De son enfance à la campagne, Claude Allègre a conservé l’amour de la nature, des sciences naturelles et un grand sens de l’observation. Ses parents enseignants (son père fut professeur de sciences naturelles et sa mère institutrice) lui ont transmis le goût d’apprendre, de comprendre et de transmettre, de même que l’envie de s’engager dans la recherche scientifique. D’une curiosité insatiable depuis toujours, tout l’intéresse (la biologie, la génétique, la théorie de l’évolution, l’histoire, la physique et la chimie, la géographie, la géologie, les sciences de la Terre, les nanotechnologies,...). Au moment de choisir sa voie, il a l’intuition que les sciences sont à un tournant historique : « L’application des connaissances modernes de la physique et de la chimie aux sciences de la nature allait à coup sûr en changer la nature. » se souvient-il. Alors, il décide d’étudier la Terre. Un choix dont ce docteur en sciences physiques spécialiste de la géologie isotopique[1], se félicite encore aujourd’hui, car il l’a conduit aux quatre coins de la planète et lui a fait vivre des aventures et des rencontres passionnantes qui ont « illuminé sa vie » se réjouit-il.
Objectif Terre !Alors qu’il est chercheur-enseignant à l’université de Paris, puis physicien à l’Institut Physique du Globe de Paris (IPGP), Claude Allègre se passionne pour l’utilisation des méthodes de physique nucléaire appliquées à la géologie (pour dater les roches avec des traceurs isotopiques). Puis est survenue l’une des plus extraordinaires révolutions scientifiques : le débat sur la tectonique des plaques, version moderne de la dérive des continents. Un épisode qui met un point final à près de six décennies de débats… Rappelons simplement qu’en 1910, un météorologue allemand, Alfred Wegener (1880-1930), féru d’astronomie, de géologie et de géophysique, présente une théorie révolutionnaire devant la Société géologique d’Allemagne : à partir de certaines observations (la complémentarité des lignes côtières entre l'Amérique du Sud et l'Afrique), Wegener en arrive à la conclusion que l’Afrique et l’Amérique du Sud auraient été, dans un passé lointain, accolées à l’Antarctique et à l’Australie pour ne former qu’un seul méga continent. Puis, ce bloc se serait séparé en deux parties qui se seraient ensuite éloignées l'une de l'autre, donnant ainsi naissance à plusieurs continents. Une idée séduisante, qui trouve écho chez bon nombre de savants mais reçoit un accueil des plus glacial du père de la sismologie théorique, sir Harlod Jeffreys. Se fondant sur de probants calculs mathématiques, le plus grand scientifique de l’époque réfute la théorie de Wegener et reçoit vite le soutien écrasant de ses pairs. Pourtant, et nous le découvrirons près de 60 ans plus tard, la démonstration de sir Jeffreys est erronée. Si son calcul mathématique est juste, l’utilisation qu’il en a fait pour contredire la théorie de Wegener est fausse…Une théorie qui réapparaît sur la scène scientifique dans les années 1960, lorsque des chercheurs[2] tentent d’expliquer le mécanisme de dérive des continents qui manquait à l’explication de Wegener. On parle désormais de « tectonique des plaques ». Ainsi, il faudra attendre 1967 pour établir la vérité scientifique grâce à la « théorie synthétique de la tectonique des plaques » soutenue par l’AméricainWilliam Jason Morgan, le BritanniqueDan McKenzie et le FrançaisXavier Le Pichon. Bien avant ces chercheurs et bien avant que la vérité n’émerge, Claude Allègre et trois de ses collègues avaient immédiatement pris position en faveur de la théorie de l’expansion des fonds océaniques (1962) et de la tectonique des plaques. Pour avoir refusé d’adhérer au consensus porté par les 5.000 géologues qui réfutent cette théorie, les jeunes chercheurs d’alors verront leur carrière menacée ! Une histoire qui n’est pas sans rappeler le débat sur le climat qui agite la communauté scientifique depuis une dizaine d’années…
Contre les faiseurs de pluie…A l’âge où la plupart d’entre nous préféreraient profiter d’une retraite bien méritée, Claude Allègre avoue être toujours aussi émerveillé par les progrès scientifiques. Il affirme aussi sa détermination à vouloir continuer à se battre contre les « faiseurs de pluie en tout genre ». Comme il l’affirme en ouverture de son livre La science et la vie (Fayard, 2008) : « Je considère que j’ai l’obligation de lutter pour ce que je crois être la vérité, et de dénoncer les impostures. ». Son combat, il le mène aussi à travers plusieurs livres consacrés à l’écologie. En 2010, dans L’imposture climatique ou la fausse écologie[3], il s’attaque aux théories alarmistes sur le réchauffement climatique. Prônant une écologie « réparatrice » plutôt que culpabilisatrice, il ne cesse depuis les années 1980 d’alerter scientifiques, politiques, médias et grand public, sur les grandes urgences écologiques et, en particulier sur les problèmes liés à l'accès à l'eau potable, la pollution de l’eau, des sols et des sous-sols, le traitement des déchets urbains, la surpopulation, la faim, l'éducation, la santé ou la nécessité d’une transition vers les énergies durables. Pour une raison incompréhensible, ses opposants et la plupart des grands médias occultent systématiquement cette partie pourtant fondamentale de son discours. Si vous l’interrogez à ce sujet, il vous dira que cela relève de l’irrationnel : « N’étant ni sociologue, ni psychologue, je vous avoue que je ne comprends toujours pas ces réactions disproportionnées. Il est totalement extravagant de traiter les gens de climato-« sceptiques » et de jeter l’opprobre sur eux. Au cours de ma carrière scientifique –et j’ai collectionné les médailles et les Prix prestigieux- toutes mes recherches ont été motivées par le doute. A chaque fois, je doutais de la théorie qui était au goût du jour et je faisais autre chose. Le doute est inhérent à la science. Quand les générations futures analyseront cet épisode incroyable, elles se diront que notre génération est tombée sur la tête… ».
L’un des plus grands scientifiques françaisN’en déplaise à ses détracteurs qui redoutent autant ses prises de position tranchées que la liberté de parole d’un homme qui refuse de se laisser enfermer dans l’esprit de chapelle ou le sectarisme, Claude Allègre est incontestablement l’un de nos plus grands scientifiques. Il fait partie des rares géochimistes à être reconnu mondialement pour ses travaux (méthodes de datation isotopique, système Samarium-Neodyme notamment) autant que pour avoir contribué à la compréhension de la croûte et du manteau terrestres, expliqué leurs interactions, ou pour ses recherches sur le volcanisme et l’évolution de l’atmosphère terrestre. Sa longue carrière a été ponctuée par les prix et les honneurs[4] décernés par la communauté scientifique internationale. Il a été récompensé par l’équivalent du prix Nobel pour la chimie : le prestigieux Prix Craaford de l’Académie royale des Sciences de Suède en 1986. Il a reçu la plus haute distinction décernée par laGeological Society of London : lamédaille Wollastonen 1987. Il s’est vu décerner la plus haute distinction scientifique française : la médaille d’or du CNRS, en 1994. Il a aussi reçu la médaille William Bowie remise par l'American Geophysical Unionen 1995.Son parcours professionnel, de même que ses engagements scientifiques et politiques ont de quoi impressionner : ancien directeur du Laboratoire de géochimie et cosmochimie (qu’il a créé à l’IPGP) Claude Allègre a été professeur titulaire à la Chaire des Sciences de la Terre à l’université Paris 7 Denis-Diderot depuis 1970 (il y aura dirigé 55 thèses d’étudiants !). Il en est professeur émérite depuis 2007. Il est aussi professeur émérite à l’Institut Universitaire de France (IUF). Il a enseigné dans les plus prestigieuses universités américaines : Massachussetts Institute of Technology (MIT), California Institute of Technology (Caltech), Berkeley (University of California), Cornell University (New York),... Parallèlement à sa vie de scientifique universitaire, il a dirigé deux des plus importantes institutions françaises consacrées aux sciences de la Terre. Il a été directeur de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) de 1976 à 1986, puis président du plus grand organisme français de recherches appliquées en sciences de la Terre, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) de 1992 à 1997. De lourdes responsabilités qui l’opposeront à une administration parfois rigide et déjà peu réceptive à l’idée d’allouer des budgets supplémentaires pour la Recherche.Dans les années 1980, il découvrira aussi les dures réalités du monde de la politique… Engagé politiquement à gauche (il anime le « Groupe des experts du PS » dans les années 1980) et fidèle en amitié, Claude Allègre sera conseiller spécial (de 1988 à 1992) auprès de son ancien camarade de faculté Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale. Quelques années plus tard, il acceptera le portefeuille de ministre de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie de 1997 à 2000 dans le gouvernement Jospin.Tout en déclarant rester un homme de gauche, Claude Allègre affirme aujourd’hui « être guéri de tous les sectarismes et de toutes les chimères idéologiques.[5] ». Dans son camp, justement, certains de ses amis ne lui pardonneront pas d’avoir pris position contre Ségolène Royal aux dernières élections présidentielles, pas plus qu’ils n’apprécieront son « Plaidoyer pour Nicolas Sarkozy[6] » publié dans Le Point du 10 novembre dernier... L’homme a le courage de ses opinions et n’a jamais fait mystère de ses amitiés ni de ses engagements scientifiques ou politiques. Dans La science et la vie, il aura ces quelques mots pour justifier ses bonnes relations avec le président Sarkozy, dont il admire la volonté et l’énergie : « Nous avons, sur certains sujet, des vues différentes, mais elles n’empêchent ni la sympathie ni l’estime réciproque. ». Pour le politique Claude Allègre[7], « Etre de gauche, c'est être moderne, c'est imaginer des solutions avec une certaine générosité sociale, ce n'est pas rester sur le modèle soviétique. ».
Ecologie d’Avenir : réconcilier l’écologie et l’économieCes derniers mois, Claude Allègre a consacré beaucoup de temps et d’énergie à créer la fondation Ecologie d’Avenir. Une fondation qui se veut, insiste-t-il, une réponse au manque de communication entre le monde des chercheurs, le monde politique et les entreprises : « Je me suis aperçu qu’il n’existait pas de structure permettant aux entreprises et au monde de la recherche de se rencontrer, que ce soit au MEDEF ou à l’Académie des Sciences. Alors, je souhaite que cette fondation soit un lieu de rencontre et de débat entre le monde de la recherche (le monde académique) et le monde des entreprises. Je veux montrer qu’il est possible de trouver des solutions aux problèmes écologiques grâce à la technologie. Contrairement aux autres fondations écologistes, je ne me sens pas du tout en opposition avec le monde de l’entreprise. J’aimerais que ma fondation soit une force de proposition pour les entreprises partenaires. Je ne veux pas opposer l’écologie et l’économie. Je souhaite, au contraire, faire rentrer l’écologie dans l’économie parce que les entreprises sont créatrices de richesse et, à ce titre, elles sont des actrices de la « croissance verte ». Mais il ne suffit pas de soutenir cette idée pour créer des emplois et de la croissance ! Je crois à cette idée fondamentale que j’ai développé dans mon livre Economiser la planète[8] en 1990. ».La fondation a aussi une vocation d’information vis-à-vis du grand public : « Nous allons communiquer auprès du public, lancer une publication, alimenter un site internet afin d’y diffuser de l’information (documents techniques, fiches thématiques sur la recherche, publications scientifiques, etc.) et d’y animer un forum de discussion. Nous allons prochainement organiser des conférences ouvertes à tous. ». Sont déjà programmés des colloques sur les problèmes de capture du CO2, la chimie verte, les nouvelles techniques agricoles, les OGM,... Selon la déclaration de la fondation et la promesse de son fondateur, Ecologie d’Avenirne s’occupe ni du climat ni de politique, mais uniquement de coopération et d’échange entre le monde académique et les entreprises : « L’idée est de réunir des scientifiques, des économistes, des philosophes, des humanistes, des spécialistes des médias ainsi que des acteurs du monde de l’entreprise pour réfléchir ensemble à l’avenir de notre société en développant une nouvelle croissance qui tienne compte à la fois des exigences écologiques et économiques dans le contexte de la mondialisation. Il s’agit de donner un sens aux mots « croissance verte », ce qui demande beaucoup d’efforts en termes d’innovation, pour que cela devienne une réalité ! ».
Une vie consacrée à la RechercheSi vous interrogez Claude Allègre sur ses ambitions politiques, il vous répondra qu’il s’intéresse à la vie de la cité sans pour autant souhaiter s’impliquer dans une fonction particulière. Voilà qui a le mérite de lever tout doute quant à son retour éventuel au sein d’un quelconque gouvernement… Passionné, d’une énergie débordante et communicative, s’il se jette à l’assaut de multiples projets et combats, il tient à ce que les choses soient claires : pas question de délaisser pour autant la recherche scientifique ! La recherche, c’est toute sa vie. D’ailleurs, il co-dirige toujours à l’IPGP (avec Laure Meynadier) une équipe de chercheurs qui étudie la paléo-océanographie. Comme il l’a écrit très joliment dans Ma vérité sur la planète (coédition Plon/Fayard, 2007) : « J’aime la Terre. Je lui ai même consacré le demi-siècle de ma vie scientifique. ». Tout est dit…
*Claude Allègreest, par ailleurs, membre de l’Académie des Sciences française depuis 1995 dans la section Sciences de l’Univers. Il est également membre de la US National Academy of Sciences (l'Académie nationale des Sciences américaine), membre de la Royal Society of London, membre de la National Academy of Sciences of India, membre de l’Académie des Sciences du Portugal, entre autres… Il a publié de nombreux articles dans de grandes revues scientifiques internationales (cf. ses publications les plus représentatives sur sa fiche à l’Académie des Sciences). Enfin, il collabore depuis de longues années à l’hebdomadaire Le Point et est l’auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique et de livres sur l’écologie, tous best-sellers, parmi lesquels : La science est le défi du 21e siècle (Plon, 2009), Ma vérité sur la Planète (coédition Plon et Fayard, 2007), Ecologie des villes, écologie des champs (Fayard, 1993), Economiser la planète (Fayard, 1990),...
[1] « À l'origine, la géologie isotopique a consisté à utiliser les connaissances concernant la radioactivité afin de dater desroches et desminéraux. Cette discipline, au carrefour de lagéologie et de la physique nucléaire, s'est surtout illustrée par ses méthodes dedatation absolue. Elle a ensuite aidé à mieux comprendre lapaléoclimatologie, les structures et la dynamique interne du globe. Avec les progrès techniques s'est développée l'étude des isotopes stables, qui a donné accès à l'étude fine des grands processus géologiques, avec à la clé la reconstitution depaléoenvironnements. » (Source : Wikipédia).[2] « L'hypothèse des « mouvements de convection » dans le manteau, émise parArthur Holmesen 1945, propose un moteur plausible à ces déplacements de continents, mais c'est la compréhension du fonctionnement des fonds océaniques, avec l'hypothèse du « double tapis roulant » formulée parHarry Hessen 1962, qui marque une véritable révolution des sciences de la Terre(…) La tectonique des plaques est parfaitement valable pour les plaques océaniques (ou pour les parties océaniques des plaques mixtes). En effet, les plaques océaniques sont minces et rigides; leurs limites sont très nettes (ride médio-océanique,failles « transformantes » ou zones desubduction). En revanche, les plaques continentales sont beaucoup plus épaisses et moins rigides. Les limites de plaques sont donc beaucoup plus floues, et l'on peut considérer comme limite la suture paléogéographique (l'ancien océan), ou la zone qui se déforme actuellement (dans les cas de l’Himalaya-Tibet, la différence est de plusieurs milliers de kilomètres). ».(Sources : Wikipédia).[3] Co-écrit avec le journaliste Dominique de Montvalon (Plon, 2010) L’imposture climatique est un best seller, avec 160.000 exemplaires vendus en quelques mois ![4] Voir Distinctions et Prix sur le site de l’Académie des Sciences.[5] In La science et la vie (Fayard, 2008).[6] Titre initial de l'auteur : « Nicolas Sarkozy, ombre et lumière ».[7] Claude Allègre, sur le plateau de Thierry Ardisson en décembre 2001 au sujet de son livre Les audaces de la vérité. Entretiens avec Laurent Joffrin (Robert Laffont, 2001).[8] Economiser la planète. Editions Fayard, 1990.
Ce qu’il faut savoir sur la fondation Ecologie d’Avenir
Les objectifs :Rapprocher le monde des scientifiques et celui des entreprises afin de promouvoir une écologie positive. Créer des lieux de réflexion, de débat et d’information, susceptibles d’éclairer les citoyens sur les enjeux et les perspectives qui se profilent pour l’Homme et la société. Cette réflexion doit être fondée sur la science, le savoir et la croyance dans le progrès.La philosophie et les valeurs :La foi dans l’esprit d’entreprise, l’imagination des Hommes et le progrès. Seuls les progrès de la connaissance et les innovations scientifiques et techniques permettront de résoudre les problèmes qui se posent à la Planète. Non à la théorie de la décroissance économique, aux peurs irrationnelles et aux croyances aveugles. Oui à l’écologie et au développement durable moteurs de la croissance économique, de l’emploi, de l’innovation et de l’épanouissement de l’Homme. Oui à l’émergence d’un nouvel humanisme et d’une nouvelle croissance, une « croissance verte ».La fondation Ecologie d’Avenir est abritée à l’Institut de France à laquelle est adossée une association (loi 1901) destinée à la mise en œuvre des actions de la fondation. La gouvernance de l’ensemble est assurée par le conseil d’administration présidé par Gabriel de Broglie, le Chancelier de l’Institut t le Comité des fondateurs associant les entreprises, et le Conseil d’orientation présidé par Claude Allègre.Le site web de la fondation (en construction)
Pour aller plus loin :- La biographie de Claude Allègre (par l’Académie des Sciences)- Le site internet (en construction) de la fondation Ecologie d’avenir- L’Institut de Physique du Globe de Paris- L’université Denis-Diderot- Lire aussi la recension de L’imposture climatique ou la fausse écologie « Pour une vraie écologie ! » (Les Di@logues Stratégiques, 28 avril 2010) et l’article « Claude Allègre, hérétique ? » (AgoraVox et Les Di@logues Stratégiques du 5 octobre 2006).