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D’autres frontières, dans nos têtes

Par Memoiredeurope @echternach

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Quand je n’écris plus, pendant des semaines, comme c’est le cas actuellement, autre chose que des mails ou des lettres de circonstance, c’est que je ne vais pas bien. Et non pas que je passe à côté de magnifiques rencontres. Des éclairs de la mi-octobre où quelques romans sont venus heurter mes certitudes, jusqu’à ce soleil de Trondheim, qui irrigue ma fenêtre en ne cessant de décliner, de telle sorte que je ne saurais dire s’il se lève ou se couche, j’ai parcouru de nouveau des milliers de kilomètres.

Je devrais être heureux d’avoir croisé le festival de la littérature à Rome, parcouru la campagne toscane en compagnie de députés européens, cherché les traces de Robert Louis Stevenson à Barbizon, redécouvert les rues de Bucarest en automne, regardé le projet Odyssea se mettre en place à Gruissan et rencontré deux ministre français au Salon du Patrimoine de Paris, traversé Strasbourg et Vienne en coup de vent, rejoint Sibiu et les villages saxons le temps d’un long week-end, appris à vivre à Thessalonique, revu Paris entre Bastille et Nation et franchi de nouveau les détroits du Nord vers Trondheim. 

Mais je n’ai rien écrit.

Ce soir, les chants résonnent en bas, dans la maison des pèlerins. Ici et là, autour du café et des gâteaux, les petites bougies tremblent un peu. Il fait aussi chaud au dedans qu’il peut faire froid au dehors. La neige s’est compactée et la rivière qui rejoint le fjord fume comme le bain chaud des geysers islandais.

On me dit que cette température est inusuelle en novembre. Mais la brièveté du jour ne l’est pas. Si je remontais encore un peu au nord, dans cette belle lumière qui semblé vouloir entailler la peau, je pense que je ferai l’expérience de la disparition du soleil, comme j’ai expérimenté en juillet dernier la disparition de la nuit.

Je retrouve après quatre mois la même énergie calme, la même détermination évidente d’une société régie par l’économie du temps. Je repartirai aussi admiratif de l’esprit de dialogue qui y règne que l’été passé. Franchement impressionné.

L’itinéraire de Saint Olav, dans sa fonction de rapprochement des cultures nordiques et de leur mise en réseau avec les autres cultures d’Europe, souhaite apprendre les différences et apprendre d’elles, ou plutôt même, pour mieux dire, détermine le cadre de présentation qui va permettre des transmissions de savoirs nécessaires.

Pour ces rencontres là, je suis heureux de m’être fait accompagner du récent essai de Régis Debray « Eloge des frontières ». 

« Renoncer à soi-même esr un effort assez vain : pour se dépasser, mieux vaut commencer par s’assumer. » écrit-il. « C’est en Amérique du Nord, minimum de diversité dans un maximum d’espace, que les rues ont des chiffres. C’est en Europe qu’elles portent des noms . Par un bonheur qui s’est cher payé, il est vrai, elle a pour lot un maximum de diversité dans un minimum d’espace. Cela fait en général un summum de civilisation (non une garantie , à preuve nos guerres civiles), comme le montre l’Italie de la Renaissance, avec ses émulations municipales dans un mouchoir de poche. De là est né un finistère tout en dentelles, avec quatre-vingt-dix-neuf balafres s’étendant sur deux cent cinquante kilomètres linéaires. Seulement la moitié d’entre elles suivent les lignes de partage des eaux, fleuves, rivières, lignes de crête…Comme « la carte est une projection de l’esprit avant d’être une image de la terre » (Christian Jacob), la frontière est d’abord une affaire intellectuelle et morale. »

Je vais répétant, à qui veut l’entendre, que les routes superbes qui traversent cet autre Finistère du Nord, crénelé de fjords, dans les landes et sur la neige glacée de l’automne, doivent raconter qu’elles sont européennes, tout autant que les routes romaines vers Rome et les chemins celtes de la Galice.

D’une autre christianité que celle dans laquelle je suis né, entourée des doutes et des rigidités du protestantisme, mais aussi de l’ouverture de l’église luthérienne à une relecture du pèlerinage et de l’adoration des saints, je me sens ici un parfait agnostique issu de la Révolution française, mais curieux de cet engagement profond cherchant à rétablir l’image d’un seul dieu, comme l’image d’une seule Europe. 

Cet autre agnostique qu’est Régis Debray s’en va écrire : « Chaque fois qu’un passant souhaite qu’un peu de lui même lui survive, il lève les yeux vers quelque point sublime – Moïse, « le grand architecte », Jésus, de Gaulle, Lincoln ou Boudha. Ne garde pas longtemps les pieds sur terre qui n’a pas eu quelque jour un coin de sa tête dans les nuées. »

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