Le dimanche 28 novembre 2010 le peuple suisse a donc approuvé par près de 53% des voix l'initiative populaire de l'UDC, Union démocratique du centre, "Pour le renvoi des criminels étrangers". Ce résultat était attendu, annoncé depuis plusieurs semaines [voir mon article Le peuple suisse votera le renvoi systématique des criminels étrangers ].
Pour se faire une idée des réactions de la presse écrite romande après cette votation, rien de plus simple. Il suffit d'analyser ce que disent les éditoriaux de quelques quotidiens romands sur le sujet, au lendemain de cette votation, c'est-à-dire datés du 29 novembre 2010.
Pour faire cette analyse j'en ai sélectionné cinq, dans l'ordre alphabétique des patronymes des auteurs :
- Jean-François Fournier, du Nouvelliste (Valais) ici "Le charme (même plus) discret de la bourgeoisie"
- Sandra Jean, du Matin (Vaud) ici, "Centre-droite, tu roupilles ?"
- Pierre Ruetschi, de La Tribune de Genève ici, "Ils perdent les bras croisés face à l'UDC"
- Louis Ruffieux, de La Liberté (Fribourg) ici, "Jusqu'où ?"
- Pierre Veya, du Temps (Genève) ici, "L'angoisse"
Thèmes abordés par quatre de ces messieurs dame :
La victoire éclatante de l'UDC, seule contre tous :
"Seule contre tous les partis, l'UDC a gagné" Sandra Jean
"Avec moins de 30% des voix au Parlement, l'UDC, seule contre tous les autres partis, a convaincu une large majorité des Suisses de la suivre." Pierre Ruetschi
Le lien avec la votation de l'an passé "Contre la construction de minarets" :
"Une année après l'interdiction des minarets, l'UDC impose son dogme souverainiste, au mépris des règles de droit universelles" Pierre Veya
"Interdiction de la construction des minarets en 2009, instauration d'un régime pénal d'exception pour les étrangers criminels un an plus tard : deux funestes dimanches de fin novembre, deux crottes démocratiquement déposées dans le vaisselier constitutionnel." Louis Ruffieux
Les raisons du succès de l'UDC :
"Une vraie machine de guerre, avec un service de propagande parfait, des moyens financiers inégalables, des politiciens investis, des messages simplistes mais terriblement efficaces." Sandra Jean
Les raisons de l'échec des opposants à l'initiative :
"Manifestement, les partis du centre, le Conseil fédéral et le parlement sont de plus en plus impuissants à contrer le discours d'un grand parti qui exploite les peurs légitimes qui s'exercent à l'égard des phénomènes migratoires" Pierre Veya
"Sur la votation d'hier, apparaîtra encore le coupable déni de la réalité de la gauche et la droite modérée face aux agissements criminels d'une minorité d'étrangers qui, ces dernières années, ont pourri le climat." Louis Ruffieux
L'évocation du fossé entre la Suisse romande et la Suisse alémanique :
"La différence de sensibilité entre Romands et Alémaniques sur les sujets liés aux frontières ne leur échappera pas non plus [aux historiens du futur]" Louis Ruffieux
"En bon Romand, on pourrait commencer par creuser le Röstigraben. Cela ne coûte rien et c'est défoulant de déverser sa frustration du dimanche sur le frère ennemi." Pierre Ruetschi
Le musellement préalable du peuple suisse pour l'empêcher de désormais mal voter :
"Il aurait fallu invalider le texte quand il était encore temps." Sandra Jean
"Les politologues s'étonneront sans doute de l'absence de filtre et de pot catalytique dans la mécanique fine de la démocratie helvétique. Ainsi peut-on, par voie d'initiative, demander tout, n'importe quoi et, pourquoi pas, la suppression du dernier dimanche de novembre." Louis Ruffieux
Cette dernière proposition est un véritable lapsus freudien de la part de son auteur qui parle plus haut de "deux funestes dimanches de fin novembre", ceux du 29 novembre 2009 et du 28 novembre 2010...
Dans tous ces thèmes il y a des parts de vérité, indéniablement. Mais l'opposition systématique à l'égard de l'UDC de tous ces éditorialistes les empêche de voir les choses avec un peu de recul.
Le cinquième éditorialiste, Jean-François Fournier, parce qu'il n'est justement pas systématiquement hostile à l'UDC, a bien vu ce que certains autres de ses confrères n'ont qu'entraperçu :
"En ce début du XXIe siècle helvétique, aucune thématique ne rivalise sérieusement avec la sécurité parmi les préoccupations du citoyen. Et aucun système n'est capable d'ébranler les idées de profit, de consommation, de jouissance de son travail que le libéralisme a mises sur un pied d'Estale. Le type de société qui découle de ce constat porte un nom, décrit comme l'ennemi public No1 par les marxistes : la bourgeoisie."
Il précise sa pensée sur ce vote du 28 novembre 2010 qu'il qualifie de bourgeois :
"Aux classes qui détiennent les rênes de la production depuis les débuts de l'industrialisation - et la richesse qui va avec - s'ajoute désormais le poids d'une classe moyenne, qui entend bien consolider ses récents privilèges, dont le contrôle d'une fiscalité cantonale et communale qui lui est globalement favorable. Une alliance hétéroclite mais très large qui a donc stigmatisé comme un seul homme les criminels étrangers, ressentis comme la première menace à peser sur son bas de laine."
Il conclut :
"Ces réalités du siècle, seule l'UDC les a intégrées. En témoignent les prochains combats qu'elle annonce : la réforme d'une école jugée trop laxiste, ou la mise au pas de médias dénoncés comme majoritairement de gauche. Si le PS, les Verts, le PDC et le PLR n'ouvrent pas les yeux très vite, c'est un boulevard qui s'ouvre pour les démocrates du centre dans la perspective des élections fédérales de 2011."
Francis Richard