Une génération qui naîtrait libre du VIH et du sida, c’est possible – et c’est en Afrique que tout pourrait se jouer.
Aujourd’hui, le VIH et le sida pédiatriques sont en passe d’appartenir au passé presque partout dans le monde. Partout, sauf en Afrique — et dans quelques autres régions qui n’ont pu bénéficier d’une décennie de progrès réalisés dans l’utilisation de médicaments antirétroviraux pour empêcher la transmission du VIH de la mère à l’enfant.
Aujourd’hui, neuf femmes enceintes séropositives sur dix vivent en Afrique ; idem pour neuf enfants séropositifs sur dix. Un millier de bébés naissent chaque jour sur le continent africain avec le VIH. La majorité d’entre eux ne recevront aucun traitement. Faute de soins, 50 % d’entre eux mourront avant leur deuxième anniversaire.
La mort tragique de ces enfants devrait nous scandaliser tous, d’autant plus que ces décès pourraient être évités. Nous avons les moyens de prévenir la transmission du VIH de la mère à l’enfant partout dans le monde et le moment est venu de nous en servir pour sauver des centaines de milliers de vies en Afrique. Le moment est venu de reconnaître que puisque nous pouvons quasiment éliminer le VIH et le sida pédiatriques, nous devons le faire.
Ce n’est pas une question de connaissances : au cours des dix dernières années, nous avons appris beaucoup sur le mécanisme de la prévention de la transmission materno-fœtale, le fait d’empêcher le virus de passer de la mère à l’enfant. C’est maintenant une question de priorités et de volonté politique.
D’abord et avant tout, il faut que les gouvernements africains s’engagent systématiquement à inclure dans leurs budgets de santé publique des fonds consacrés à la prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant. Seuls cinq des 53 pays africains ont tenu les promesses faites lors de la Déclaration d’Abuja, par laquelle ils s’engageaient à allouer au moins 15 % de leur budget annuel aux soins de santé. Et ils sont très peu nombreux à consacrer des fonds au VIH et au sida pédiatriques.
Certains pays cependant prennent des mesures. Le Kenya, par exemple, s’est fixé un objectif ambitieux : faire passer les infections pédiatriques au VIH de 27 % à 8 % d’ici à 2013. L’an dernier, le gouvernement kenyan a affecté 11,25 millions de dollars à l’achat d’antirétroviraux pour les femmes enceintes. Le pays s’évertue aussi à combler des lacunes graves dans le programme de prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant avec, entre autres, de nouvelles initiatives destinées aux communautés les plus éprouvées et souvent les plus difficiles à atteindre.
Nous sommes encouragés par ce type d’initiatives ambitieuses prises par le Kenya et d’autres pays comme l’Afrique du Sud et le Nigéria, qui procèdent à des modifications historiques de leurs politiques en matière de VIH/sida. Nous espérons que d’autres gouvernements africains les suivront rapidement sur cette voie.
Une génération libérée du VIH et du sida, c’est également un impératif mondial, qui exige un engagement renouvelé de la part des bailleurs de fonds, des institutions internationales, de la société civile et du secteur privé.
Nous devons tous nous focaliser davantage sur une transposition à plus grande échelle des solutions efficaces – et accroître les investissements dans ce domaine – afin que les centres de santé disposent de suffisamment de personnel et de matériel et qu’un plus grand nombre de femmes et de nouveau-nés bénéficient d’un dépistage précoce et d’un traitement antirétroviral suffisamment tôt pour empêcher la transmission du virus.
FIXER LES PRIORITÉS
Des fonds supplémentaires sont aussi nécessaires pour élargir l’accès aux soins, aux traitements et à une prise en charge de qualité pour les femmes et les enfants séropositifs. Et il ne fait aucun doute que nous devons investir dans des moyens innovants pour atteindre les femmes et les familles les plus pauvres et les plus vulnérables.
Le mois dernier, le Kenya a été le premier pays à commencer la distribution des “Packs maman-bébé”, des kits à emporter à domicile contenant tous les médicaments nécessaires pour protéger la santé d’une mère et de son nourrisson – même si elle vit dans un endroit reculé, loin de tout dispensaire. Cette initiative prometteuse a été mise au point par l’Unicef, l’OMS, Unitaid et d’autres partenaires. Bientôt, le Cameroun, le Lesotho et la Zambie commenceront, eux aussi, à distribuer les “Packs maman-bébé” pour accélérer la prévention de la transmission mère-enfant chez eux.
La clé du succès réside à l’évidence dans le partenariat, à tous les niveaux. La campagne pour l’élimination du VIH/sida pédiatrique, un partenariat de la société civile africaine, veut mobiliser les actions contre ce fléau, dans six nations africaines pour commencer.
Le Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, un partenariat public-privé, met à disposition des sommes considérables pour élargir la prévention et le traitement du VIH en Afrique. Le mois dernier, les promesses de dons au Fonds ont atteint 11,7 milliards de dollars. Les Etats-Unis ont augmenté de 38 % leur promesse de contribution et il est encore temps pour plusieurs nations du G20 de s’engager. Mais les niveaux de financement actuels suffisent à peine à maintenir les initiatives en cours.
Or, le continent africain ne peut se permettre d’attendre. Faute de financements suffisants, moins de la moitié des femmes enceintes séropositives en Afrique subsaharienne recevront les antirétroviraux qui pourraient prolonger leur vie. Sans ces médicaments, près de 40 % des bébés qu’elles mettront au monde seront infectés par le VIH. Avec les médicaments, ce taux chute à 5 %.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. A nous de faire un choix, à nous de fixer les priorités. C’est une question de vie ou de mort. En cette Journée mondiale de la lutte contre le sida, nous devons tous réaffirmer notre engagement à sauver des vies – en prenant des mesures audacieuses dès aujourd’hui pour libérer l’humanité du sida, en Afrique et partout ailleurs.
Desmond Tutu est aussi président honoraire de la Global AIDS Alliance
Desmond Tutu, archevêque émérite du Cap, et Anthony Lake, directeur général de l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance)
Source : lemonde.fr