La plupart des critiques de l’ISF sont tournées vers l’expatriation que cet impôt génère, entraînant avec lui des pertes fiscales qui excèdent son rendement financier. Certaines évaluations dépassent 200 milliards d’euros de fortunes qui se sont délocalisées, dont les revenus ne sont plus taxés en France. Il faut y ajouter tous les talents d’entrepreneurs qui sont partis en Belgique, Suisse, Angleterre et même Etats-Unis, talents extrêmement rares et qui profitent à ces pays comme l’Edit de Nantes a servi les économies hollandaise ou anglaise.
Mais cette approche, uniquement tournée vers l’exil car celui-ci est plus facilement mesurable, néglige une perte à notre avis beaucoup plus grave qui est la paralysie que cet impôt a communiquée à l’économie française et qui elle s’exprime en centaines de milliers d’emplois que notre économie n’a plus créés, comme l’a dénoncé l’iFRAP dès 2003.
La première conséquence de cet impôt a été en effet que du jour au lendemain, tous ceux qui jusqu’alors investissaient dans la création ou le développement d’entreprises sans pour autant en être des dirigeants actifs et sans donc pouvoir bénéficier de l’exemption de l’outil de travail, se sont précipités vers le placement de leur argent en collections de montres anciennes (le signataire de cet article se rappelle des exemples précis) et d’une façon plus générale d’antiquités, de tableaux, que, grâce à Laurent Fabius, l’ISF excluait de son champ.
La deuxième conséquence est que du jour au lendemain, les fusions et concentrations d’entreprises devenaient beaucoup plus difficiles. En effet, les dirigeants de deux entreprises bénéficiant de l’outil de travail car disposant chacun de plus de 25% du capital pouvaient tomber en-dessous de ce seuil s’ils fusionnaient. Or, dans les entreprises qui se créent aux USA, la moyenne du capital que possède celui qui crée l’entreprise est de 28% ; en France, cela leur aurait permis d’augmenter leur capital de 3%, pas plus, limitation stupide pour une entreprise en expansion. Bill Gates n’aurait jamais créé Microsoft en France car il n’a jamais détenu plus de 11% du capital.
Or, absorber, fusionner, est une des conditions de croissance d’une économie, les grandes entreprises comme Cisco, IBM, etc. croissant plus par absorption d’entreprises externes que par croissance interne.
L’imbécillité de l’ISF est apparue de façon tellement évidente à la fin des années 90 que toute une série de rustines ont été mises en place.
Ce sont essentiellement les lois Dutreil de 2003 et 2004 exemptant d’ISF les investissements dans le capital de créations d’entreprises PME et réduisant de 75% l’ISF des actionnaires passifs à condition d’établir un pacte d’actionnaire assurant que les actionnaires intéressés soient propriétaires ensemble d’un pourcentage minimum du capital (34% pour une société non cotée) et le reste pour une période de 6 ans qui a été progressivement réduite à 2 ans. Pour permettre à des actionnaires de se retirer sans que le pacte disparaisse et avec lui la réduction de 75%, on a donc vu des actionnaires signer jusqu’à 1000 pactes différents pour prévoir toutes les combinaisons possibles.
Si des rustines ont donc bouché les trous les plus criants, c’est au prix d’une complexité bureaucratique qui fait fuir les entrepreneurs et dans laquelle seules des entreprises importantes et déjà très établies savent naviguer en raison des coûts d’avocats pour les mettre en œuvre. Rebutant sinon inaccessible pour la petite PME de 50 à 100 personnes qui veut grossir.
L’ISF est l’une des grandes causes du nanisme des entreprises françaises dont souffre l’industrie française.
Bernard Zimmern, président de l’Institut français pour la recherche sur les administrations publiques (iFRAP)
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