Nostalgie burelière

Publié le 01 décembre 2010 par Francisbf

La plupart d'entre vous le savent déjà, je suis un putain de gros sentimental. Ouais, on se change pas, hein.

Du coup, de me rendre compte là, d'un coup, que je vais devoir quitter le bureau dans lequel je passe mes journées depuis un an, ça me fiche un vieux coup de bourdon derrière les oreilles. Je m'y étais attaché, comme à un petit enfant lépreux que j'enjamberais tous les jours, régulièrement, sans oser lui jeter un regard ou un sou, mais qui serait mon petit lépreux. C'était mon bureau. Je le partageais avec deux ou trois autres personnes, certes, mais c'était quand même le mien. J'arrivais tous les matins en taxi, ça me prenait entre cinq minutes et quarante-cinq, si le taximan s'était mis en tête que le Bel-Air que je lui indiquais comme destination était du côté de Philadelphie et hanté par Will Smith (ça semble arriver relativement souvent. Ce matin encore, le taximan essayait de me convaincre que Bel-Air, où je vais depuis un an, que je donne comme adresse depuis un an, et qui est l'intitulé officiel du centre de recherches que je fréquente, c'était pas là, et que je lui avais mal indiqué. Hahum. Bon, mettons que nommer Bel-Air un quartier traversé par la route des Hydrocarbures n'est certes pas très logique, mais quand même.)

J'arrivais donc, je contournais la Case de l'Amiral que je pénétrais par derrière (oui, nous logions chez l'Amiral, on était pas n'importe qui), je grimpais les escaliers, empruntais un couloir sombre, arrivais au bout en tâtonnant, guidé par le ronronnement de l'onduleur qui voulait dire « va, n'aie crainte, internet t'attend », puis bifurquais pour arriver au bout du bout, je fouillais dans ma poche, en extrayais ma clé avec son trombone-porte-clé, l'insérais dans la serrure, tournais à l'envers, allumais la lumière et entrais dans mon antre où je posais mon sac, allumais mon ordi puis la climatisation antique qui crachait son air froid avec des râles d'asthmatique agonisant, avant de m'affaler sur mon fauteuil pour une nouvelle journée intense à mater la petite culotte de la fille dans le caddie sur l'affiche d'en face (Merci la Vie. Titre approprié.)

J'aimais bien mon bureau. Il avait une petite touche museum du XIXème, avec son éclairage poussif au néon qui illuminait difficilement la pièce obscurcie par ses rideaux à fleurs aux tons pastels, avec ses étagères en bois montant jusqu'au plafond et couvertes de bouteilles en plastique pleines de machins indiscernables dans leur placenta formolé, qui traînaient là depuis des des temps immémoriaux, leurs étiquettes indéchiffrables depuis longtemps, oubliées même des personnes qui les avaient recueillies. Il y avait des vieux coquillages puants dans un seau planqué dans une armoire, puis des trucs, et des machins dans des vieux sacs déchirés et poussiéreux, de vieilles blouses datant d'avant le changement de nom de l'institut et inutilisées depuis, des halogènes bancals, des cartons avec des vieilles grolles pleines de terre, et partout, l'odeur de la sueur rance du thésard acharné.

Le quitter sera dur, c'est pourquoi j'ai décidé d'en garder un peu avec moi.

Nous avons fait un grand ménage. Apparemment, ça faisait un bail que ça avait pas été fait (le patron avait demandé que ce soit fait en 2006, quand il rentrait en France, mais bon, y'avait plus urgent, hein, on fait de la Science dans un institut de recherche, hein!).

Et au passage, j'ai donc (avec l'autorisation du Très-Haut) emprunté les machins qui servent à rien, mais que bon, quand même, quoi, je voulais pas les vouer aux gémonies des dépôts d'ordures dakarois (et que comme dit le Patron, à la poubelle ou chez moi, c'est pareil. Merci Patron).

Me voici donc le fier propriétaire d'un petit tas d'émetteurs à la con, jamais utilisés et inutilisables depuis longtemps. Des machins qu'on introduisait dans le bide des poissons (des gros poissons, quand même). On ouvrait avec un scalpel, puis schlouip, on mettait ce machin gros comme une pile AA, on laissait sortir le fil pour émettre, et on recousait, puis hop, à la baille l'aïmara. Et après, on pouvait le rechercher avec une antenne réceptrice.

 

Là, j'ai mis un Prince de Lu pour avoir l'échelle. Oui, ça ressemble un peu à un Tampax, ce truc. Sinon, vous aimez le motif de mon canapé ? Je le trouve chaleureux, moi.

Mais c'est pas tout, hein ! J'ai aussi un magnifique Topofil Chaix, ou mesureur à fil perdu. En gros, un machin qui tire un fil derrière lui pour mesurer des longueurs, et même des largeurs.

Bon, il n'y manque que le fil. Certes, ça le rend totalement inutilisable, mais au moins, il est joli et poussiéreux, et c'est bien ce qui compte.

Comme pour ce machin, là. Il a un écran et des boutons, et un papier collé dessus pour expliquer ce que ça fait d'appuyer sur les boutons, alors j'ai pas pu résister, quoi. D'autant que y'avait un fil qui se branchait dessus avec une prise bizarre, hein !

Apparemment, ce serait une machine pour rentrer directement les données de pêche ! Trop génial !

Il a été en service jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'on trouve une technologie plus adaptée, permettant une plus grande fiabilité des données récoltées et une correction a posteriori (connue sous le nom de « du papier et un crayon à papier », technologie encore utilisée de nos jours).

N'empêche, je l'aime, ce Microscribe plein de boutons, moi. Et je le garderai !

Puis j'ai aussi trouvé un autre machin. Encore mieux ! Parce que je pourrai l'utiliser ! C'est une magnifique combinaison une pièce. On n'a pas compris à quoi elle servait, mais elle est classe ! Et ça vient du Luxembourg, hein !

À mon avis, c'est au cas où on rencontrerait des ET sur un estuaire sénégalais. On n'est jamais trop prudent, quand on est Scientifique.

Ç'aurait été ballot de laisser passer tout ça, quand même.

Maintenant, je m'en vais, le déménagement s'annonce, les larmes couleront sur mon visage, mais mon coeur sera quand même un peu apaisé par le fait d'être équipé si jamais je tombe sur un alien. Et d'avoir un tas de cochonneries qui encombrent mes étagères.