En l’espace de seulement 3 mois, le Parlement a supprimé ce qui était pourtant considérée comme une avancée du Grenelle de l’environnement, à savoir la possibilité pour les parties prenantes d’émettre un avis sur le volet développement durable du rapport annuel des sociétés anonymes à leurs actionnaires.
Comme vient de le signaler très justement l’association ORSE (http://www.orse.org/), le Parlement a en effet récemment voté un texte, devenu la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière qui, à son article 32 enterre purement et simplement une mesure votée, quelques mois auparavant, inscrite à l’article 225 de la loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 portant engagement national de l’environnement.
Très concrètement, l’article 225 de la loi « grenelle 2 » du 12 juillet 2010 avait supprimé le cinquième alinéa de l'article L. 225-102-1 du code de commerce pour le remplacer remplacer par sept alinéas ainsi rédigés :
« Il [le rapport] comprend également des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable. Un décret en Conseil d'Etat établit la liste de ces informations en cohérence avec les textes européens et internationaux, ainsi que les modalités de leur présentation de façon à permettre une comparaison des données.
« Les institutions représentatives du personnel et les parties prenantes participant à des dialogues avec les entreprises peuvent présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises en complément des indicateurs présentés.
« A partir du 1er janvier 2011, le Gouvernement présente tous les trois ans au Parlement un rapport relatif à l'application de ces dispositions par les entreprises et sur les actions qu'il promeut en France, en Europe et au niveau international pour encourager la responsabilité sociétale des entreprises
« Les trois alinéas précédents s'appliquent aux sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ainsi qu'aux sociétés dont le total de bilan ou le chiffre d'affaires et le nombre de salariés excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat. Lorsque la société établit des comptes consolidés, les informations fournies sont consolidées et portent sur la société elle-même ainsi que sur l'ensemble de ses filiales au sens de l'article L. 233-1 ou les sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Lorsque les filiales ou les sociétés contrôlées sont installées sur le territoire national et qu'elles comportent des installations classées soumises à autorisation ou à enregistrement, les informations fournies portent sur chacune d'entre elles lorsque ces informations ne présentent pas un caractère consolidable
« Les informations sociales et environnementales figurant ou devant figurer au regard des obligations légales et réglementaires font l'objet d'une vérification par un organisme tiers indépendant, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. Cette vérification donne lieu à un avis qui est transmis à l'assemblée des actionnaires ou des associés en même temps que le rapport du conseil d'administration ou du directoire.
« L'alinéa précédent s'applique à partir de l'exercice clos au 31 décembre 2011 pour les entreprises dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Il s'applique à partir de l'exercice clos au 31 décembre 2016 pour l'ensemble des entreprises concernées par le présent article.
« L'avis de l'organisme tiers indépendant comporte notamment une attestation sur la présence de toutes les informations devant figurer au regard des obligations légales ou réglementaires. Cette attestation est due à partir de l'exercice clos au 31 décembre 2011 pour l'ensemble des entreprises concernées par le présent article. »
Or, l’article 32 de la loi du 22 octobre 2010-11-30 prévoit notamment que le sixième alinéa de l’article L. 225-102-1 du code de commerce est supprimé. En conséquence, le texte qui prévoit la possibilité pour les « parties prenantes » d’émettre un avis sur le volet développement durable du rapport disparaît.
Pour connaître le motif de cette suppression, il faut se reporter au rapport du sénateur Philippe Marini, déposé le 14 septembre 2010 devant la Commission des finances du Sénat. Ce rapport précise :
« II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES
Si le régime d'information sur les conséquences sociales et environnementales de l'activité des grandes entreprises a pu constituer un réel progrès en termes de transparence à l'égard des actionnaires et de prise en compte de nouvelles dimensions stratégiques, il semble que les conséquences juridiques et pratiques de la disposition récemment introduite par la loi « Grenelle II », relative à la publication de l'avis des institutions représentatives du personnel et des parties prenantes, n'aient pas été totalement envisagées. Elles peuvent en effet créer de réelles difficultés et contrevenir à l'objectif recherché :
- les notions de « parties prenantes participant à des dialogues avec les entreprises » et de « responsabilité sociétale » sont de faible portée juridique, particulièrement floues et potentiellement d'autant plus extensives qu'elles ne sont pas précisées par voie réglementaire. Toute association ou tout client, fournisseur, partenaire, ou observateur ayant eu un contact avec l'entreprise pourrait ainsi demander à inclure son avis dans le rapport de gestion ;
- le principe d'une telle inclusion inconditionnelle peut conduire à ce que l'entreprise « endosse », dans son rapport annuel, des appréciations non vérifiées ou susceptibles de lui porter un préjudice de réputation - et donc économique - disproportionné au regard de l'intention initiale de transparence. Le rapport de gestion devient ainsi une sorte de « cahier de doléances » public, ce qui n'est pas son objet ;
- l'ensemble des documents transmis annuellement à l'assemblée générale est d'ores et déjà communiqué au comité d'entreprise en application de l'article L. 2323-8 du code du travail. Dans ce cadre, le comité d'entreprise peut formuler toute observation concernant notamment les informations sociales et environnementales figurant dans le rapport de gestion. Ces observations sont ensuite transmises systématiquement à l'assemblée générale des actionnaires.
Ces dispositions vont donc trop loin et votre commission, par cet article additionnel, vous propose de les supprimer, ainsi que, par coordination, les dispositions de divers codes qui y font référence.
Décision de la commission : votre commission a adopté cet article additionnel."
A l’Assemblée nationale, le rapport du député Jêrome Chartier pour la Commission des finances, déposé le 6 octobre 2010, précise :
"Article 7 octies A
Révision des modalités d’information sociale et environnementale figurant dans le rapport de gestion des entreprises
Cet article, introduit par le Sénat à l’initiative de M. Philippe Marini, rapporteur, supprime la faculté pour les institutions représentatives du personnel et les « parties prenantes » de présenter, dans le rapport annuel de gestion des grandes entreprises, leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale de l’entreprise.
L’article L. 225-102-1 du code de commerce dispose, depuis la loi n° 2001-4201 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), que le rapport annuel de gestion des sociétés cotées sur un marché réglementé comprend des informations « sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable ». La liste de ces informations est précisée aux articles R. 225-104 et R. 225-105 du même code.
La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite « Grenelle II ») a étendu cette obligation aux grandes entreprises non cotées et a ajouté à l’article L. 225-102-1 que « les institutions représentatives du personnel et les parties prenantes participant à des dialogues avec les entreprises peuvent présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises en complément des indicateurs présentés ». Cette loi a également prévu que le Gouvernement présente tous les trois ans au Parlement « un rapport relatif à l’application de ces dispositions par les entreprises et sur les actions qu’il promeut en France, en Europe et au niveau international pour encourager la responsabilité sociétale des entreprises ».
La commission des Finances du Sénat a considéré que les dispositions introduites par la loi Grenelle II pourraient avoir des conséquences néfastes disproportionnées pour l’entreprise, et contraires à l’objet du rapport annuel. Ainsi, le rapport de la commission des Finances du Sénat souligne que la notion de « parties prenantes » est trop large et floue et que les institutions représentatives du personnel et parties prenantes pourraient introduire dans le rapport annuel des appréciations non vérifiées ou susceptibles de porter à l’entreprise un préjudice de réputation disproportionné. Il rappelle par ailleurs que ces informations sont déjà communiquées au comité d’entreprise en vertu de l’article L. 2323-8 du code du travail, et que le comité d’entreprise peut émettre des observations transmises à l’assemblée générale des actionnaires.
Compte tenu de ces observations, le Sénat a adopté cet article additionnel qui supprime la faculté pour les institutions représentatives du personnel et les parties prenantes de présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises, et qui maintient le rapport triennal précité.
***
M. Jérôme Chartier, rapporteur. Cet article supprime la faculté pour les représentants du personnel de présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise dans son rapport annuel.
La Commission adopte l’article 7 octies A sans modification. »
Ainsi, plutôt que de contribuer à une meilleure définition des termes « parties prenantes », le Parlement, qui a eu recours à plusieurs reprises à cette expression dans d’autres textes, a préféré supprimer la possibilité pour ces parties prenantes d’exprimer l’avis précité.
Pourtant, il sera tôt ou tard nécessaire de procéder à cette définition car l’expression « parties prenantes » et même « parties prenantes locales » est utilisée à plusieurs reprises dans les textes issus du Grenelle de l’environnement.