Issu de l'excellent site Article XI, ce texte mérite d'être connu, lu et commenté !
Fabien
http://www.article11.info/spip/Droit-de-reponse-Generation
Et le site : Article XI
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Bonne lecture
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Il en ras-le-bol, Mathieu. Marre que les médias parlent en son nom et le rangent dans de petites cases mensongères au prétexte de son âge. Marre de cette étiquette de "jeune", qui permet d’infantiliser et de manipuler toute une (prétendue) "génération". Marre, enfin, de ces raccourcis pas du tout innocents destinés à servir le système. Il le dit ici - colère et cri du coeur.
Droit de réponse : "Génération sacrifiée" ? Sacrifié toi-même
lundi 29 novembre 2010, par mathieu.k
Quand nos magazines et journaux sont las de presser chaque semaine les mêmes éponges, préalablement gorgées de l’eau boueuse qu’a laissée la dernière averse ayant fendu l’air du temps, il leur arrive de titrer sur le malaise social du moment. Du malaise glamour et spectaculaire, si possible. Exit les couvertures où se déploie un populisme faussement naïf concernant le fait que les riches sont riches et se connaissent trop bien. Exit aussi les numéros bigrement indécents sur la meilleure façon de se jouer de la flambée des prix de l’immobilier ou sur le classement "top 50" de ce qui reste de l’hôpital public ; sans parler des séances de veille au chevet du roi à attendre qu’il daigne faire son rôt. C’est le moment que choisissent nos canards pour faire coin-coin à propos du « malaise des jeunes », dressant le portrait d’une jeunesse « sacrifiée » en « mal d’avenir ». Rentrée universitaire oblige, journaleux de tous bords s’appuient sur la nouvelle fournée de statistiques concernant la précarité, le chômage et le mal logement pour déchaîner cette surenchère venant confirmer chaque année que nous n’allons nulle part, de manière à ce que nous soyons tous bien au courant. Soit.
.Gardés à vue
Ce regard jeté sur notre génération apparaît l’être du seul point de vue d’un actif (pris au sens économique du terme). Un actif doté d’un CDI et d’une maison, et s’inquiétant que le jeune ne puisse le rejoindre au sein de ce paradis de l’insertion et de la possession. Ainsi on scrute, on analyse, on dissèque : âge d’entrée sur le marché du travail, proportion de jeunes mal logés, écart de salaires avec les actifs en place, pourcentage de diplômés sur une classe d’âge donnée... L’Insee, l’Ined et toutes leurs copines viennent sentir sous nos bras et vérifier notre dentition, permettant ainsi à d’autres d’établir et de légitimer diagnostics et traitements. RSA, université réformée, CPE, discrimination positive... Pour notre bien. De la même manière qu’on a toujours plaqué sur le tiers-monde des schémas de développement occidentaux, avec le concours d’indicateurs statistiques aux contours d’armes par destination d’un néo-colonialisme offensif, on comprend le « jeune » à l’aune d’une grille d’analyse qu’il faut questionner.
Ce jeune qui trépignerait, les mains moites, dans l’antichambre du marché du travail est en partie une chimère médiatique. Nous travaillons déjà, et ce depuis longtemps pour une bonne partie d’entre nous. A côté de nos études ou à la place de nos études : petit boulot merdique deviendra vrai boulot merdique. L’enjeu n’est pas ici de nier les données macro-économiques concernant le chômage qui frappe nos tranches d’âges, ni les inégalités sociales qui le caractérisent. Mais de souligner que la situation est plus complexe, voire vicieuse. Ce chômage est un formidable outil de pression à la baisse sur nos salaires, et la précarité qui l’accompagne est la clef de voûte de tout un pan de l’économie, notamment le tertiaire. On en viendrait même à douter que quiconque ait un réel intérêt à ce que les choses changent, posture médiatique bien pensante mise à part. Officiellement, on se fait du souci pour nous ; officieusement, notre galère est un poumon économique indispensable. L’exemple des stagiaires est ici outrageusement significatif : 400 euros le mois de travail en fin d’études, soit 2,85 euros de l’heure pour un 35 heures - et avec du dynamisme et de la motivation, s’il vous plaît ! Le Noël permanent du patronat. L’inquiétude concernant nos logements, notre nutrition ou nos loisirs renvoie ainsi aux larmes versées par des industriels philanthropes du 19e siècle concernant les conditions de vie de leurs ouvriers. L’exploitation soutenable maquillée en problématique sociétale.
.Spectres et marionnettes
La mutation du système vers une économie dite de la « connaissance » est - et a été - justifiée par de prétendus défis générationnels. Il s’agissait de sauver une jeunesse, empêtrée dans une inadaptation structurelle par rapport aux désidératas du marché du travail, avec en filigrane l’échec des modèles massificateurs et égalitaristes et l’avènement des doctrines relatives au « capital humain en formation ». La fac est malade, les jeunes sont malades, tu es malade, donc avale ton cachet et va te coucher.
De l’autre côté de l’échiquier social virtuel, la problématique des jeunes « défavorisés », sous-texte poli accompagnant des images de Maghrébins en survêtement, est prétexte à tous les fantasmes. Et s’accompagne de mesures de rétorsion et de l’illusion de nouveaux mécanismes d’ascension sociale, dans des quartiers où les techniciens en charge des élévateurs mécaniques ne s’aventurent plus depuis belle lurette. Pour ceux d’entre eux qui ne veulent pas comprendre tout le bien qu’on leur souhaite, restent la case répression et la prison.
Malheureusement, les sept ou huit stations de métro séparant les biens nés des moins bien nés ne sont qu’un des éléments du fossé réel existant entre eux. Fossé sur lequel travaillent les médias de masse en ne reliant que rarement transgression de la loi et galère du quotidien, différenciant « sauvageons » et « jeunes précaires ». La convergence pourrait être embêtante.
Quant au récent débat sur les retraites, il s’est centré sur le fait qu’il était de la responsabilité de nos gouvernants de ne pas laisser choir sur nos épaules d’affreux déficits tout gros et très méchants. Justifiant et imposant de fait ce que le bon sens économique permettrait pourtant de réfuter. En l’absence totale de sens de l’intérêt général, la politique politicienne se pare de visages juvéniles. Historiquement c’est d’ailleurs souvent entouré de jeunes ou d’enfants que les dirigeants fascistes ont tenté d’adoucir leur image et de justifier l’injustifiable. Problème à résoudre et variable d’ajustement, nous sommes donc aussi un alibi de la réforme et un instrument de communication.
Tantôt brebis égarée, tantôt fraudeur sournois, le jeune justifie alors la réduction tous azimuts de ce qu’il coûte, comme en témoignent les attaques successives sur l’aide sociale ou sur ce qu’il nous reste de minimas sociaux. Tandis qu’on le soupçonne et qu’on le fait parler, une main enfoncée dans l’arrière-train façon Tatayet, le jeune continue à payer taxes et charges sociales, parfois des impôts, et consomme ce qu’il lui reste au gré des niches marketing funs, dynamiques et follement rebelles que lui réservent banquiers, marques d’alcool et autres recéleurs de « choses mortes ». Presque comme un vrai adulte.
Jeunesse « sacrifiée ». On imagine le corps du jeune se vidant de ce qui lui reste de sang, tressaillant des derniers assauts d’un cœur qui s’arrête, au pied d’un autel où un bourreau masqué ferait face à une foule regardant le sacrifié passer l’arme à gauche. Une façon habile d’évacuer l’idée qu’il puisse réellement prendre les armes à gauche. Un mort ne se révolte pas, et les mouvements collectifs auxquels nous participons ne sont que des remake des meilleurs scènes de Romero. La terminologie permettant aux journaleux de caractériser notre génération apparaît comme une castration de toute perspective de conscience et d’action collective. « Les idéologies c’est fini », « Mai 68, tu n’étais qu’un gamète », « La chute du mur, tu as passé des heures à la bûcher pour ton brevet », « Même pas eu l’occasion de pouvoir être trompé par Mitterrand »... Pas le droit de croire aux idéologies du passé, non plus que d’imaginer un quelconque futur collectif. Déjà mort.
Et quand bien même serait-on tenté de fouler le pavé pour réclamer autre chose que ce à quoi on nous destine, grand soin est apporté à la construction d’une parole médiatique présentant un jeune qui n’y comprend pas grand chose ou fait n’importe quoi. Irrationnel. Du lycéen ne sachant pas pourquoi il manifeste au « casseur » seulement présent pour déborder un cortège pourtant pacifique. De l’étudiant minoritaire et masochiste prenant plaisir à sacrifier ses examens au jeune parfois discriminé et toujours méritant qui s’intègre « malgré tout ». Avec pour paroxysme de ces constructions médiatiques de personnages de fiction, le « scandale » des étudiantes se prostituant pour payer leurs études : livre et série télé à l’appui, il s’agirait ici de dénoncer la précarité étudiante via un propos racoleur et odieux tout en alimentant les fantasmes collectifs les plus dégoûtants - et au passage d’occulter tout vrai débat de fond. Forcément, les milliers de mecs qui risquent leur vie tous les soirs pour livrer chez Pizza Hut, ça ne fait pas bander les quinqua libidineux... Quant au jeune qui oserait encore parler d’action directe ou radicale, il a droit, chaque année et au cinéma, à un blockbuster romantique et haletant réécrivant l’histoire des égéries gauchistes dans un évident sens de répréhension morale de la violence. Habile.
.Prendre sa place dans le trafic
Bien qu’il ne soit pas question ici d’exhaustivité ou d’un empirisme que seul permettrait un travail d’enquête, il faut se demander si ce n’est pas cette rencontre violente avec le marché du travail et avec une certaine réalité sociale et économique qui amène certains d’entre nous à retarder ou à saborder leur véritable insertion - et ce plus ou moins consciemment. Quant à ceux qui sont amenés à travailler tôt, par choix et/ou par obligation, faut-il estimer pour autant qu’ils adhèrent à tout ou n’ont pas de conscience politique (au sens large) ? Cela paraît peu probable. Restent les nantis, qui attendent leur tour dans la longue file d’attente vers le club des possédants. Le postulat qui naturalise l’envie d’une classe d’âge d’être salariée le plus vite possible ne correspond pas à la complexité et à la pluralité de nos trajectoires. Se former longtemps ou refuser de se former, apprendre de manière discontinue et en dehors des parcours scolaires ou universitaires, apprendre par plaisir et sans souci de compétences, travailler à droite et à gauche en fuyant l’engagement de long terme, choisir sa mobilité, travailler par passion, assumer ou subir des périodes d’inactivité, vivre de peu et réduire ses besoins… et surtout, ne pas avoir envie de travailler. Tout cela ne colle définitivement pas avec les indicateurs à l’aune desquels on mesure notre malheur. Indicateurs qui en disent par contre long sur les conformismes auxquels on aimerait voir souscrire les nouveaux « entrants ». "L’insertion" est bien une norme, et non une quelconque logique ou état de nature. "S’insérer", comme si tout revenait à un choix entre dedans et dehors. Marche ou Crève. Avec eux ou contre eux.
Refuser cette norme de l’insertion n’est pas pour autant révélateur d’une quelconque « immaturité ». Comprendre qu’on ne vivra pas d’amour et d’eau fraiche, aspirer à un revenu décent, à un toit et à un certain confort matériel, chercher de quoi occuper son temps : tout cela n’est pas forcément synonyme d’un désir ardent de devenir de la chair à canon salariale. Et quand cette impasse du salariat pousse certains à refuser catégoriquement quelque « insertion » que ce soit, le taux horaire du SMIC en vigueur (une heure de travail, un paquet de tabac à rouler) rend compréhensible le recours à des moyens illégaux de « gagner sa vie ». Dans l’attente fébrile d’un stage ou d’un CDD de deux semaines, comme le voudraient les paroles de la berceuse.
.Forcés à faire du violon
Malgré ces remises en cause, le fondement économiquement injuste et inégalitaire qui préside à la situation des jeunes demeure assez évident. En se plaçant sur le registre des symboles, la jeunesse semble répondre à des fonctions catharsiques transcendant le cadre de cette situation économique et sociale. L’équation est complexe.
D’une part, la religion de la contrition mémorielle qui impose les évocations obsessionnelles d’un passé sanglant – en découle une peur maladive du totalitarisme et de l’opinion extrême qui consacre définitivement le relativisme et la pondération : d’entrée, cela colle mal avec les exigences d’absolus et de révolutions.
D’autre part, la romance d’un passé social et politique agité, qui pose des époques références, indépassables car garantes de l’ascendant de ceux qui les ont vécues sur ceux qui les vivent : la drogue brûle l’énergie révolutionnaire, mais le poids de l’histoire la castre tout autant.
Et pour finir, le désenchantement de l’époque, semblant dire que tout est vain et dérisoire au regard de ce qui a déjà été fait ou - à l’inverse - complètement foiré. Rien n’aurait plus de sens, si ce n’est se prémunir de lendemain qui crachent leurs miasmes plus qu’ils n’entonnent une quelconque chanson. C’est dans ce contexte « festif » qu’on demande aux jeunes générations d’être des forces motrices tout en ayant intégré que la fête est terminée.
En allant plus loin, les multiples articles concernant nos maux apparaissent comme un formidable miroir aux angoisses d’une société projetant ses impasses sur ceux dont elle n’attend plus grand chose tout en continuant à espérer un peu. Sans pour autant verser dans la psychiatrie de bas étage, il faut citer ces parents coincés entre l’envie que leur progéniture dépasse ce qu’ils ont construit et la volonté d’assurer la continuité de leur autorité. En transposant cette dualité à l’échelle d’une société, et compte tenu de la tronche de l’époque, on peut entrapercevoir les équations insolubles qu’on somme les jeunes générations de résoudre. Comme un mélomane frustré qui impose une heure de violon à son enfant récalcitrant et n’est jamais satisfait du niveau acquis par le bambin. Mais parfois, l’enfant finit par éclater le violon sur un mur de sa chambre, avec jouissance et sans se soucier du prix de l’objet.
.La faille et l’interstice
Saluons d’ores-et-déjà la principale réussite des jeunes générations en ce début de 21e siècle : exister dans un monde de riverains, d’usagers et de propriétaires. Il y a une performance certaine dans le fait d’être jeune dans un monde structuré autour de la vieillesse. « Puisqu’on est jeune et jeune, puisqu’ils sont vieux et nombreux », aurait pu chanter Saez. C’est ce type de raisonnement mélioratif que ne laissent pas filtrer les statistiques sur le chômage et la précarité. Quelle réaction à l’époque construisons-nous quotidiennement ? Il est plus facile de nous imaginer chialer en attendant devant l’abattoir que de se pencher sur la complexité de nos stratégies défensives et offensives.
Il y a pourtant une riposte à la mesure de l’étau. Une intelligence de la faille et de l’interstice, une capacité à exiger l’impossible ayant pu en partie migrer du terrain des mouvements collectifs à celui de l’intime ou du « groupe affinitaire ». Là-aussi, on parle pour nous et on détermine le seuil maximum de révolte créatrice autorisée. Faire de la récup’ devant les supermarché, cela est agréé. Et même, ils aiment à penser que nous répondons à notre paupérisation par le « système D », riposte considérée comme sympathique et inoffensive. Émouvant comme un jouet fabriqué par un enfant avec un pneu, un clou et deux planches. Personnellement, je pencherai plutôt pour ceux qui se servent directement dans les rayons, faisant de la gratuité un art de vivre, impliquant une technicité et une méthode qui imposent le respect. Ça, c’est de la compétence.
Côté activité productive, ils aiment les auto-entrepreneurs ou la coloration éthique et durable des diplômes. Mais ils réprouvent que certains choisissent le RSA comme salaire indirect d’activités qui ne leur rapporteront jamais rien, et le fassent avec un sourire en forme d’ultime provocation. Et ne parlons même pas de ceux qui travaillent le moins possible. A tout prendre, ils préfèreraient les voir faire de l’associatif ou de l’humanitaire ; que les jeunes s’engagent, mais surtout sans s’engouffrer dans l’impasse du combat politique. Ils oublient que la galaxie associative est scindée, et qu’elle compte aussi l’asso’ dans laquelle on s’engage par idéal, en fuyant certaines formes de salariat, ou tout simplement faute de mieux. Cet associatif-là, qui pallie au fait que l’État providence soit sur répondeur, qui parle encore de cohésion sociale et s’aventure là où personne ne va plus. Cet associatif que l’on soupçonne de faire acte de concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises, et que d’aucuns souhaitent mettre au pas le plus vite possible.
Et puis, il y a les nouveaux fers de lance de l’industrie de la bonne conscience (Afev, Animafac, Promoteurs du Service Civil, ONG). Comme la mafia qui prend le relais dans les zones sinistrées et fait sa marge au passage, ils arguent de positions humanistes pour mettre leur pierre à l’édifice du sous-emploi généralisé, le chaos social et « le jeune » comme matières premières. L’engagement des jeunes où un monde sépare ceux qui colorent leur trajectoire ascendante d’un stage éthique, et ceux qui vouent leur existence à l’activisme.
Pour ceux qui seraient tentés par cet activisme, on préfèrera qu’ils optent pour le standing du statut de « porteur de projet ». Le droit de demander des sous ainsi que la permission d’agir avec l’obligation de faire des courbettes tout en utilisant la langue du pouvoir et en satisfaisant à son cahier des charges. J’aime à penser que ces jeunes-là ont discrètement les doigts croisés dans leurs dos et ricanent même quand ils sortent du bureau. « Les aspects positifs des jeunes énergies négatives », chante le groupe de rock toulousain Expérience.
Le rock et les autres soupapes artistiques destinées à la jeunesse, le ministère reconnaît bien leur existence via les appellations « musiques amplifiées » ou « cultures urbaines » - qu’on subventionne (un peu) afin que le jeune puisse se divertir et s’exprimer (un peu). Mais l’effervescence de l’époque en matière de courants musicaux et plus généralement artistiques, la pluralité des formes et des lieux d’expression et l’avènement de la culture du libre et du gratuit font réagir ; comme si nous avions outrepassé la permission de minuit. Qu’importe : les lois répressives apparaissent bien dérisoires en la matière. C’est trop tard.
Et pour finir, le jeune formé à la citoyenneté il y a quelques années sur les bancs de l’école républicaine semble avoir oublié certaines de ses leçons. En témoignent les taux d’abstention aux récents scrutins nationaux, attestant d’un désintérêt massif des jeunes électeurs pour les rendez-vous politiques obligatoires. Officiellement : irresponsables et individualistes. Mais en réalité ?
Le temps médiatique vit d’une frénétique consommation d’un présent anxiogène, et il laisse peu de place à l’idée que nous puissions créer quand nous ne pleurons pas. Le champ de ruines faisant office de théâtre de nos vies donne à voir une friche symbolique et philosophique sur laquelle nul ne sait ce qui pousse vraiment. Il se peut même que, dans cinquante ans, les petits-enfants de nos journalistes actuels écrivent sur « La folle épopée des années 2000, quand tout était encore possible »... Déclinologie maladive et romance passéiste se passeront alors le relai. Et nous, on se fendra bien la poire, les mains cramponnées sur nos déambulateurs.
S’il est indéniable que le chômage et la peur de l’avenir sont des ennemis équipés et entrainés, évoquer d’autres scénarios qu’une défaite semble impossible pour les plumes des actuels faiseurs de tendance. Lesquelles travaillent et cultivent à l’envi le fossé censé séparer les générations. Les jeunes sont précaires, pauvres et flexibles ? C’est aussi le cas d’une grande partie des actifs, tous âges confondus. Et il faut se demander si cette catégorie sociologique et médiatique du « jeune » n’est pas une construction artificielle de plus au service d’un certain ordre social : l’opposition entre jeunes et vieux est décidément bien utile à la castration de tout ce qui dépasse. À l’image des figures de « l’étranger », du « profiteur » ou du « délinquant », participant chacune à leur manière à la survie du système social et économique, et ce au-delà de leurs éventuelles réalités statistiques. À quoi et à qui sert le jeune, alors ? Pour piste de réponse, un ami me renvoyait récemment aux travaux du dénommé René Schérer qui s’est posé la question suivante : « Parlons nous d’enfant ou de mineur ? » Au sein des rapports de domination, de subordination et à l’aune des mécanismes de tutelle à l’œuvre à l’école, chez le banquier, au travail ou en maison de retraite, n’y a t-il pas une continuité entre le statut de mineur et de celui de citoyen/salarié ? Est-ce que le premier sas n’est pas un simple conditionnement au second ? Ne restons-nous pas mineur toute notre vie ? Au-delà des âges et des humeurs transitoires, il y a là sans doute un défi à relever, dans le dépassement de ce qu’on associe abusivement à cette étape de la vie et dans la déconstruction de l’articulation prétendument logique et naturelle entre jeunesse et âge adulte, entre fougue irrationnelle et renoncement conformiste.
-Pour conclusion, cette lettre reçue hier de la part de mon copain le banquier :
« Bon anniversaire !
25 ans, une étape importante, vous allez ou venez d’entrer dans la vie active.
Les propositions du crédit agricole franchissent aussi à cette occasion une étape :
- Vos attentes par rapport à la gestion de vos comptes ont sans doute évolué ?
- Vous avez peut-être des projets immobiliers ?
- Vous souhaitez vous installer dans la vie active ?
Pour répondre à vos interrogations je vous invite à me rencontrer le plus rapidement possible.
Vous souhaitant une nouvelle fois un heureux 25ème anniversaire !
Votre directeur d’agence. »
Cher directeur d’agence, ça me fait plaisir que tu penses à moi, même si je ne comprends pas tes mots.
Cher directeur d’agence, il y a des sentiments et des phrases que la lucidité et la raison inhérentes à l’époque dans laquelle j’ai grandi m’interdisent, mais je vais tout de même tenter de t’en livrer l’essence. Cela me coûte beaucoup, donc excuse ma fébrilité.
Cher directeur d’agence, j’ai 25 ans et je t’emmerde.