"Les généraux Anglais préparent la prochaine guerre quand les Français préparent la précédente". Un historien (Marc Bloch ?) faisait à peu près ce constat sur un sujet incommensurablement plus grave que le rugby. Mais cette opinion trouverait assez bien à s'appliquer à la situation actuelle du XV de France, après un nouveau désastre collectif face aux Australiens.
A l'issue de la correction reçue au stade de France, le président Camou a, plus ou moins officiellement, renouvelé sa confiance au trio de sélectionneurs en place, qui devrait donc poursuivre sa mission jusqu'à son terme, en novembre 2011. Le staff passera en conséquence la main après une Coupe du monde dont plus personne ou presque n'imagine qu'elle pourra être remportée par les bleus.
Dans les colonnes des journaux ou sur les ondes médiatiques, certains acteurs importants du rugby hexagonal on pu exprimer leur inquiétude sur l'avenir du XV de France et demander une prise de conscience collective voire, pour les plus audacieux, des mesures de "salut public". Mais la patrie ovale a beau être en danger, on n'est pas certain que les choses évoluent favorablement d'ici au mois de septembre prochain. Quant à l'après Coupe du Monde...
Faudra-t-il se contenter d'espérer un Valmy sans lendemain, à l'instar des éditions 1999 et 2007, pour adoucir les regrets d'un nouvel échec ? Devra-t-on envisager une peu glorieuse sortie de route dès les quarts de finale, comme en 1991 ? On n'ose penser à une élimination prématurée dès les phases de poule, qui serait une première historique, même si les sélectionneurs actuels nous ont, bien malgré eux, habitué à enchaîner les précédents malheureux.
En indiquant qu'il reste droit dans ses bottes et fidèle à son projet de jeu, Marc Lièvremont fait preuve d'un courage qui est tout à son honneur. Mais alors qu'il prétend être en phase avec les joueurs, un éditorial de Midi Olympique laisse penser le contraire, pour ne pas parler de remise en cause. Cela ne laisse pas d'interroger sur la cohésion du groupe et la légitimité du sélectionneur. Le même journal met en avant les interrogations très fortes d'Emile N'Tamack sur son rôle, et semble indiquer qu'il y a de l'eau dans le gaz entre le Toulousain et Didier Retières, l'entraîneur en charge des avants.
Les mauvais résultats n'ont jamais favorisé la concorde. Mais on sent que le mal est plus profond.
Face à cette situation, les appels aux techniciens confirmés se multiplient : le trio de sélectionneurs péchant pas excès d'amateurisme et d'inexpérience, il serait urgent d'instiller du professionnalisme dans le dispositif. Ce n'est pas faux. Mais on rappellera que le comité de sélection compte dans ses rangs des membres de la DTN, anciens sélectionneurs et joueurs de haut niveau, que le staff tricolore est équipés en spécialistes (ainsi David Ellis à la défense, connu pour être à l'origine des progrès considérables accomplis par l'équipe de France depuis dix ans).
Il faut donc aller au-delà et ne pas considérer les trois sélectionneurs comme seuls responsables de ce qui arrive. Un certain nombre de facteurs concourent à amplifier les difficultés actuelles. Au premier rang, la culture tactique et technique en France, qui ne favorise pas le jeu le plus efficace au plan international. Les équipes du Top14 pratiquent un rugby très axés sur la conquête et insuffisamment dynamique. La séduction qu'exerce le jeu "phyisico-physique" sur les clubs français ne résiste pas à l'épreuve des test-matchs, qui démontrent que les équipes de l'hémisphère sud ont, comme toujours, un temps d'avance.
Il est vrai qu'elles disposent d'un avantage en intégrant par anticipation les nouvelles règles proposées par l'IRB. C'est particulièrement évident pour l'application des directives dites "plaqueur / plaqué". Mais le plus important est la faculté des coachs du Sud à innover constamment, s'appuyant sur des joueurs techniquement capables d'appliquer des schémas de jeu exigeants.
Ajoutons à cela la possibilité pour les sélectionneurs des Tri-Nations de disposer de leurs joueurs pendant des périodes longues, émaillées de rencontres multiples entre des franchises qui regroupent souvent un nombre important d'internationaux, concentrés sur un petit nombre d'équipes, et vous comprendrez que les passes soient aussi bien huilées et les combinaisons récitées comme à la parade.
Il n'est pas forcément souhaitable (et a fortiori envisageable) de calquer l'organisation des compétitions nationales et européennes sur celle de l'hémisphère sud. Mais il devient vraiment urgent non pas de réfléchir mais de mettre en oeuvre un calendrier vraiment adapté, qui ménage des plages de travail suffisantes pour l'équipe nationale.
La responsabilité des dirigeants fédéraux et des clubs est de convenir d'une véritable politique d'ensemble pour l'épanouissement d'une équipe nationale qui reste une vitrine hors de pair du rugby français. A l'heure actuelle, les intérêts particuliers imposent un immobilisme qui conduit lentement mais sûrement notre beau rugby au terminus des prétentieux.
La responsabilité des sélectionneurs est de dégager un groupe de manière claire et de développer un projet de jeu en cohérence avec les aptitudes de ceux qui composent le XV de France.
Les beaux discours doivent laisser place aux actes. Sinon, nous continuerons à regarder les nations du Sud truster les Coupes du Monde, et l'Angleterre ramasser quelques miettes grâce à son sens légendaire du pragmatisme, cette qualité si décriée par les tenants du romantisme ovale, qui n'est pourtant pas nécessairement synonyme de médiocrité.