Par Bernard Martoïa
« La cohérence requiert que vous soyez aussi ignorant aujourd’hui que vous l’étiez l’an dernier »
Bernard Berenson
Même si le rapport de forces a basculé au Congrès américain, il est impensable que la Fed soit abolie demain. Même si cela est fortement désirable pour les tenants de l’école autrichienne, on n’efface pas d’un trait de plume un siècle d’erreurs monumentales… (Le Federal Reserve System a été instauré en 1913) Mais toute amputation du pouvoir exorbitant, que détient actuellement Bernanke Helicopter sur l’économie mondiale, est bienvenue.
C’est avec joie que nous venons d’apprendre qu’une poignée d’élus de la nation américaine voudraient supprimer le Humphrey-Hawkins Act de 1978. De quoi s’agit-il pour les profanes ? Introduite sous la présidence de Jimmy Carter, cette loi visait à accroître sensiblement le mandat de la Fed. Jusqu’alors, son objectif, comme celui de toute banque centrale, était la stabilité des prix. Mais sous l’influence pernicieuse des Keynésiens, la loi Humphrey-Hawkins, du nom de ses deux artisans au Congrès (Humphrey était à la manœuvre au sénat et Hawkins à la Chambre des Représentants), réussit à imposer un autre mandat à la Fed : la croissance et le plein-emploi.
La courbe funeste de Phillips
Se basant sur la période allant de 1913 à 1948 au Royaume-Uni, l’économiste néo-zélandais William Phillips publia, en 1958, une courbe montrant une corrélation entre inflation et plein-emploi. Son papier rencontra un grand succès auprès de ses pairs keynésiens. Il est vrai que le Royaume Uni fut contraint de mener une politique déflationniste pour restaurer le Gold Standard après la Première Guerre mondiale. Mais peut-on extrapoler l’expérience britannique qui fut menée dans les circonstances difficiles de l’époque ? Pourquoi Philips ne s’est-il pas intéressé à la république de Weimar qui connaissait à la fois l’hyperinflation et un chômage de masse ? Ce seul exemple met en pièce sa théorie.
Qu’importe ! Malgré tous les préjugés que l’on peut nourrir d’une étude qui fut menée sur un seul pays et sur une période difficile ne pouvant être extrapolée, la courbe de Phillips rencontra un succès planétaire. La cause était entendue : «un peu d’inflation (4 ou 5%) était bon pour le plein-emploi. » Pour les progressistes qui ne s’embarrassent pas des lois d’airain du marché, la Banque Centrale devait poursuivre deux objectifs absolument contradictoires : la stabilité des prix et le plein-emploi.
La loi Humphrey-Hawkins avait un objectif encore plus ambitieux que celui qu’elle fixa, avec l’amendement 2A, au statut de la Fed. Elle visait ni plus ni moins que la quadrature du cercle pour le gouvernement américain. Celui-ci devait obtenir le plein emploi, la croissance, la stabilité des prix et l’équilibre budgétaire. Dans leur délire, les artisans de la loi avaient fixé des objectifs intermédiaires et finals : réduire le chômage à 3% en 1983 et l’inflation à 0% en 1988. Si le secteur privé n’atteignait pas ces chiffres, le gouvernement était autorisé à créer un « réservoir d’emplois publics ».
Soyez certain que tout ce qui est mauvais en Amérique sera vite adopté en France
Nul doute que le premier gouvernement de Pierre Mauroy fût inspiré grandement de ses fariboles keynésiennes circulant Outre-Atlantique. Malgré l’échec patent du plan de relance en 1981, la courbe de Phillips est toujours enseignée à l’ENA, à Sciences-Po de Paris et autres bastions keynésiens. Influencé par les énarques de l’Elysée, le président Sarkozy ne s’est pas gêné pour critiquer, à maintes reprises, l’inflexibilité de la Banque Centrale Européenne : « Faites un peu d’inflation pour redonner de l’oxygène à notre économie asphyxiée par un euro trop fort ! » Le président de la République ne connaît pas le statut de la B.C.E. Contrairement à celui de la Fed, la B.C.E n’a qu’un seul objectif : la stabilité des prix dans la zone euro.
Le réveil tardif des Américains
Comme Ron Paul qui milite depuis vingt-cinq ans en faveur de l’abrogation de la Fed (1), il existe un élu aussi courageux que lui à la Chambre des Représentants. Il s’agit de Paul Ryan. Cet élu du Wisconsin se battait seul, depuis 1999, en faveur de l’abrogation de la loi Humphrey-Hawkins. Il vient de recevoir l’appui de deux représentants, Mike Pence de l’Indiana et Tom Price de la Géorgie, et du sénateur Bob Corker du Tennessee. Le Wall Street Journal monte au créneau à son tour en demandant la fin de la dualité des mandats de la Fed. (2)
C’est une attaque en règle contre le troisième plan de relance de Bernanke surnommé QE2 dans la presse. Malgré les hélicoptères de la Fed qui volent, nuit et jour, pour arroser les «green shoots» plantés par Barrack Hussein Obama au printemps 2009, le chômage reste élevé dans le pays. Les Keynésiens n’ont toujours pas compris que la croissance est tirée par l’épargne et non par la dette.
Comme l’écrit Mark Calabria dans le Cato Institute, la Fed ne peut servir deux maîtres à la fois (3) Il est grand temps de restaurer la cohérence de l’action de la Fed en la confinant à son rôle de maintenir la stabilité des prix dans sa zone monétaire. C’est ce que se contente de faire la B.C.E malgré les inlassables critiques des politiques français qui ne comprendront jamais rien à l’économie.
(1) Archive du 20 novembre 2009 : « la Fed sera bientôt sous la tutelle du congrès »
(2) Wall Street Journal du 20 novembre 2010 : « The Fed’s bipolar mandate : time to repeal the Humphrey-Hawkins Act of 1978”
(3) Cato Institute : “Fed can’t serve two masters” by Mark Calabria