Le “Net Neutrality”, de quessé?

Publié le 13 janvier 2008 par Planete20

Ce n’est pas tout le monde qui s’intéresse à ses droits. Plusieurs aiment mieux laisser le gouvernement et les corporations choisir ce qui est bon pour eux. Aujourd’hui, survol d’un sujet d’une importance capitale pour l’avenir d’Internet et qui ne devrait laisser aucun de ses utilisateurs de marbre. Que vous soyez utilisateur, programmeur ou gamer, ce sujet vous touche et pourrait changer à jamais votre utilisation de cet outil merveilleux.

Ceci n’est pas un texte (trop) politique ou technique. C’est un survol des impacts qu’auraient une “non neutralité” des fournisseurs d’accès par rapport à Internet. Cette non neutralité pourrait tuer cet outil tel que nous le connaissons et l’aimons.

Introduction

Plusieurs fournisseurs de services Internet sont intéressés à pouvoir altérer, gérer et contrôler Internet et les sites qu’il contient. Le Net Neutrality (Neutralité du Réseau en français) est, selon Wikipédia, “un concept selon lequel les architectures et les opérateurs de réseaux ne devraient pas effectuer de discrimination entre les applications utilisant ces réseaux”. En gros: empêcher le contrôle centralisé sur le futur d’Internet.

Qu’est-ce que ça a à voir avec le Web 2.0? Tout, sauf le 2.0.

Un texte intéressant de Tim Wu dit: “La conception d’Internet est largement méritocratique”. Ce qui veut dire que si un site est plus populaire qu’un autre, c’est parce que les utilisateurs le préfèrent et donc que c’est lui qu’ils veulent utiliser. Est-ce que ce serait normal que ce soit les fournisseurs d’accès qui décident de la popularité d’un site, en forçant les utilisateurs à l’utiliser à cause d’un partenariat d’affaires?

“Serait-ce un problème si AT&T rendait la connexion à Gmail plus lente et difficile et celle à Yahoo! plus rapide et facile?”

Un Internet non neutre apporte plusieurs problèmes de taille pour le consommateur. En voici quelques uns.

L’altération de données

Rogers (fournisseur Internet par câble canadien) a déjà commencé à faire des essais, ce qui a provoqué les blogueurs. Dans leur essai, qui a été appliqué pour vrai en ligne, ils ajoutent de l’information sur votre quota usager à la page d’accueil de Google.

Mention spéciale au logo de Yahoo! qui, grâce à un partenariat d’affaire avec Rogers, se retrouve maintenant sur la page d’accueil de Google pour les abonnés Rogers.

Certains diront que l’information affichée ici par Rogers n’est pas dangereuse et même plutôt pratique. Le problème c’est que cette pratique ouvre la porte à bien pire: la page que vous avez demandée est altérée par le fournisseur d’accès. Comment pouvez vous être certain que toutes les autres pages que vous demanderez ne le seront pas?

Supposons que Poste Canada (ou toute autre compagnie de gestion du courrier) ouvre votre courrier et y insère des pamphlets publicitaires. Vous recevez une lettre de votre grand-mère vivant dans une autre ville et au travers il y a de la pub (contextuelle en plus!) pour des foyers pour personnes agées. Tant qu’à y être, ils pourraient altérer la lettre que votre grand-mère vous a écrite pour changer la marque de son nouveau téléviseur qu’elle vous décrit pour le nom d’une compagnie avec qui ils ont de gros contrats publicitaires.

Quoi que ça semble tiré par les cheveux dans le monde réel, c’est un jeu d’enfant à faire sur Internet et il n’y a aucun moyen de savoir que votre contenu n’a pas été altéré. À moins d’aller à pied chez Google pour leur demander de vive voix, vous ne saurez jamais si les résultats de recherche qui vous sont retournés sont bien ceux qui auraient du l’être ou ceux que votre fournisseur d’accès avait envie de vous montrer.

On peut être un peu plus paranoïaque et imaginer un gouvernement modifiant tous les documents qui ne font pas leur affaire. Ils peuvent altérer l’histoire et vous montrer seulement ce qu’ils veulent que vous lisiez. Hail Big Brother!

La priorisation des flux

Imaginez un instant que le ministère des transports de votre gouvernement décide de passer un partenariat avec un constructeur automobile pour réserver une voie complète de la nouvelle autoroute aux seuls véhicules de cette compagnie. Vous pourriez avoir à acheter une GM plutôt qu’une Ford pour vous prévaloir du droit d’utiliser la voie rapide. Trouveriez-vous cela normal?

Un site pourrait payer un fournisseur d’accès afin que l’accès à son service soit plus rapide que ceux des concurrents. Le site de nouvelles de Microsoft pourrait être très rapide et celui de Google volontairement ralentit, favorisant ainsi le portail ayant payé. Les supporters de cette approche se défendront en disant qu’il paient un premium pour que leur contenu se rende plus rapidement aux abonnés. Mais puisque la bande passante est limitée, avoir un premium équivaut directement à ralentir les autres.

Les fournisseurs Internet veulent aussi pouvoir prioriser certains types de données. Les pages HTML et les images pourraient être téléchargées à vitesse normale. Peut-être que Microsoft pourrait payer les fournisseurs afin que les documents Office soient plus rapides que les autres fichiers, histoire de se donner un longueur d’avance de plus sur les autres suites logicielles.

Par contre, si vous avez le malheur de télécharger un fichier torrent, iso ou mp3 - qui servent fréquemment lors du piratage de films, logiciels ou musique - vous aurez un accès plus lent malgré que vous payez pour une connexion Internet haute vitesse. Peut-être aurez vous à payer un premium pour “débloquer” la vitesse ces types de fichiers.

Si vous trouvez cela paranoïaque, sachez que Rogers s’est fait prendre à limiter la vitesse de téléchargement des torrents mais aussi à bloquer l’accès à iTunes et aux podcasts.

Les marchés locaux

Au Québec, nous sommes entourés par la culture anglophone. Pour protéger le marché local, des lois sont passées pour assurer, par exemple, que les postes de radio francophones diffusent un seuil minimum de musique francophone.

Certains marchés aimeraient bien voir cette loi appliquée à Internet. Imaginez, vous demandez à voir la page de Google mais puisque le gouvernement du Québec a décidé que vous deviez naviguer en français sur un produit québécois, votre fournisseur vous redirige sur La Toile du Québec. Certes, c’est un bon outil, mais ce n’est pas du tout ce que vous vouliez. Vous voulez utiliser iTunes? Vous ne pouvez pas puisque le ratio contenu anglais / français est trop haut. Essayez plutôt tel autre qui vous exposera au moins autant de contenu francophone qu’anglophone.

Imaginez un partenariat entre le gouvernement américain et la chaîne de nouvelles CNN qui en ferait la seule source de nouvelles accessibles aux résidents des États-Unis, tous les autres sites bloqués ou redirigeant vers CNN.

Conclusion

Il n’y a aucune loi américaine protégeant la neutralité d’Internet, le débat est donc très actif. Des grosses compagnies, notamment Google, se sont déjà prononcés en faveur de la neutralité. D’autres, comme Rogers, s’amusent à réduire le plus possible les droits et  les services aux utilisateurs tout en continuant de charger le gros prix et

L’attitude des compagnies comme Rogers est exécrable. Son slogan est d’ailleurs “for sharing large files and much more”,  ce qu’on traduit par “pour le partage des gros fichiers et plus encore”. Les fournisseurs font la sourde oreille aux plaintes des consommateurs et modifient les contrats à leur guise sans aucun recours possible tout en faisant les hypocrites en utilisant du pseudo-jargon d’affaire pour se défendre.

En attendant, une solution pour contrer les efforts de contrôle des fournisseurs est de crypter votre traffic. En remplaçant le protocole http: par son frère encrypté https:, le contenu ne peut pas être altéré. En activant l’encryption lors de transfert de fichiers torrent, le flux ne peut pas être détecté. Certains fournisseurs, comme Rogers (encore!), ont décidé de contre-attaquer en ralentissant tous les transferts encryptés.

À moins que vous soyez une (grosse) corporation, il n’y a rien de bon pour vous dans le contrôle d’Internet par les fournisseurs.