Herberto Helder, poète portugais, est né le 23 novembre 1930, à Funchal,
dans l’île de Madère. J’ai eu l’occasion de le lire avant qu’il ne soit connu
en France par l’intermédiaire de l’une des étudiantes de mon séminaire sur la
poésie, Laura Lourenço, qui m’avait apporté la traduction qu’elle en avait donnée, en collaboration
avec Marc-Ange Graff de Vocation animale, poème de 1971 que Herberto Helder
a renié par la suite. Je le publiai aussitôt dans la revue LEVANT, puisque j’appartenais à son au comité de lecture. Je demandai ensuite à Laura Lourenço et à
Marc-Ange Graff de traduire Última
Ciência. Michel Camus, (Lettres vives), prit le risque de publier Science ultime en 1993.
Ce qui m’avait frappée dans Vocation
animale et me frappe encore dans toute
l’œuvre disponible en français, c’est une interrogation fiévreuse, violente,
passionnée, sur ce qui précisément
définit la vocation, non de l’animal, mais de l’homme, une vocation d’homme
révélée par sa vocation de parole et de poésie. La déterminer suppose en effet
la connaissance et cette science ultime, qui n’en est pas une, parce que le
titre portugais signifie dernière science, au sens où l’on dit d’un objet qu’il
est de dernière qualité, est de tenter de déterminer cette vocation, science
incertaine, en effet, science dangereuse, car elle serait de qui nous sommes.
Or le recueil, pour reprendre une expression que Jean Starobinski avait
proposée à l’endroit de René Char, est un formidable poème du poème. Peut-être aussi une épopée de la gestation poétique
et la geste de labeurs intérieurs inouïs. Tout le paradoxe de ce poème d’un
seul tenant, malgré l’effet de variations que lui impriment ses strophes, tient
là : cette énorme aventure est aventure intime. Elle est aventure de poète
prise pour mesure de l’aventure d’être homme… Cela suppose des efforts et des risques terribles, car il n’y va
de rien moins que de tenter de percer le secret de l’homme, entre tradition et
modernité scientifique, (des termes empruntés à la biologie ou à la cosmologie
trouent parfois ses vers de façon agressive), entre pouvoir et néant, entre
diable et Dieu. Herberto Helder s’est, du reste, intéressé pendant un temps à
des textes pensés comme performatifs et empruntés à différents rituels,
religieux ou magiques. Toujours est-il qu’il conçoit l’objet de sa quête comme
une sorte de secret à arracher à l’expérience du vivre. D’où la violence de
l’entreprise. D’où son côté électrique et convulsif. D’où aussi sa nécessité.
La gratuité ou la fantaisie sont absentes de cette poésie qui court à
l’essentiel.
Il s’en trouve donc un régime à deux temps dans cette poésie, qui est, à coup
sûr, grande poésie. D’une part le rendu d’une expérience heureuse de toucher
juste et presque d’espérance, en ce qui concerne du moins la poésie elle-même,
et le vocabulaire en est souvent celui de la vie élémentaire, le lait,
l’enfance, les oliviers du paysage, le lien et l’amour, d’une part, et ,d’autre
part, au nom de la lucidité indispensable à semblable entreprise, sous peine
d’insupportable naïveté, si ce n’est de falsification, celui de la destruction,
voire de l’échec. Les risques et les réussites sont à la mesure de l’ambition.
On ne peut courir à l’absolu sans manquer se perdre.
Je me bornerai à proposer deux ordres de citations susceptibles de correspondre
à l’une ou l’autre des voies du poète :
Celui qui atteint son poème par ce que les poèmes ont de plus haut
touche au lieu où c’en est fini du monde : je ne le veux pas
pour le charme ou l’erreur, dit-il,
je le veux pour l’étoile plénière qui existe à certains endroits de certains poèmes.
Que l’on y pense bien : une étoile plénière à certains endroits du
poème. Que désirer d’autre. Du reste, Helder songe ailleurs, selon un vers dont
j’ai bien dû faire l’épigraphe de l’un ou l’autre de mes recueils : Si Dieu me touche au fond de la parole…
Certes, nous sommes à ce point en quête de ce qui pourrait fonder le poème, nos
poèmes…
Mais à l’inverse la tentative peut mener à l’éclatement, à la contradiction,
voire à quelque chose de luciférien. De fait on se trouve toujours entre
énergie et destruction, immémorial et science, innocence et faute, corps et
cosmos, et même entre corps, représenté avec organes et viscères et ce secret
d’une étoile, ou d’une rose éclose dans notre tête, ou dans celle du poète, et
se comprend alors le propos de Science
ultime, qui serait de désentrailler la rose. Toute l’œuvre cependant,
jusqu’au Poème continu, qui consiste
en une anthologie composée des recueils antérieurs et cependant devenu poème
autonome, s’y applique.
La théorie était celle-ci : faire table rase – mais quelqu’un a pris
La camera et fait graviter une tête, la reposant
D’un côté et la décrivant de l’autre en un sillon
Vibrant « on eût dit un météore »
Comme s’il s’agissait là d’une chose toute simple et alors la tête disparaissait « la lune »
En vertigineuse ébullition à travers ciel
« un trou »
on distinguait seulement l’intensité « nous avions peur car cela ressemblait fort à une révélation » et c’est alors qu’il saisit à nouveau
la tête
à présent c’était une tête en furie…
On le devine, à cette double postulation aucune ne saurait être apportée. Aucune assurance. Aucune fixité. Cela n’empêche pas le monde de venir graviter dans ces vers ni l’émotion d’y être puissante. En donnent l’exemple de tout début du Poème continu :
Donnez-moi une jeune femme avec sa harpe d’ombre
Et son arbuste de sang. Avec elle
J’enchanterai la nuit.
©Gabrielle Althen
Bibliographie (textes traduits
disponibles)
L'Amour en visite (O amor em visita, 1958), poésie, édition
bilingue, traduit du portugais par Magali Montagné, Éditions Babel, 1991.
La Cuiller dans la bouche (A Colher na Boca, 1961 ; O amor em visita, 1958), poésie, édition
bilingue, traduit du portugais par Marie-Claire Vromans, Éditions La
Différence, « Le Fleuve et l'écho ».
Les Pas en rond (Os Passos em Volta, 1963), traduit du portugais par Marie-Claire
Vromans, Éditions Arlea, 1991, épuisé.
Science ultime (Última Ciência, 1988), poésie, édition bilingue, traduit du
portugais par Laura Lourenço et Marc-Ange Graff, postface de Gabrielle Althen,
Éditions Lettres Vives, « Terre de poésie », 1993.
Sceaux, suivi de Autres sceaux (Os Selos, 1990 ; Outros Selos), traduit du portugais par
Laura Lourenço et Marc-Ange Graff, Éditions Lettres Vives, « Terre de
poésie », 1993.
Du monde, précédé de Sceaux, Autres sceaux et Sceaux ultimes,
(Os Selos, 1990 ; Outros Selos ; Últimos Selos, 1991 ; Do
Mundo, 1994), poésie, édition bilingue, traduit du portugais par Christian
Mérer et Nicole Siganos, Éditions La Différence, « Le Fleuve et
l'écho », 1997.
Le Poème continu (Poesia Toda, 1953-1996, 1996), somme
anthologique, édition bilingue, traduit du portugais par Magali et Max de
Carvalho, postface de Manuel Gusmao, Institut Camões / Éditions Chandeigne,
2002.
(Bibliographie établie par Gabielle Althen)
Un bel article
de Marc Blanchet dans le Matricule des Anges à propos de Le poème continu
et
un autre de Renaud Ego sur le site de La Pensée de Midi
Une
courte fiche et une photo sur le site de la librairie portugaise
sur le site de l’Institut Camoes, brève note
biographique et un poème en français
sur le site des éditions
de La Différence et sur celui de la
libraire Compagnie