Ce qui vient de se passer en Irlande me paraît très éclairant des évolutions de fond actuellement à l’œuvre. Je reviendrai un de ces jours sur les considérations macroéconomiques (européennes et au-delà) pour me cantonner aujourd’hui à la situation irlandaise.
Car il s'y révèle quelque chose d'important.
1/ L’Irlande « paye » aujourd’hui ses excès passés : un développement artificiel fondé sur une croissance forcée à coup de fiscalité et d’endettement, qui ont dopé les prix de l’immobilier. C’est surtout le résultat d’une économie mondialisée, fondée sur l’augmentation des échanges. Sans décrire les principes ricardiens, cette économie est fondée sur « les avantages comparatifs ». Quel est l’avantage comparatif de l’Irlande ? Non pas son appareil productif, un peu sa population formée, beaucoup la langue anglaise des Irlandais ; et surtout son caractère de tête de pont au sein du marché intégré européen, d’autant que l’Irlande appartient à l’UE mais aussi à la zone euro.
2/ Mais ne nous y trompons pas : l’intérêt fondamental de l’Irlande, c’est sa fiscalité. Ou plus exactement, sa fiscalité commerciale, avec un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 %, au lieu des 27 % en moyenne pour le reste des pays de l’UE. En clair, et pour reprendre une expression lancée dimanche par Max Gallo sur France culture (dans l’excellente émission Esprit public), l’Irlande est un paradis fiscal. Ce qui s’accommode évidemment fort bien avec le capitalisme mondialisé contemporain. Et qui renvoie à la question des paradis fiscaux, qui a attiré l’attention du public il y a deux ans, au moment de l’éclatement de la crise économique (cf. billet de février 2009).
3/ On a ainsi beaucoup évoqué le « nationalisme » irlandais lors des négociations de la semaine passée. En rappelant à l’envi les trois exceptions négociées au moment du deuxième référendum sur le traité de Lisbonne : la neutralité de défense, le refus de l’avortement, et l’impôt sur les sociétés. Autant le premier a clairement des aspects géopolitiques évidents (la rivalité avec la Grande-Bretagne), autant le second touche à l’identité nationale (catholique), autant le troisième ressort à une dimension beaucoup plus récente. Il ne s’agit là que d’intérêt, mais aussi de ce que les Irlandais considèrent comme le fondement de leur « puissance » économique. En cela, c’est géopolitique. Un aspect certes particulier de la géopolitique, celle des ressources qui, on le note au passage, ne sont pas exclusivement matérielles (énergie, espaces, matières premières) mais peuvent être aussi financières voire, en l’espèce, légales.
4/ Toutefois, ce facteur nationaliste s'est peu à peu estompé. Les manifestations qui ont eu lieu le 27 novembre l'illustrent (plus de 100.000 personnes, ce qui est imposant, voir article). Face à la confusion des sentiments, la question du nationalisme m'apparait comme un explication trop facile. Il y avait surtout de la colère (voir ici), d'abord contre les gouvernement qui ont laissé un tel système se mettre en place. Pour l'instant, ce ressentiment demeure dans le champ économique et politique, ce qui est heureux. Toutefois, la gravité de la crise sociale à venir laisse entrevoir d'autres débordements.
5/ Si dérive nationaliste il y a, ne nous y trompons pas sur son origine : il ne me semble pas qu'elle se tourne contre l'Europe, qui paraît ici plus une solution qu'une cause : elle se tournera plutôt contre la mondialisation. Et si l'exception fiscale irlandaise a encore tenu cette fois-ci, elle risque bien de sauter la prochaine fois. Car au train où vont les choses, on risque d'assister à un surcroît de régulation. Donc une homogénéisation fiscale. Sous l'égide européenne.
Mais j'aborde déjà là le thème du prochain billet sur la question.
O. Kempf