Une folie? Pourquoi pas? Pour célébrer Chopin à l’occasion de son bicentenaire, le palais des Arts de Budapest, la salle de concert moderne dont la capitale hongroise s’est dotée il y a quelques années dans un quartier en complète restructuration au Sud de la ville le long du Danube proposait en un week end un véritable marathon pianistique, l’intégrale de l’oeuvre pour pinao soliste de Chopin confiée à un pianiste de 36 ans, célèbre en Hongrie, Gergely Boganyi. Ainsi se sont succédés 10 concerts d”une heure trente ou deux heures (mais alors avec entracte) séparés les uns des autres par trente minutes de repos (sauf le samedi où public et pianiste ont pu souffler trois heures l’après midi, et deux heures le dimanche). le public qui avait choisi d’écouter les dix concerts était donc à pied d’oeuvre de 10h à 22h environ.
Chopin valait-il cette messe? Evidemment oui, puisqu’à mon retour chez moi je me suis mis à sortir de ma discothèque tous les disques de Chopin (Rubinstein, Horowitz, Ashkenazy, Nat et d’autres), c’est donc que loin de me rendre pour longtemps hermétique à cette musique, cette expérience a au contraire réveillé ma curiosité, pour réentendre telle ou telle oeuvre, pour retrouver d’autres styles dans l’oreille.
Gergely Boganyi mérite d’être mieux connu en France, né en 1974, il a étudié à l’académie Lizst de Budapest, mais aussi auprès de maîtres tels que György Sebök aux Etats Unis et a vaincu de nombreux Prix dont le prix Kossuth, la distinction artistique la plus prestigieuse de Hongrie. C’est un artiste très apprécié et très populaire en Hongrie. Il se présente au public un peu en dandy romantique, cheveux longs, changeant de tenue à chaque concert (pull gris au départ, puis veste et écharpe blanches, puis grises, puis noires, pour finir dans un costume très “music hall” gris brillant!).Dans une exposition dédiée à Chopin dans le foyer du théâtre, il ya même un portrait de lui…
(voir ci-dessous)
Il faut d’abord saluer la performance technique et “sportive”, il semblait même que peu à peu la concentration s’est faite plus forte, la tension plus palpable, l’émotion réelle dès l’exécution dans le deuxième concert alors que le premier concert m’avait semblé un peu froid, avec une “technique impeccable”, mais sans aucun “supplément d’âme”. Dès le deuxième concert en effet, l’exécution tout à fait extraordinaire des 12 études op.10 provoquait un très grand enthousiasme et montrait à la fois une maîtrise pianistique impressionnante, et une approche particulièrement sensible sans tomber cependant dans la sensiblerie. Car le Chopin que nous avons entendu n’a rien de mièvre comme on peut le craindre quelquefois, mais est marqué par une énergie et une intensité rares. A entendre toutes ces pièces les unes après les autres (dont près de 60 mazurkas…) on est frappé à la fois par la variété et les parentés, en amont notamment avec Beethoven, mais aussi en aval avec Rachmaninov, mais aussi , plus étonnant, avec certaines pièces de l’école de Vienne.
Il y eut des moments prodigieux, l’op.22 (l’andante spianato/Grande Polonaise brillante) , les trois sonates et notamment la n°3 en si mineur, l’exécution étourdissante des 24 préludes op.28, et certaines valses (op.18, op.34 n°1) qui ont vraiment marqué” le public par une rare intensité. On pourrait reprocher quelquefois à Gergely Boganyi une trop grande vélocité qui empêche presque d’entendre chaque note, même s’il faut saluer l’agilité technique qui rendent son interprétation des études tant l’op.10 que l’op.25 un des sommets de ces deux jours.
Au total, même s’il est clair que l’expérience est un défi très publicitaire pour le pianiste et l’organisateur du concert (les dix concerts étaient à peu près pleins, la salle était remplie, et même remplie de jeunes, beaucoup se retrouvant d’un concert à l’autre, puisque chaque concert était vendu séparément), ce fut aussi pour le public l’occasion de rentrer en soi, tant le piano, même exécuté dans ces conditions, aide à la méditation.
On ne peut certes rester concentré sur une si longue durée, mais en même temps je me suis surpris de ma fraîcheur à la sortie. On finit donc par s’adapter à ce rythme et même désirer que cela continue…Et Boganyi s’est même offert le luxe de concéder plusieurs fois des bis, un comble pour ce type d’exécution marathon, tellement sa joie de jouer était évidente et sa générosité grande!
Quant à moi cela m’a permis de reconstituer un pan oublié de mon histoire musicale, puisque j’ai abordé Chopin non par le piano, mais par la version orchestrale du ballet “Les Sylphides”, dans un vieil enregistrement dirigé par Jésus Etcheverry et l’orchestre des Concerts Lamoureux où j’ai entendu à 8 ou 9 ans quelques nocturnes quelques valses et quelques mazurkas, ne découvrant que bien plus tard leur version originale au piano. Echos sans doute très forts et très marquants parce que les détails mélodiques, très présents en moi, ont fini par m’envahir en réécoutant ces pièces enfouies et me plonger de manière mélancolique dans “le vert paradis des amours enfantines”.