n parle beaucoup de Wikileaks ces temps-ci. Ou plus précisément de ce que d'aucuns nomment le Cablegate, c'est à dire la publication d'environ 250000 rapports confidentiels en provenance d'ambassades américaines. 250000 documents apparemment fournis par un analyste de l'armée américaine, Bradley Manning, sur un CD puis transmis à Wikileaks. Analyste qui croupit en tôle depuis le 26 mai dernier...
Je ne parlerai pas du contenu de ces documents , pas plus que des déboires de son fondateur, Julian Assange, et m'en tiendrai à quelques commentaires sur cette avalanche de références à Wikileaks.
D'abord, à l'instar de précédents documents récupérés en sniffant le trafic sur des nœuds de sortie Tor, trafic dont on sait depuis longtemps combien il peut se révéler intéressant, c'est d'abord la facilité avec laquelle cette énorme quantité de documents ont pu fuiter. Si le coup de Tor était à classer dans Epic Fail, celui-ci n'est pas très loin de se qualifier pour la même appellation. En effet, avec tout ce qu'on nous raconte sur la compartimentation et le besoin d'en connaître, les impératifs de traitement de l'information confidentielle, les contrôles et autres mesures de sécurité nécessaire, ça fait limite sourire qu'un analyste lambda puisse récupérer plusieurs centaines de milliers de documents confidentiels et les sortir comme si de rien n'était. Au point que le président américain se sente obligé de nommer un monsieur anti-fuites...
Les esprits taquins feront remarquer que si Confiker arrive à entrer sur des clés USB diabolisées depuis des lustres, il n'est guère étonnant que des informations parviennent à sortir sur un CDRW étiqueté Lady Gaga. D'un autre côté, on fait face ici à la quadrature du partage d'information : comment partager l'information tout en conservant un niveau cohérent de compartimentation. Beau challenge dont le point d'équilibre, nécessairement instable, est d'autant plus difficile à trouver qu'il se déplace au gré des évènements...
Ensuite, j'avoue que ce phénomène Wikileaks me laisse un peu perplexe. Sans aller jusqu'à crier à l'escroquerie comme Robert Graham, il y a tout de même de quoi se montrer circonspect. Car si je trouve également que Wikileaks fait clairement dans le show, plutôt que dans la diffusion de documents factuels, je trouve inappropriée la comparaison avec Cryptome. Ce dernier se définit comme une ressource dédiée à mettre à disposition du public, entre autres, des documents fuités, alors que Wikileaks se veut un média visant à fournir "des nouvelles et des informations importantes au public".
Une organisation certes à but non lucratif, mais bel et bien à but médiatique. Ce qui implique tout un tas de choses, mais pas en tout cas qu'elle soit, comme tout le monde semble s'obstiner à (vouloir) le croire, une source d'information objective ou une archive documentaire complète et durable. D'ailleurs, l'expérience nous montre exactement le contraire. Pas mal de documents récupérés par le passé n'ont pas été publiés, certains ont été fournis en exclusivité à des journaux dans le cadre de partenariats, d'autres précédemment mises en ligne ont été retirés depuis au profit des dernières fuites du moment. Sans parler de ceux qu'on semble nous promettre pour la suite. On est donc bel et bien dans un process de médiatisation.
Enfin, je suis quelque peu déçu par le traitement qu'en fait ce deuxième filtre qu'est la presse traditionnelle. Comme si le fait que Nicolas Sarkozy soit pro-américain puisse être un scoop à la hauteur de la couverture qu'on lui donne, à côté, par exemple, du déroulement chaotique des élections présentidentielles en Côte d'Ivoire... Le tout à comparer avec d'autres révélations possiblement plus intéressantes, en tout cas nettement plus impactantes à mon avis.
Bref, tout ça pour dire que si Wikileaks peut fort bien servir d'exemple pour illustrer l'impact de la fuite d'information en séminaire de sensibilisation, son action ait un penchant médiatique un peu trop prononcée pour réellement servir les idéaux qu'on lui prête...