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On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux

Publié le 02 décembre 2010 par Ruminances

robertbober1285847044.jpgL’ami Gérard Lambert, librairie Voix au Chapitre, Saint-Nazaire, nous fait le plaisir d’un conseil de lecture.

Robert Bober est un subtil défenseur de la vie et de l’humain. Contant des histoires souvent marquées au fer rouge des pires saloperies, il en fait des odes à la tendresse, à l’amour, à l’humour. Son délicieux  Quoi de neuf sur la guerre ?  avait ouvert le ban en 1993. Le roman qu’il nous offre aujourd’hui renouvelle le bonheur de le lire.

Quand Bernard se retrouve figurant dans le film de Truffaut Jules et Jim, il découvre que sa mère a vécu une histoire similaire avec ses deux maris successifs : amours et amitiés indéfectibles. Plongeant alors le nez dans le passé, à partir de quelques photos, il va découvrir la vie des militants du « Bund », réagissant en 1936 aux pogroms polonais ; la rafle du Vel’d’Hiv’ et la disparition de son père dans un camp, nul ne sait où. Il va découvrir aussi les solidarités et les amitiés fortes de ce temps là.

Au même moment, sous ses yeux, c’est le massacre de Charonne accompli par la police parisienne aux ordres du préfet Papon. Puis c’est la manifestation monstre en hommage aux victimes qui s’achève au mur des fédérés, faisant ainsi le lien avec les communards durement punis d’avoir voulu changer le monde. Dans ces rues de Belleville et de Ménilmontant, alors pas encore lego-figées par la « modernisation », on n’a pas la mémoire courte : On a vu la police française rafler les juifs et on se souvient même de Vallès et de Varlin, bien avant. Dans les bistrots, on n’est pas là que pour picoler, quoiqu’on ne crache pas sur un gorgeon, mais on discute, on évoque, on éduque. On chante Le temps des cerises et Bella Ciao. Le vieux à cheveux très blancs qui a connu Bonnot n’est pas là pour faire joli dans le paysage : il sait ce qu’il faut dire au bon moment.

Et, bien que derrière il y ait de la douleur (« Elle avait peur de ne plus me revoir. Hitler lui a donné raison »), rien de tout cela n’est désolant car sauvé par une vitalité à toute épreuve, et un humour comme seul le Yiddishland a su en produire.

Ainsi on passe de Bruant et Couté à Gina Lollobrigida et Burt Lancaster ; on frôle Marcel Cerdan et Doisneau ; on entre au cirque d’hiver avec Zavatta et on se régale de jazz manouche aux puces de Clignancourt avec le fils de Django. On aime Laura et Ruth. Et on finit par se demander, avec Dylan : « How many times… ?». D’une génération à l’autre, les amours, les espoirs, les luttes se rejoignent, s’épaulent, se mêlent, construisent la vie, cet « éphémère » qui est « un fait éternel ».

Robert Bober -- On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux -- P.O.L. 17 €

Gérard Lambert


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