Dans une revue canadienne, j'avais commencé un article en disant que je ne savais pas ce que c'était que de vivre dans un pays du tiers-monde avant d'arriver à Londres...
En Angleterre, à la fin des années 90, toutes les charges, tous les gestes sociaux, sont assumés par des petites entités caritatives. On a la soupe populaire, des distributions de vêtements, des soins pour les malades, tout un ensemble de petits bureaux éparpillés dans Londres sans lesquels ces gens mourraient dans les rues ! C'est encore à ce point là. Il faut voir ce qu'est la réalité à Londres ; voir ces adolescents qui vivent dans des cartons devant les grands théatres, dans le quartier des galeries d'art et des salons de musique ; voir ce que veut dire vivre avec des salaires inférieurs au smic français dans un pays où tout coûte le double ; voir que le seul divertissement des jeunes est d'aller se saouler dans les pubs maintenant ouverts toute la nuit, se saouler jusqu'au coma. C'est le spectacle de Londres le vendredi et le samedi soir ! Je ne comprends pas pourquoi on n'en parle pratiquement pas...Evidemment, il y a toujours le meilleur théatre du monde. Mais ça ne suffit pas !
Les petites librairies ont toutes disparu. Si la situation en France est catastrophique, en Angleterre le problème ne se pose même plus ! Pas de vraies librairies ! Il n'y a plus que des chaînes... Il reste des libraires d'ancien, mais de moins en moins.
Tout cela représente quelque chose de très grave et mon expérience anglaise n'a pas été heureuse !...
Alberto Manguel : extrait de " Ca et 25 centimes " Editions L'escampette 2009
http://www.lechoixdeslibraires.com/livre-76478-ca--25-centimes.htm