La plupart des pays ont institué des réglementations pour maintenir le caractère privé et secret de la correspondance, qu’elle soit transportée par courrier ou par voie électronique. En cas de nécessité, par exemple en temps de guerre, ces mêmes gouvernements n’ont pas hésité à violer ce secret en censurant les courriers privés. Les gouvernements français ont aussi autorisé, théoriquement uniquement sur décision de justice, l’interception de communications privées de certaines personnes. Depuis que ces communications ne sont plus réalisées sans intermédiaire mais transitent par des nœuds informatiques, il est beaucoup plus aisé d’accéder à leur contenu, surtout si les mesures de sécurité mises en place autour de ces serveurs intermédiaires sont inadéquates ou mal appliquées.
Si certaines des informations échangées par des services gouvernementaux conservent un caractère privé, ne serait-ce que pour assurer la sécurité de leurs émetteurs, certaines des non privées exigent de bénéficier des mêmes garanties. C’est ainsi qu’aux États-Unis on distingue différents niveaux de confidentialité, à savoir, par ordre croissant, Confidentiel, Secret, Top secret. Le site WikiLeaks vient de rendre disponibles un grand nombre de documents correspondants aux deux premiers de ces niveaux. Il semble que la source de ces fuites soit un militaire américain qui aurait mis à profit de graves imperfections des procédures de sécurité protégeant ces informations. Les services incriminés ont bien évidemment clamé qu’il n’en était rien mais je suis enclin à ne pas les croire.
Ceci posé, il me semble tout à fait licite que des gouvernements conservent secrets certains documents, exactement de la même manière que des entreprises souhaitent conserver des secrets de fabrication ou des données stratégiques. Ce qui m’amène à aborder ce sujet, c’est le fait que lundi matin 29 novembre, interrogé à ce propos sur Europe 1, François Baroin, ministre du Budget et porte-parole du gouvernement, a prononcé cette parole étonnante: « Et moi j'ai toujours pensé qu'une société transparente, c'était une société totalitaire ».
Je vais donc tenter de valider cette affirmation en considérant quelques sociétés unanimement tenues pour totalitaires. A tout seigneur, tout honneur. Dans les années trente, et même au-delà, Staline, tyran de l’URSS, a, en toute transparence fait déporter au Goulag et exécuter des millions de Soviétiques. Presque simultanément, Hitler, à la tête du parti national-socialiste, a entraîné dans la mort une génération de jeunes Allemands et fait déporter des millions d’individus vers des camps de concentrations où la plupart sont morts. La transparence de ce régime était telle que nul, hors d’Allemagne ou dans ce pays même, n'ignorait le caractère exterminateur de ces convois.
Après l’avènement de la République populaire de Chine, chacun savait que le maoïsme, malgré quelques restrictions regrettables apportées aux libertés, avait fait disparaître le spectre de la famine dans le pays le plus peuplé de la terre. Venus dans chacun de ces pays, de grands écrivains, des philosophes, en un mot des esprits éclairés étrangers, avaient su discerner, grâce à l’absolue limpidité qui y régnait, le caractère progressiste des régimes en cause. Encore de nos jours, cette même transparence nous permet d’admirer l’adoration des masses iraniennes pour leur Président ou la vénération des Coréens du Nord, frappés par la famine, pour leurs dirigeants héréditaires. J’ai naturellement omis au passage de rappeler les milliers d’opposants mystérieusement disparus, mais à la faveur de la transparence absolue régnant dans ces dictatures, au Chili ou en Argentine. Et que dire de Cuba ou de tant d’autres contrées !
Oui, Monsieur Baroin, la transparence, la voilà bien l’ennemie de la démocratie ! Si l’étendue des responsabilités doit correspondre au niveau de la sottise, vous êtes le successeur tout naturel de notre Président.