On ne le dit pas assez, mais la grande force du site people Purepeople réside dans la qualité des plumes de sa rédaction. Ainsi, à chaque mise en ligne du Cabinet des Curiosités, j'attends fievreusement la critique de Purepeople, en particulier celle de Guillaume Joffroy, son spécialiste musique. A chaque fois ,c'est une expérience de "belles lettres", un bijou aussi bien dans le storytelling que dans le décryptage. Une rareté dans le "journalisme web" qui est plus adpete du copier/coller communiqué presse ! Je ne résiste pas à vous présenter son papier sur le Cabinet des Curiosités sur Edouard Baer, tout est dedans !
"Edouard Baer est-il un concept ? Vu de l'extérieur, c'est une question presque légitime, tant il est malaisé de connaître le fin mot sur cet artiste polymorphe et magnétique, notoirement adepte des... fins mots. Indiscutablement, ses prises de parole, juteuses et ciselées dans l'instant, sont à notre époque - et n'en déplaise à ce grand timide - aussi nécessaires que le fut la Minute d'un certain monsieur Cyclopède. Aussi sa rencontre avec le farfouilleur d'introspections Darkplanneur, pour un nouveau numéro de son Cabinet des curiosités effectivement consacré, comme vous allez le vérifier, à une bête curieuse, recelait-elle de belles promesses.
Et, déjà, celle-là : si le personnage public d'Edouard Baer peut être envisagé comme un concept, y compris à l'aune de son impressionnant pedigree artistique d'érudit loufoque, l'homme médiatique - qui ne l'est en réalité pas du tout - est, lui, chevillé dans un désir inextinguible et inexpugnable d'humanité. Son actualité du moment, qui irradie immanquablement l'entretien, en est une preuve flagrante, s'ajoutant à une filmographie éloquente et éclectique qui va de la panouille et du morceau de bravoure plus vrai que nature (au hasard... Otis le scribe) à la composition la plus vibrante de sincérité ou d'imparfaite humanité (Je pense à vous, Un monde à nous...) : dès le 1er décembre, Edouard Baer sera l'un des deux héros d'une amitié particulière, dans Mon Pote, pour lequel il incarne, sous la direction de Marc Esposito (spécialiste des réalisations à valeur humaine ajoutée) et au côté de l'excellent Benoît Magimel, un patron de presse qui fait une rencontre cruciale avec un taulard.
"Je ne cherche pas l'adhésion de 51% des Français. Je me sens entièrement libre. Je ne vous dois rien."
Baer décortiqué, psychanalysé sous la houlette de Darkplanneur ? Un programme alléchant ; un programme... miam miam - pour paraphraser le titre de la pièce comique du trublion, nominée cette année pour un Molière. On connaît bien l'effervescence oratoire du gaillard, véritable "work in progress" vivant dont les faits d'armes sont, pour certains, autant de dissertations sur la place de l'acteur. Mais l'exercice du discours sur soi s'avère délicat : "Je ne suis pas mystérieux, je suis discret. Moi, je ne suis pas un politique ; je ne cherche pas l'adhésion de 51% des Français." Paf. Une lecture lapidaire de la politique à la calculette idéologique. Corollaire : "Donc je fais ce qui me plaît. Je me sens entièrement libre de répondre ou pas aux questions. Je ne vous dois rien. Vous non plus." Une liberté qu'il employa allègrement sur Nova et Canal+ (La Grosse Boule, le Centre de Visionnage), dans un glorieux passé hélas révolu dont même Jamel Debbouze se souvient bien. Après un prélude baerien, décontracté et insensé, Edouard sautant d'un tic de Gabin à une impro de groom pour congédier le sieur Magimel, le deal avec Eric Briones, alias le Darkplanneur, est scellé. Après, aussi, une intro désopilante en forme de joute fantasmée (ou pas ?) avec son agent sur l'intérêt de se livrer en pâture au Darkplanneur - c'est "concept", ça aussi !
Contrairement à ce que son débit et son éloquence pourraient laisser croire, rien n'est dit gratuitement, quand Edouard Baer s'exprime. D'ailleurs, il "n'improvise pas du tout, au cinéma" ; il ne le ferait que sur invitation et moyennant le remboursement de la pellicule : "Au contraire, je peux être un peu trop respectueux, parfois, comme ça m'intimide d'être choisi par un metteur en scène. Parfois, je sens qu'on devrait partir ailleurs. Il n'y a que dans mes trucs à moi que j'improvise..."
"Je suis très gêné par l'impudeur de la télévision"
"Je parle de ce qui m'intéresse", voilà ce qu'il érige en credo, et, partant, en gage de respect. Un respect qu'il entend témoigner au public, et dont il aspire à être servi de retour : "Je ne veux pas être président de la République, donc je ne cherche pas à arrondir les angles, ou à être aimé, ou à lever des voiles (...) sur des pseudo-secrets, le dévoilement de l'intime. Voilà. Je suis très gêné par l'impudeur de la télévision." Comme pour la politique, suivez son regard : les allusions sont des tirs millimétrés.
Rebondissant sur un extrait de Mon Pote, Darkplanneur amène l'entretien sur le terrain de l'amitié... en vrai. Et de citer cette "amitié déçue" dont Ariel Wizman et François Rollin, deux anciens complices notoires d'Edouard Baer, ont fait état. Répondra ? Répondra pas ? Baer, finalement, y va : "C'est compliqué quand on est un duo et que l'un des deux préfère faire de la fiction plutôt que du journalisme. Ariel, à l'époque, l'a peut-être vécu comme une trahison professionnelle. On nous avait proposé de reprendre Nulle Part Ailleurs, ce n'était pas le métier que je voulais faire (...) C'est compliqué quand l'amitié et la vie professionnelle sont très liées..." Un malaise léger s'installe, Edouard Baer cherche à se tourner vers son interlocuteur, et ponctue : "Je crois que ce sont des affaires privées plutôt que des affaires publiques." Un "je crois" aux allures catégoriques.
Curieux, vous avez dit curieux ?
Car les "affaires privées", pour Edouard, sont de la plus haute importance, quitte à être à contre-courant, en résistance à la mode : "Tout le monde a l'air d'adhérer à la phrase : "Ouh là là, moi je ne veux pas de prise de tête, je veux qu'on m'foute la paix, j'veux être peinard." Ça s'appelle la mort. C'est très simple. Ou les nanas : "Oh ben moi c'est zéro prise de tête, j'veux pas un mec qui me prenne la tête." Ah ben ça, dès qu'il y a du sentiment, y a de la prise de tête (...) Je crois qu'il faut accepter de se laisser un peu déranger." S'il y a du bruit dans l'appartement d'à côté, c'est intéressant de réfléchir pourquoi. C'est pas forcément juste des travaux. Si c'est des travaux, c'est intéressant d'aller voir si c'est un mec polonais sans papiers, d'aller parler avec lui ; si c'est des cris, si c'est quelqu'un qui est cogné par ses parents... C'est intéressant d'aller voir quand il y a du bruit."
Pas de voyeurisme, ici. Pour cela, il y a, là encore, la télévision impudique : "Sans curiosité, on regarde le mur, qu'on peut appeler télévision ou autre chose..." Mais un humanisme : "C'est une manifestation de vie, d'être curieux de l'autre. Quand on se fait interviewer toute la journée, il faut se rattraper en allant interviewer des gens."
Ni dandy, ni solitaire : un bon compagnon de route...
"Un journaliste de Paris-Match des années 1960, ou bien un héritier vénitien en 1973 qui se balade à Rome" sont tout proches de naître en direct lorsqu'il évoque ses petites élégances d'uniforme et flagelle le dandysme. Bientôt, c'est une Liliane Bettencourt fantasque qui jaillira de son imagination en même temps que des pages de la presse, maculées du scandale d'Etat, pour le film Frais de riches. Dans la peau de la milliardaire, il intronisera le merveilleux Jean Rochefort, qui fut son acolyte dans Akoibon (2005). Une belle amitié masculine, comme celle développée dans Mon pote.
Darkplanneur ne manque pas de souligner le goût de longue date de son invité pour le duo : "C'est un goût, convient volontiers Edouard Baer. C'est comme la cour de récré - jouer avec quelqu'un. Jouer avec le public, avec la caméra, je trouve que ce sont un peu des inventions de l'esprit. Je ne suis pas un solitaire. J'aime bien jouer avec quelqu'un, dans l'oeil de quelqu'un."
Plus encore que jouer, être avec quelqu'un. L'essence même de la socialité, et d'une intimité authentique. Comparé - et flatté de l'être - au génialissime Bill Murray, grandiose dans ses récentes compositions, Baer constate : "Broken Flowers, c'est là que je me suis dit qu'un road-movie réussi, c'est ça. C'est quelqu'un avec qui on veut être en voiture. C'est pour ça qu'Eldorado est un film merveilleux, aussi - être en voiture avec Bouli Lanners, il peut nous emmener n'importe où. Bill Murray aussi. Il peut s'arrêter prendre un café une demi-heure, il peut arrêter l'histoire, on est bien avec lui, on s'en fout."
Avec Edouard Baer, itou."