Tortue

Publié le 01 décembre 2010 par Jlhuss

« Reptile chélonien à quatre pattes courtes, à corps enfermé dans une carapace, à tête munie d’un bec corné, à marche lente. »
La « marche lente », le fameux  « train de sénateur », pardonnez-moi, Robert, c’est précisément l’idée reçue dont le lièvre de la fable fait les frais. Posez votre tortue ici, tournez le dos deux secondes  : disparue. Sa vitesse dépend du soleil et du mois : s’il darde en août, elle impose un train d’enfer à son mobil home ; s’il se voile en septembre, elle pilote une roulotte. Une sorte de bête à dynamo, vivace comme on la frotte. Si rapide à ses heures que Noé dans l’Arche, butant partout sur ce caillou à pattes, crut que ses deux chéloniens avaient fait des petits !

Enterrée l’hiver avec notre envie de chemisette, elle ressort chaque fois du Tartare, d’où son nom, tartaruca. Vaincre annuellement la mort, remonter des Enfers en jouant de sa lyre comme Orphée, ça lui donne une longévité remarquable avec une sorte de sagesse antique et obstinée qui doit beaucoup à l’étymologie latine : testudo, têtue, qui a de la testa, de la caboche, de la calebasse, de la cruche.

Si l’on connaît une tortue raisonnable, qu’on me la présente. Sur la bonne dizaine que j’ai eue depuis l’enfance, aucune, comme les chèvres de Monsieur Seguin, n’a tenu plus de deux ans chez moi. Elles n’avaient qu’une idée : voir ailleurs, et trouvaient toujours le trou de la clôture pour s’en donner les moyens.

La tortue arpente le périmètre imparti, et, comme elle n’a pas la mémoire des chiffres, elle recommence vingt fois, un tour à l’endroit, un tour à l’envers. Heureusement qu’elle se couche tôt !

Testudo, tortue, c’est aussi le nom, comme on sait, d’une formation militaire des Romains, conçue le jour où une vingtaine de soldats trouvèrent plus futé d’avancer en se couvrant du bouclier la tête ensemble, plutôt que la poitrine chacun de son côté. N’en déplaise à Jules César et Pierre Grimal, je flaire là une trouvaille de jour de pluie, montée en recette in extremis comme la tarte Tatin. Je connais une tortue qui, quoique toute seule sous sa carapace, fonce ainsi sur l’ennemi sans dévier. Le chat assis voit venir de loin cet ovni, se dit que le boulet infléchira au dernier moment sa trajectoire : non, c’est le félidé qui esquive avant l’impact.

Ma dernière Herman en date était un mâle, mais on disait quand même une tortue, alors que son drame était précisément de ne pas en avoir… Fatigués de le retrouver juché sur une courgette après avoir brouté deux salades, nous avons  renoncé au potager. Sa passion s’est fixée dès lors sur ma chaussure droite, puis les deux, puis toutes celles des visiteurs. Le tortue reniflait tendrement, mordillait, avant d’entreprendre l’escalade. C’était une attraction de nos garden parties.

Jusqu’aux années soixante, on achetait les tortues terrestres chez le poissonnier, empilées comme des melons. Combien finirent en soupes ? Les aquatiques s’acquièrent toujours librement, mignonnes comme des soucoupes, mais si voraces qu’en quelques mois elles emplissent le bocal. Pour éviter les frais de viande crue et d’agrandissement, le plus court est de balancer les monstres dans l’étang d’en dessous, et c’est ainsi que  la planète s’uniformise.

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Proverbe du jour :  Plutôt une petite chambre en dur qu’une suite dans les idées.