- La Sécu, mon fils ? Ah! C'était une espèce d'usine à gaz née des hystéries mutualistes d'après-guerre. Une baleine née en 1945 pour donner corps à un besoin supposé de solidarité. Tu sais, un de ces trucs utopistes nés dans l'exaltation du moment. Là, en l'occurrence, c'était la Résistance ; si tu vois ce que je veux dire. La Sécu, c'est Bismark qui en a eu l'idée le premier en Allemagne à la fin du XIXe.
- Hein ? Mais non pas arrondissement. Siècle! Crétin ! Puis Beveridge fit la même chose en Angleterre. Mais faut dire qu'à l'époque, y'avait vraiment de la misère, avec un prolétariat mal éduqué, éthylique, phtisique et déjà tire-au-flancs. Car c'est de là qu'il vient le problème. Les tire-au-flancs toujours prêts à mordre la main qui les nourrit. De toute façon, c'était pas viable. Imagine : les jeunes payaient pour les vieux, les bien portants pour les malades et les handicapés, les célibataires pour les familles nombreuses, les urbains pour les ruraux, le public pour le privé, le régime normal pour les régimes spéciaux, les Français pour les étrangers. En fait, t'étais toujours en train de payer pour des trucs qui ne te concernaient pas.
- Mais Papa, le jour où t'étais malade, t'étais bien content de la trouver la Sécu. Non ?
- Alors là, mon fils, dis-toi bien une chose : tu n'as pas besoin de Sécu si tu n'es pas malade. Le tout c'est de ne pas être malade. C'est quand même pas compliqué. Rhoh ! Puis j'ai horreur de te voir avec cette mentalité de looser.
- Mais c'est une supposition P'pa.
- Écoute, fiston, maintenant on est en en 2012. Il y a eu la rupture. Les choses sont quand même plus simples. Si tu es malade, tu ne t'en prends qu'à toi-même. Tu as sûrement eu une conduite à risque. Et si ce n'est toi, c'est donc ton père. Enfin, ta mère plutôt… parce que de notre côté… Bref ! Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous. Et puis tu as les assurances. Chères. C'est sûr. Mais qui couvrent bien.
- Pour la retraite ? Ben, tu mets de l'argent de côté et tu vas au delà des 75 ans d'âge légal. Normalement tu vas au bout sans problème.
- Quoi ? Les enfants ? Ben tu n'en fais pas, gros malin. Personne ne te demande de t'encombrer avec ça. D'autant que ça coûte cher à élever et que c'est souvent malade.
Enfin. Toujours est-il que de trous en déficits on a fini par l'achever en 2011, la Sécu. C'était vraiment devenu un gouffre financier, le tonneau des Danaïdes. Et puis surtout que la solidarité ne servait plus à rien. Ce fut le début de la nouvelle politique de civilisation. Celle dans laquelle nous vivons maintenant. Chacun doit être assez fort et responsable pour s'en sortir tout seul.