La Caune de l'Arago, à Tautavel, est souvent comparée à un grand livre d'histoire, un livre d'humanité, de l'humanité à ses racines, où les pages s'effeuillent, une à une, et s'effacent, irrémédiablement, lors de chaque fouille programmée.
« Le front bas, le menton effacé, le regard abrité sous des arcades proéminentes, la démarche balourde malgré une taille qui approchait 1 mètre 60... il n’aurait pas déparé parmi les figurants de La planète des singes »(1), telle est l'une des descriptions réductrice, parmi tant d'autres publiées sur sa personne simiesque, - ou voulue telle -, de celui qui fut, durant 23 ans, considéré comme le plus vieil européen, âgé de 450.000 ans, l'homo érectus tautavelensis exhumé de la Caune de l'Arago, Pyrénées Orientales, le 21 Juillet 1971. Il n'a été détrôné de cet honneur, qu'en l'an 1994, par l'Homo antecessor, une espèce définie à partir de 86 fragments osseux correspondant au moins à six individus, dont le maxillaire et le frontal d’un enfant âgé d'environ 10 ans, - 780.000 ans -, découverts en Espagne, à Atapuerca(2), dans le gisement de la Gran Dolina. Et, en l'an 2000, un Homo ergaster-erectus georgicus, - l’homme qui travaille droit -, découvert sur le site de Dmanisi, en Géorgie, et daté de 1,8 million d'années, posant la question idoine de la présence d'humanoïdes autochtones, en contradiction avec la thèse émise d'une colonisation pré-humaine de l'Europe par des hominidés venus d'Afrique en transitant par l'Asie, les a supplanté dans l'antériorité.
L’homme de Tautavel : hominidé anténéanderthalien ou Homo Heidelbergensis ?
Les restes, plus de 120 fragments mis à jour, de cet hominien tautavellois font toujours l'objet, - polémique stérile, sans nul doute, entre scientifiques impudents, infatués et arrogants, assoiffés jusqu'à l'ivresse de notoriété, de succès dans leur travail et de reconnaissance par la société - de deux interprétations différentes assises, l'une et l'autre, sur le système de classification des êtres vivants essentiellement basé sur les rapports de proximité évolutive entre espèces, la phylogénétique. Pour le préhistorien Henry de Lumley et son équipe, il correspond à une forme européenne d'Homo erectus, la raison pour laquelle le nom d'Homo erectus tautavelensis a été suggéré(3). En cela, pour ses inventeurs, il s'agirait d'un hominidé anténéanderthalien, devancier, sur le sol européen, bien que n'ayant pas nécessairement de lien de parenté avec lui, de l'Homme de Néanderthal. Pour les opposants à cet appellatif binominal d'espèce, il circonviendrait de le classifier dans le genre pré-Néanderthalien ancien, ancêtre direct d’Homo neanderthalensis. Ainsi, tout comme la mandibule de Mauer, - 600.000 ans - , découverte en Allemagne, en 1907, dans une sablière près de Heidelberg, ou le crâne de Petralona, du Mindélien supérieur, - 650.000 à 450.000 ans -, mais étonnamment daté de 200.000 ans, exhumé en 1982 en Grèce, le crâne Arago XXI, devrait alors être considéré comme un représentant de la très controversée espèce, l'Homo Heidelbergensis.
En toute certitude, sur le plan paléontologique, la grotte de l’Homme de Tautavel est, avec le gisement de Sima de los Huesos, - la grotte des os à Atapuerca en Espagne -, sans conteste aucune pour les sommités scientifiques, l'un des plus importants gisements préhistoriques du monde.
La Caune de l'Arago.
Située en surplomb des gorges de Gouleyrous, la Caune de l'Arago, l’une des plus grandes cavités karstiques du Sud des Corbières, véritable nid d'aigle, domine, d’une centaine de mètres, les vallées de Tautavel-Vingrau et de l'Agly, et offre une vue imprenable sur le Rivesaltais, la Salanque et la plaine du Roussillon. Pour les chasseurs de la préhistoire, c'était un poste d'observation idéal, privilégié et stratégique qui leur permettait de surveiller, en toute sécurité, les déplacements du gibier et des troupeaux aussi loin que pouvait porter leur vue sur les landes et le piémont pyrénéen à l'horizon. En outre, le Verdouble, coulant en contrebas, le point d'eau attirait les animaux qui venaient s'y abreuver apportant profit aux hommes. Ceux-ci ne devaient point se priver d'une telle manne en nourriture, - des herbivores : Bouquetin, Cerf, Mouflon, Thar, Daim, Bœuf musqué, Bison, Cerf, Renne, Éléphant, Cheval et Rhinocéros ; mais aussi des carnivores : Ours, Loup... -, tenue à portée immédiate de leurs armes de chasse précaires.
En références aux outils lithiques découverts sur le site, - racloirs, grattoirs, pointes, choppers, chopping-tools et quelques bifaces -, peuvent laisser à penser que l'Homo tautavellensis était un hominidé peu évolué, l'homme moderne se trompe peut être sur les capacités réelles qui animaient ces hommes antédiluviens. N'a-r-il point été découvert, taillé de main d'homme, proche de l'entrée de la grotte, un passage en degrés qui permet d'accéder facilement sur le plateau situé au dessus de la grotte ? Qu'en serait-il réellement ? Ne serions-nous pas dans l'erreur ? Et ne dévaloriserions-nous pas nos antécesseurs par nos clichés proformatés ?
La découverte de la Caune de l'Arago.
Cette grotte a été connue de tous temps mais elle n'a pas été, après la Paléolithique(5), située trop haut dans la falaise et n'ayant, de ce fait, pas pu servir d'abri aux bergers ni de lieu de surveillance aux militaires, tout particulièrement habitée. Au différent, depuis le XIX° siècle elle a acquis un intérêt paléontologique. Dès 1828, elle a été étudiée par Pierre Marcel Toussaint de Serres, géologue et naturaliste montpelliérain, qui y avait découvert des ossements d'animaux qu'il qualifiait « d'antédiluviens. » En 1948, Jean Abelanet, archéologue catalan, y entreprend des recherches qui lui ont permis de mettre à jour des industries lithiques datées du Paléolithique moyen. Et, à partir de 1964, sous la direction d'Henry de Lumley, elle fait l'objet de fouilles systématiques et méthodiques qui mènent, en 1971, à la mise à jour des restes, datés de 450 000 ans, de l'un des plus anciens européens
Raymond Matabosch.
Notes :
(1) Jean-Philippe Mestri : « L’homme de Tautavel rajeuni », Le Progrès, Vendredi 31 août 2001.
(2) Atapuerca est une petite commune de 200 habitants située au nord de l’Espagne, dans la province de Burgos
(3) Marie-Antoinette de Lumley, 1982. « L'homme de Tautavel. Critères morphologiques et stade évolutif », dans « Datations absolues et analyses isotopiques en préhistoire, méthodes et limites. »
Henry de Lumley et Jacques Labeyrie, Colloque international du CNRS, Tautavel, 22-29 juin 1981, pp. 259-264
Publié le 27 Octobre 2010 sur :
La Caune de l'Arago, à Tautavel, est souvent comparée à un grand livre d'histoire, un livre d'humanité, de l'humanité à ses racines, où les pages s'effeuillent, une à une, et s'effacent, irrémédiablement, lors de chaque fouille programmée.
« Le front bas, le menton effacé, le regard abrité sous des arcades proéminentes, la démarche balourde malgré une taille qui approchait 1 mètre 60... il n’aurait pas déparé parmi les figurants de La planète des singes »(1), telle est l'une des descriptions réductrice, parmi tant d'autres publiées sur sa personne simiesque, - ou voulue telle -, de celui qui fut, durant 23 ans, considéré comme le plus vieil européen, âgé de 450.000 ans, l'homo érectus tautavelensis exhumé de la Caune de l'Arago, Pyrénées Orientales, le 21 Juillet 1971. Il n'a été détrôné de cet honneur, qu'en l'an 1994, par l'Homo antecessor, une espèce définie à partir de 86 fragments osseux correspondant au moins à six individus, dont le maxillaire et le frontal d’un enfant âgé d'environ 10 ans, - 780.000 ans -, découverts en Espagne, à Atapuerca(2), dans le gisement de la Gran Dolina. Et, en l'an 2000, un Homo ergaster-erectus georgicus, - l’homme qui travaille droit -, découvert sur le site de Dmanisi, en Géorgie, et daté de 1,8 million d'années, posant la question idoine de la présence d'humanoïdes autochtones, en contradiction avec la thèse émise d'une colonisation pré-humaine de l'Europe par des hominidés venus d'Afrique en transitant par l'Asie, les a supplanté dans l'antériorité.
L’homme de Tautavel : hominidé anténéanderthalien ou Homo Heidelbergensis ?
Les restes, plus de 120 fragments mis à jour, de cet hominien tautavellois font toujours l'objet, - polémique stérile, sans nul doute, entre scientifiques impudents, infatués et arrogants, assoiffés jusqu'à l'ivresse de notoriété, de succès dans leur travail et de reconnaissance par la société - de deux interprétations différentes assises, l'une et l'autre, sur le système de classification des êtres vivants essentiellement basé sur les rapports de proximité évolutive entre espèces, la phylogénétique. Pour le préhistorien Henry de Lumley et son équipe, il correspond à une forme européenne d'Homo erectus, la raison pour laquelle le nom d'Homo erectus tautavelensis a été suggéré(3). En cela, pour ses inventeurs, il s'agirait d'un hominidé anténéanderthalien, devancier, sur le sol européen, bien que n'ayant pas nécessairement de lien de parenté avec lui, de l'Homme de Néanderthal. Pour les opposants à cet appellatif binominal d'espèce, il circonviendrait de le classifier dans le genre pré-Néanderthalien ancien, ancêtre direct d’Homo neanderthalensis. Ainsi, tout comme la mandibule de Mauer, - 600.000 ans - , découverte en Allemagne, en 1907, dans une sablière près de Heidelberg, ou le crâne de Petralona, du Mindélien supérieur, - 650.000 à 450.000 ans -, mais étonnamment daté de 200.000 ans, exhumé en 1982 en Grèce, le crâne Arago XXI, devrait alors être considéré comme un représentant de la très controversée espèce, l'Homo Heidelbergensis.
En toute certitude, sur le plan paléontologique, la grotte de l’Homme de Tautavel est, avec le gisement de Sima de los Huesos, - la grotte des os à Atapuerca en Espagne -, sans conteste aucune pour les sommités scientifiques, l'un des plus importants gisements préhistoriques du monde.
La Caune de l'Arago.
Située en surplomb des gorges de Gouleyrous, la Caune de l'Arago, l’une des plus grandes cavités karstiques du Sud des Corbières, véritable nid d'aigle, domine, d’une centaine de mètres, les vallées de Tautavel-Vingrau et de l'Agly, et offre une vue imprenable sur le Rivesaltais, la Salanque et la plaine du Roussillon. Pour les chasseurs de la préhistoire, c'était un poste d'observation idéal, privilégié et stratégique qui leur permettait de surveiller, en toute sécurité, les déplacements du gibier et des troupeaux aussi loin que pouvait porter leur vue sur les landes et le piémont pyrénéen à l'horizon. En outre, le Verdouble, coulant en contrebas, le point d'eau attirait les animaux qui venaient s'y abreuver apportant profit aux hommes. Ceux-ci ne devaient point se priver d'une telle manne en nourriture, - des herbivores : Bouquetin, Cerf, Mouflon, Thar, Daim, Bœuf musqué, Bison, Cerf, Renne, Éléphant, Cheval et Rhinocéros ; mais aussi des carnivores : Ours, Loup... -, tenue à portée immédiate de leurs armes de chasse précaires.
En références aux outils lithiques découverts sur le site, - racloirs, grattoirs, pointes, choppers, chopping-tools et quelques bifaces -, peuvent laisser à penser que l'Homo tautavellensis était un hominidé peu évolué, l'homme moderne se trompe peut être sur les capacités réelles qui animaient ces hommes antédiluviens. N'a-r-il point été découvert, taillé de main d'homme, proche de l'entrée de la grotte, un passage en degrés qui permet d'accéder facilement sur le plateau situé au dessus de la grotte ? Qu'en serait-il réellement ? Ne serions-nous pas dans l'erreur ? Et ne dévaloriserions-nous pas nos antécesseurs par nos clichés proformatés ?
La découverte de la Caune de l'Arago.
Cette grotte a été connue de tous temps mais elle n'a pas été, après la Paléolithique(5), située trop haut dans la falaise et n'ayant, de ce fait, pas pu servir d'abri aux bergers ni de lieu de surveillance aux militaires, tout particulièrement habitée. Au différent, depuis le XIX° siècle elle a acquis un intérêt paléontologique. Dès 1828, elle a été étudiée par Pierre Marcel Toussaint de Serres, géologue et naturaliste montpelliérain, qui y avait découvert des ossements d'animaux qu'il qualifiait « d'antédiluviens. » En 1948, Jean Abelanet, archéologue catalan, y entreprend des recherches qui lui ont permis de mettre à jour des industries lithiques datées du Paléolithique moyen. Et, à partir de 1964, sous la direction d'Henry de Lumley, elle fait l'objet de fouilles systématiques et méthodiques qui mènent, en 1971, à la mise à jour des restes, datés de 450 000 ans, de l'un des plus anciens européens
Raymond Matabosch.
Notes :
(1) Jean-Philippe Mestri : « L’homme de Tautavel rajeuni », Le Progrès, Vendredi 31 août 2001.
(2) Atapuerca est une petite commune de 200 habitants située au nord de l’Espagne, dans la province de Burgos
(3) Marie-Antoinette de Lumley, 1982. « L'homme de Tautavel. Critères morphologiques et stade évolutif », dans « Datations absolues et analyses isotopiques en préhistoire, méthodes et limites. »
Henry de Lumley et Jacques Labeyrie, Colloque international du CNRS, Tautavel, 22-29 juin 1981, pp. 259-264
Publié le 27 Octobre 2010 sur :