Chaque nouveau livre d'Olivier Adam est une révélation pour moi. Cet auteur est l'un des rares qui m'émeut autant. Depuis que j'ai lu Falaises, d'une traite, chacun de ses livres me fait pleurer.Qu'a vécu cet homme pour relater de manière aussi sensible des vies d'hommes et de femmes brisés, des personnages souvent à un tournant dramatique et capital de leur existence ?
Comment ce jeune auteur (né en 1974) extrasensible peut-il se glisser si parfaitement dans la peau de ses personnages ?
Chaque histoire qu'Olivier Adam nous raconte comporte donc son point de départ dramatique : la perte d'un conjoint (Des vents contraires), le sort des immigrés illégaux (À l'abri de rien), la survie et le deuil (Falaises), le deuil encore (Le cœur régulier).Mais les êtres qui doivent composer avec ces drames, ces survivants en quelque sorte, ressortent toujours grandis et enrichis de leur expérience. L'aventure humaine n'est jamais toute noire ou toute blanche, Olivier Adam s'attarde toujours dans les zones grises, dans les méandres et les fissures qui apparaissent face à un grand vent, à l'image de ces falaises rugueuses qu'il aime tant décrire, imparfaites et sauvages, et près desquelles il vit maintenant, à St-Malo.
Dans Le cœur régulier, nous rencontrons Sarah, dévastée par la mort de son frère Nathan, qui n'allait pas bien et qu'elle se sent coupable de ne pas avoir aidé et de n'avoir pas su empêcher de partir.Au bord du gouffre, découvrant que sa vie lisse auprès d'un mari tout aussi lisse et d'enfants qui ne la voient plus ne la rend plus heureuse, elle décide de partir elle aussi, au Japon, sur les traces de son frère disparu.
Sèche et morte, voilà ce que j'étais devenue (p.67)Elle rencontre là-bas Natsume, chez qui son frère a séjourné. Cet homme, retraité de la police, a décidé de sauver les candidats au suicide voulant se jeter du haut des falaises (encore des falaises !) de ce village japonais. Nathan semblait avoir trouvé la paix auprès de cet homme.
Olivier Adam relate ce qui pousse Sarah à partir au Japon, la lente descente vers la folie et la dépression à l'annonce de la mort du frère adoré, les mensonges, la souffrance, l'incompréhension, jusqu'à la rencontre avec Louise, l'amoureuse de Nathan, qui donnera à Sarah la possibilité - et la raison - de partir au Japon, que Nathan appelait sa Terre promise.
À travers la description de ces deux êtres si différents des autres, presque asociaux, l'un se dirigeant tout droit vers un mur, l'autre se sauvant par les conventions sociales (mariage, enfants, métier stable mais qu'elle déteste), l'auteur nous parle des différentes sociales de plus en plus marquées entre les gens, du monde du travail de plus en plus inhumain, de l'ascension sociale à travers celui-ci, et du suicide, à travers son personnage de "sauveur", décrit par petites touches : «Personne n'a envie de mourir. tout le monde veut vivre. Seulement, à certaines périodes de votre vie, ça devient juste impossible.» (p.137)
Si j'ai appris quelque chose du monde de l'entreprise, et du travail en général, c'est qu'on y tolère mal les faibles, que toute faille doit être camouflée, toute fragilité niée, toute fatigue combattue et oubliée, qu'une part non négligeable de nous-mêmes doit être laissée au vestiaire, comme un costume qu'on ne renfilerait qu'une fois le soir venu (p.99)Le retour sur la vie de Sarah et Nathan donne lieu à quelques réflexions touchantes sur la fraternité :
Je ne rentrais plus que le week-end. Pour ma sœur. Ce n'était encore qu'une enfant et j'avais l'impression de l'abandonner et de la perdre. Il me semblait que le mot sœur n'avait pas le même sens pour Nathan.(p.170)et quelques réflexions mordantes sur le fait d'être une femme, particulièrement en France (Ah, mon cher pays ! Que je ne te regrette pas de ce point de vue là!), lors de ce "séminaire de motivation" avec les collègues de Sarah qui frisent la misogynie, ou au restaurant :
[...] J'ai commandé un whisky, le garçon m'a lancé un regard réprobateur, je me suis demandée ce qu'il pouvait en avoir à foutre, je me suis demandé s'il m'aurait lancé le même regard si j'avais été un homme. (p.119)Avec Le cœur régulier, Olivier Adam nous livre encore un excellent roman qui se lit d'une traite, un roman reconnaissable entre tous. Oui, Olivier Adam écrit du Olivier Adam.
Le trait peut paraître un peu forcé concernant particulièrement le personnage de Nathan, écorché vif en rébellion contre tout et tout le monde, alcoolique de surcroît et écrivain raté...
Mais mise à part ces petites impressions de déjà vu, c'est une écriture toujours profondément touchante.
Je sais ce dont j'ai besoin. Me délester, sentir. M'oublier, m'ouvrir. Recueillir. Laisser le soleil chauffer ma peau, l'air pénétrer mes poumons, l'eau me diluer. Sentir battre en moi un cœur régulier. (p. 187)
La critique de Télérama
En écrivant ceci, j'écoute Shannon Wright, Secret Blood (Vicious Circle/Munich, 2010)
Et puis, un petit lien pour que vous alliez signer la pétition pour protéger les droits d'auteur au Québec...