Mouratoglou Tennis Academy. Le nom a une résonance de Star Ac’. Dans ce complexe installé en pleine campagne des Yvelines, sur des terres de la commune de Thivernal-Grignon, on n’y forme pas des chanteurs. Mais des joueurs de tennis. Des futurs champions. Comme Marcos Baghdatis et Aravane Rezaï, qui disputeront à partir de lundi l'Open d'Australie.
Le site est niché entre deux collines. Au cœur de ce complexe de 11ha, une piscine entourée de palmiers et des maisonnettes en bois. Dans le brouillard du mois de janvier, on discerne à peine les dix-sept courts de tennis. Trois sont en rebond ace, la surface de l’Open d’Australie. Six sont en ciment, comme à l’US Open. Les huit autres sont en terre battue. «La même qu’à Roland-Garros», précise Patrick Mouratoglou.
L'anti-système Bollettieri
Casquette vissée sur la tête, cet ancien espoir du tennis tricolore est le maître des lieux. «Des académies, comme Bollettieri (qui a formé Agassi, Seles et Sharapova), pour ne citer que la plus importante, existaient déjà aux Etats-Unis, raconte l’intéressé. Ici, il n’y en avait pas. Lorsque j’ai créé la mienne, en 1996, j’ai observé que tout fonctionnait sur un même mode: la sélection naturelle. On prend un maximum d’individus que l’on soumet à un entraînement identique. A la fin, certains réussissent, tandis que la majorité échoue. Je me suis dit que si l’on était capable de choisir des joueurs ayant un réél potentiel pour leur proposer un travail sur-mesure, on pourrait obtenir des résultats extraordinaires.»
Pour «réaliser le projet d’une vie», il s’appuie sur la fortune de son père, président d’EDF Energies nouvelles, la filiale du géant français de l’électricité spécialisée dans les énergies renouvelables. Après des études de commerce, Patrick Mouratoglou met «environ 6 millions d’euros» sur la table.
Des rapports tendus avec la Fédération
De Montreuil à Colombes, où il s’installe d’abord, de tâtonnements en erreurs, il tarde à trouver la bonne formule. Méconnu dans le milieu pour s’être éclipsé des courts pendant sept ans, il s’associe dans un premier temps à Bob Brett, l’ancien coach de Becker et d’Ivanisevic. L’union durera cinq ans, le temps de surfer sur la notoriété de son aîné et de se forger une réputation.
Dans un pays dont le système fédéral est réputé pour être le meilleur outil de détection, Mouratoglou ne se fait pas que des amis. «Les rapports avec la Fédération ont été assez tendus pendant plusieurs années. Ils n’ont pas vu mon arrivée d’un bon œil. Leur système était en place depuis des années et il avait la chance d’être monopolistique.»
«100.000€ par an»
Le Croate Mario Ancic et le Français Paul-Henri Mathieu font partie de ses premiers pensionnaires prometteurs. Monratoglou affine son concept, qui prend définitivement corps en 2005. Il décide alors de limiter son groupe d’élite à une vingtaine d’unités maximum par an. De leur offrir sur un plateau gîte, couvert, suivi scolaire et médical, coaches et déplacements en tournoi. «Un joueur coûte la bagatelle de 100.000€ par an, estime Mouratoglou. S’il réussit, il devra rembourser l’académie et lui versera également 20% de ces gains. Si le joueur échoue, ce sera une perte sèche. J’accepte l’idée de perdre ce que j’investis. Je ne me vois pas demander à des gens de s’endetter toute leur vie. J’en assume le risque et la réussite d’un jeune est de ma responsabilité.»
Parmi cette quinzaine de privilégiés, Marcos Baghdatis (n°16 mondial) ou encore la Française Aravane Rezaï (70e au classement WTA), finaliste à Auckland il y a huit jours. A 21 ans, le Chypriote est le doyen des pensionnaires. Capable de coups d'éclat, comme face à Ivan Ljubicic:
Marcos Baghdatis (Point of the year 3)
envoyé par Cl3m3nt56
«Marcos, je l’ai repéré en 1999, aux Petits As. Il avait alors 13 ans. Il n’était pas exceptionnel en termes de niveau. Par contre, j’ai décelé en lui un potentiel et un charisme vraiment exceptionnels.» Huit ans plus tard, Baghdatis a atteint la finale de l’Open d’Australie 2006 et intégré le Top 20 mondial. La clé du succès? «Le caractère.» La méthode? «Un coaching essentiellement mental, auquel on associe les parents.»
L'exemple de Richard Williams
«Un champion a une ambition démesurée. Il est possédé par la rage de vaincre. Il n’a pas peur de l’avenir. Il a une immense confiance en lui. La technique et le physique ne sont que des outils qui permettent au joueur d’exprimer sa personnalité sur un court. A l’académie, le coaching mental est tout aussi important. Plutôt que de faire travailler un joueur sur ses points faibles, on développe ses points forts. Il s’agit de l’éduquer pour gagner. L’entourage a un rôle primordial. Regardez Richard Williams: il a inculqué cet état d’esprit à ses deux filles, Serena et Venus. Ce qui l’intéressait, ce n’était pas tant le tennis, mais d’armer ses filles pour la vie, de leur donner les moyens de réussir quoi qu’elles entreprennent. Pour obtenir ce résultat, il leur a consacré 100% de son temps. Il avait annoncé à leur naissance qu’il en ferait des n°1 mondiales. Il l’a fait. Les voir jouer toutes les deux les finales des Grands Chelems est surréaliste.»
Depuis l’avènement de Baghdatis, l’académie Mouratoglou a le vent en poupe. De 500 demandes par an, on en recense désormais près de 1.000. Triées selon les critères du chef d’orchestre. «J’essaye de trouver les leviers pour en faire des gens exceptionnels. C’est pour cela que je crois beaucoup au conditionnement. Notamment chez les enfants de 4 à 6 ans, dont on peut influer sur la manière d’aborder la compétition et le sport.»
Un prodige âgé de 4 ans
En septembre 2006, Jan Kristian Silva rejoint l’académie. Agé alors de 4 ans, le petit blondinet californien est déjà un phénomène, doté d’une exceptionnelle motricité.
Tennis: bambino prodigio
envoyé par james_milan
Patrick Mouratoglou s’attire les foudres de bon nombre de pédopsychiatres. Accusé d’être un exploitateur d’enfants qui empêche ce petit Mozart de la balle jaune de s’ouvrir au monde réél, il ne décolère pas : «Il n’y a aucun danger sur le plan physique! On utilise simplement l’énergie débordante de cet enfant pour le canaliser dans une activité constructive, car il possède vraiment un talent démesuré pour le tennis.»
Si Patrick Mouratoglou se montre aussi véhément, c’est peut-être parce que sa propre fille, Juliette (5 ans), s’entraîne elle aussi au côté de Jan. Le petit Américain est très entouré. Ses parents ont tout plaqué pour le suivre en France. Et plutôt que de rester «avachi devant la télé ou de passer son temps libre à jouer aux jeux vidéo», comme le précise justement son père, Scott, Jan préfère jouer une heure et demie au tennis en fin d’après-midi, après avoir passé toute sa journée à la maternelle de Thivernal-Grignon. Un vrai cas d’école.
Patrick Mouratoglou vient de sortir un livre intitulé «Eduquer pour gagner», aux éditions Amphora.
DR ¦ La Mouratoglou Tennis Academy, à Thivernal-Grignon, dans les Yvelines.
Gil Baudu (à Thivernal-Grignon)