Dans les favelas, une guerre sans vainqueur

Publié le 30 novembre 2010 par Marx

un article très interessant qui correspond à notre point de vue sur la question

http://www.courrierinternational.com/article/2010/11/30/dans-les-favelas-une-guerre-sans-vainqueur

Note :Marcelo Freixo est professeur d’histoire et député de l’Etat de Rio, Président de la commission de défense des droits de l’Homme et de la Citoyenneté de l’Assemblée législative de Rio de Janeiro.

L’offensive militaire spectaculaire lancée par les forces de l’ordre depuis le 25 novembre dans plusieurs favelas de Rio est présentée par le gouvernement et la plupart des médias comme un succès dans la lutte contre le trafic de drogues. Mais ces démonstrations de force n'ont jamais rien résolu : la vraie guerre doit se mener sur un front social.

Les dizaines de jeunes pauvres, noirs, armés de fusils, sont en fuite. Il ne s’agit pas d’une marche révolutionnaire, comme la scène pourrait le suggérer en d’autres temps et d’autres lieux. Ils vont les armes à la main et la tête vide. Ils ne défendent aucune idéologie. Ils ne luttent pas pour s’emparer de l’Etat [de Rio]. Il n'ont aucune perspective. Ils ne connaissent que la barbarie. La plupart d'entre eux ont quitté l’école très tôt et ils savent très bien que leur destin se résume à mourir ou à finir en prison.
Les images aériennes de la télé, en direct, sont terribles : elles montrent des individus qui peuvent à tout moment tuer comme être tués. La scène s’est produite à la suite de l’intervention de la police militaire [de l’Etat de Rio] dans la favela de Vila Cruzeiro et au Complexo do Alemão [un ensemble d’une douzaine de favelas], au nord de Rio [l’offensive de l’armée a commencé jeudi 25 novembre. Le 28 novembre, 2 600 parachutistes ont investi les favelas, appuyés par des blindés et des hélicoptères]. L’idéal serait une reddition, mais cela semble impossible. Le risque d’un bain de sang est donc bien réel car la logique de guerre prévaut dans la mission de sécurité publique. L’Etat accomplit ainsi son rôle traditionnel. Mais à la fin, il n’y a généralement pas de vainqueur. Ce modèle d’affrontement ne semble aucunement efficace: il n’y a pas si longtemps, en 2007, avec la même équipe gouvernementale [de l’Etat de Rio], la police était entrée dans le Complexo do Alemão et avait tué 19 personnes. Et voilà qu'aujourd'hui, la police juge nécessaire de revenir dans la même favela.

Cette façon de faire prévaut au Brésil depuis la guerre de Canudos [A la fin du XIXe siècle, le prédicateur Antônio Conselheiro fonde à Canudos, dans l’Etat de Bahia, une communauté de plusieurs dizaines de milliers de personnes contestant l'ordre religieux et politique. Les autorités de la toute jeune république envoient quatre expéditions militaires pour venir à bout de cette subversion]. Cette logique de guerre n’a pourtant jamais permis d’offrir une réelle sécurité. D’autres crises viendront. Et d’autres morts. Jusqu’à quand ? Ce n'est pas un nouveau jour J, tel qu’on le présente aujourd’hui, qui va garantir la paix.

L'analogie avancée ces derniers jours avec le Débarquement lors de la Seconde Guerre Mondiale est une fraude médiatique. Cette crise s’explique, en partie, par une conception du rôle de la police impliquant la confrontation armée avec les gangs de dealers. Cela ne mettra jamais fin à un trafic qui existe partout, dans le monde entier. Mais qui inonde les favelas d’armes et de drogue ? Il faut patrouiller dans la Baía de Guanabara [la baie de Rio], dans les ports, les aéroports clandestins, aux frontières. Le lucratif commerce des armes et de la drogue est aux mains d’une mafia internationale.

Croire que des confrontations armées dans les favelas peuvent en finir avec le crime organisé, c’est faire preuve de naïveté. Avoir la police qui tue et meurt le plus dans le monde ne résout rien. Il y a un manque de volonté politique pour valoriser et préparer les policiers à affronter le crime là où le crime s’organise – où l’on trouve pouvoir et argent.

A l’origine de la crise, il y a aussi l’inégalité. C’est la misère qui apparaît comme toile de fond dans le zoom des caméras de télé. Mais ce sont les hommes armés en fuite et l’appareil guerrier de l’Etat qui sont les personnages principaux de ce spectacle terrifiant, au moyen d’une narration structurée par le biais manichéen de l’éternelle “guerre” entre le bien et le mal. Comme “l’ennemi” habite dans la favela, ce sont ses habitants qui souffrent des effets collatéraux de la guerre, alors que la crise semble ne pas affecter beaucoup la vie dans le sud de la ville [les quartiers chics] où l’action de la police est d’abord préventive. La violence est inégale.

Il faut construire autre chose que l’habituelle solution policière à une crise épisodique. Il manque des infrastructures de santé, des crèches, des écoles, de l’assistance sociale, des loisirs. Les pouvoirs publics ne collectent pas les ordures dans les zones où la police est un instrument d’apartheid. Cela peut sembler répétitif, mais il faut le dire à nouveau : une solution en termes de sécurité publique devra passer par la garantie des droits de base pour les citoyens des favelas. La population des favelas est constituée de 99 % de gens honnêtes qui en sortent tous les jours pour aller travailler à l’usine, dans la rue, dans nos maisons, pour produire du travail, de l’art et de la vie. Et ces gens-là – avec leur lieu de vie transformé en théâtre de “guerre” – ne parviennent même pas à exercer leur droit à dormir en paix. Que ne donnerait-on pas  pour avoir, comme dans les favelas, seulement 1 % de délinquants dans les parlements et au sein du pouvoir judiciaire…