Gouverner c’est prévoir. Jean-Claude Trichet, a beau assurer que ” la stabilité financière de la zone euro ne peut pas être mise en cause de manière grave, même si la situation est un problème en ce moment“, le doute subsiste.
“Les opérateurs ont des difficultés à comprendre les mécanismes en Europe, et ceci n’est pas nouveau, nous l’avons déjà observé dans le passé“, déplore le président de la BCE qui regrette de leur part “une sous-estimation flagrante de la détermination des gouvernements européens et des décisions prises en ce moment“.
Ca dira-t-on, c’est la vision optimiste. Celle qui rappelle que la construction européenne n’est pas linéaire, qu’elle n’est pas un long fleuve tranquille mais qu’au contraire toutes les avancées sont le résultat des crises traversées.
L’évolution de la position Allemande depuis la crise Grecque, notamment sur la création d’instruments de solidarité financière, illustre ce mode de construction irrationnel qui ne lasse pas de surprendre à l’extérieur du vieux continent.
Pour autant, le sauvetage irlandais peut être vu comme une bouteille certes à moitié pleine mais aussi à moitié vide. Si les mécanismes de solidarité ont joué, des points forts de blocage subsistent.
Tout d’abord le refus des Etats à voir remise en cause leur souveraineté sur leur politique fiscale comme le démontre l’épisode Irlandais d’autre part, le veto opposé par l’Allemagne à voir la zone euro dotée d’un budget.
Incontournable Allemagne qui après cinquante années d’humiliation, tentée par le repli sur une nation enfin réunifiée, rechigne à assumer le rôle de leadership qui échoit naturellement à la première économie du continent.
Le problème de l’Europe et de l’euro c’est qu’ils se trouvent aujourd’hui au milieu du gué. La création d’un marché unique a été certes suivie de la création d’une monnaie elle aussi unique mais, le coup de rein final, la mise en place d’un gouvernement économique et d’un fédéralisme fiscal, apparaît hors de portée faute de chefs d’Etat à épaisseur historique.
La situation se prête au mot de William Athur Ward pour qui, “Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles“. ”
“Réaliste” est le qualificatif que revendique Christian Saint-Étienne qui prédit, sans s’en féliciter, l’éclatement de la zone euro dans les 18 mois à venir. L’économiste fonde son diagnostic sur la trop grande disparité entre les économies de la zone euro et l’opposition de l’Allemagne à un gouvernement économique et un fédéralisme fiscal.
Pessimiste, il estime que le problème de l’euro orphelin d’un état ne sera jamais surmonté. Se voulant lucide et pragmatique, il juge qu’il serait dangereux de ne rien faire, de laisser le chaos s’établir et préconise l’amputation à la gangrène.
Sur le papier la proposition se tient. Elle viserait à la scission de la zone euro en deux entités.
Une zone Nord constituée de 6 pays à l’économie compétitive (Allemagne, Benelux, Autriche, Finlande), caractérisée par un modèle tiré par la production et un commerce extérieur excédentaire.
Une zone Sud (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Irlande) dont l’économie est tirée par la consommation mais handicapée par de lourdes importations en raison d’une économie en déclin, moins compétitive. Ces mauvais élèves pourraient bénéficier d’une remise à niveau en termes de compétitivité par une dévaluation de l’ordre de 20% de l’euro actuel. Cette bouffée d’oxygène qui leur serait offerte bénéficierait également à l’Allemagne dont 50% des exportations sont destinées à ces pays du sud.
Pour Christian Saint Etienne le problème n’est pas que des disparités existent mais qu’il n’y a pas de gouvernement économique doté d’importants moyens de redistribution comme c’est le cas dans un État unitaire classique.
Le schéma prôné par l’économiste Français est partagé par l’ancien patron des patrons Allemand Hans-Olaf Henkel mais pour des raisons différentes notamment le rejet d’une péréquation des richesses dont auraient abusé les cigales du Sud.
C’est la solidarité, fondement de l’Union, qui est en jeu. Solidarité européenne des états les uns envers les autres mais aussi des communautés internes aux états à l’image de ce qui se passe en Italie ou en Belgique.
A trop tirer sur la corde du devoir de générosité et de la solidarité de l’Allemagne, le risque est que la corde effilochée casse. La réduction pour un temps des ambitions, son adaptation aux réalités et contraintes du moment est peut être un moindre mal pour sauvegarder une construction européenne qui demeure le meilleur bouclier pour les nations européennes, portions congrues d’un monde dont le centre de gravité est désormais en Asie.
Après la concurrence dévastatrice des économies au sein de l’UE, c’est bien aujourd’hui une nécessaire complémentarité qu’il faut trouver.
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