardoise deux fois plus vite que les autres.

Ecole primaire sans histoire, sauf les perturbations occasionnées par ma dissipation naturelle. Il y avait une élève intermittente dont les parents étaient marchands de peaux de lapins. Marguerite avait des poux et personne en voulait s’asseoir auprès d’elle. J’étais habituellement seule à ma table pour éviter mes « frasques » et, lorsque Marguerite arrivait :

- Marguerite, veux-tu venir près de Jacqueline ?

Et je repartais à la maison nantie d’un petit mot : « Marguerite est revenue. » Le traitement était tout de suite appliqué : torchons avec Verdalia, deux fois par semaine tant que durait le séjour de Marguerite.

Le temps passait. En 1926, pour la première fois, je quête pour la Croix-Rouge : petits drapeaux et épingles. Aujourd’hui, en 1994, je continue en demandant des subventions !

J’ai vécu ainsi une petite enfance, une enfance et une adolescence heureuse et choyée, ce qui m’a permis sans doute d’absorbes sans trop de dommages les chocs de la vie. Nous passions les vacances chaque été un mois avec la bonne de mes parents et ma Tante Crouby, veuve depuis 1936, et je passais le mois de septembre à Saint Etienne chez Tante Marie-Louise.

1931 : premier examen, le Certificat d’Etudes Primaires, et la plus belle gifle de ma vie. Monsieur Arnaud, Directeur de l’école de garçons, annonce à midi à ma tante que j’allais sans aucun doute être reçue première du canton car j’avais été la seule à avoir résolu le problème d’arithmétique. Patatras, le soir, je suis reçue mais sans gloire : Tout à sa déception, M. Arnaud me donne une gifle magistrale : j’écrivais déjà si mal que personne n’avait pu déchiffrer mon devoir d’histoire.

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En octobre de la même année, me voici au Collège pour six ans. Toujours aussi dissipée. J’y travaille juste ce qu’il faut, sans plus. Je ris et je chahute beaucoup. En Cinquième, nous avons joué, avec une camarade, à celle qui accumulerait le plus de zéros de conduite. Germaine en a eu 45 et moi 46. Nous n’avons échappé au Conseil de discipline que grâce à nos bonnes notes, mais tous nos prix ont été supprimés pour deux ans. Que de fois la Directrice ne m’a-t-elle pas dit :

- - Jacqueline, vous serez sage !

- - Oui, Madame…

Mais l’escalier descendu, j’avais déjà oublié. Lorsque je quittai le collège pour aller au Lycée en math’élem, elle m’a montré la lettre que lui avaient écrite Madame Rigalleau lors de mon entrée : j’étais « horriblement dissipée, diaboliquement intelligente, avec un cœur d’or ».

1937, premier Bac. Reçue en juillet sans problème. Cependant, alors que je n’avais jamais été malade, je me mets à grossir. Je ressemble alors plus à un éléphant qu’à une fille de dix-huit ans. Selon le médecin spécialiste, je suis atteinte d’une anémie globulaire dite de Biermer. Soins énergiques, piqûres…Le spécialiste dit à Maman :

- Pas de contrariété, pas de travail, mais qu’elle aille au lycée, il faut surtout éviter l’ennui.

Je ne le suis pas ennuyée. Le Proviseur, les professeurs étaient prévenus, me laissaient faire tout ce que je voulais. L’organisation des chahuts devint ma spécialité. Puis les choses sont rentrées dans l’ordre, j’ai « rétréci » de seize kilos, mais mon année a été perdue. J’ai redoublé. J’ai cependant obtenu en 1938 le Brevet de fin d’Etudes Secondaires qui était, jusqu’en 1940, l’équivalent du Baccalauréat pour les filles qui ne pouvaient aller plus loin et permettait en particulier de devenir institutrices.

1938-1939 : année de tous les projets d’avenir. Après avoir beaucoup ri, dansé – c’était la vie des filles de ma génération – j’étais amoureuse et payée de retour. Sur mon petit nuage, je voyais l’avenir en rose. Baccalauréat en juin sans effort particulier…Mais le 3 septembre : la guerre, qui commence mais ne se déclenche pas. Nous poursuivons nos projets, nous rêvons éveillés. Maman sait et approuve.

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Depuis le mois de mai 1938 arrivent les réfugiés espagnols. J’assure un service effectif à la Croix-Rouge. Sans cette anémie et la défense de me contrarier, peut-être n’aurai-je pas mis le doigt dans l’engrenage. Durant l’automne 1939 et l’hiver 1940, on prépare sans y croire vraiment les cahiers de mobilisation des hôpitaux auxiliaires, l’accueil éventuel des Ardennais.

Je me suis inscrite à la faculté de Droit de Poitiers. Pour une fois, la famille n’a pas cédé pour la faculté de Médecine de Paris. Mais les voyages à Poitiers me donnent une liberté bien utile.

Nous nous écrivons tous les jours. On se revoit sagement à Noël et organisons une escapade pour la semaine après Pâques : j’aurais des travaux pratiques en retard et nous nous retrouvons à Poitiers. En 1940, Pâques tombait le 24 mars. Du 26 au 30, nous commençons à réaliser notre rêve, sans savoir que nous le finissons aussi.

Le 10 mai, c’est l’offensive et l’horreur. Nous ne nous sommes jamais revus. J’ai reçu des lettres datées jusqu’au 2 juin, dont certaines ne me sont parvenus qu’en 1944. La bataille de Dunkerque a brisé nos vies. La sienne, physiquement. La mienne, moralement, pour de longues années.

La suite, demain, par Ici.....


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