Raiponce

Par Mg

En voilà une qui n’aurait pas volé sa place dans l’exposition Brune/Blonde de la Cinémathèque (fort intéressante, soit dit en passant), au moins de par le mérite d’avoir une chevelure aussi imposante. La princesse Raiponce (héroïne d’un conte de Grimm) est enlevée au berceau par Mère Gothel et gardée dans une tour, pour les pouvoirs magiques de sa chevelure de vingt mètres. Le « prince » qui viendra l’en délivrer n’est pas un prince (modernisation oblige), mais un voleur nommé Flynn Rider. Retour des Studios Disney au conte de fées, donc.

La tentative est toutefois inédite : faire un véritable conte de fées, avec princesse, royaume, château, magie et sorcière, mais modernisé à la manière des derniers Disney. Le dernier conte de fées, La Belle et la Bête, remontait à presque vingt ans. Depuis, on avait eu Mulan et La Princesse et la Grenouille, mais on imagine mal Raiponce combattre les Huns ou ouvrir un resto à la Nouvelle-Orléans. Certes, elle est plus énergique que Blanche-Neige, veut voir le monde, se sert adroitement de ses cheveux lors des courses-poursuites et se défend si nécessaire, mais elle n’a pas l’image d’une femme moderne, indépendante et qui attendrait autre chose que de vivre dans un château (précisons bien « image », on ne demande pas à Disney une étude sociologique). Les multiples références à l’œuvre Disney renvoient d’ailleurs aux classiques : l’architecture de La Belle au Bois Dormant, une sorcière qui rappelle la marâtre de Blanche-Neige, un jeu sur des reflets de lanternes sur l’eau pour rejouer en mode aquatique la scène d’envol de Peter Pan… On pourra conclure de cette énumération qu’il n’y a rien d’innovant dans l’esthétique de Raiponce. Les décors sont beaux, soignés, l’animation des personnages est réussie, notamment les expressions des visages. Et pourtant, au final, les références aux anciens ne font que rappeler combien celui-ci manque de poésie. Les ingrédients accumulés ne suffisent pas, là où le souffle susceptible de lier le tout manque.

Le projet d’un conte de fées modernisé est peut-être d’emblée problématique, car paradoxal. L’intégration de codes ou comportements rappelant notre époque, en plus d’être vecteur d’humour facile (pas toujours le plus drôle) a pour but de rendre l’histoire plus proche de nous ; mais devenant plus proche, le conte nous devient aussi extérieur. Créer une réalité comparable à la nôtre dans un décor de conte de fées, c’est perdre le paysage imaginaire, niveler l’angoissant, le fantastique et l’enchanteur. Dans Raiponce, le monde féérique est réduit au statut de décor, certes joli. L’enchaînement des péripéties semble les rendre anecdotiques, rompant ainsi avec le schéma simple et clair, car archétypal, du conte traditionnel. La puissance d’un conte de fées vient de son mystère, et du fait qu’y soient incarnés dans des personnages et situations concrètes d’autres situations ou sentiments qui nous dépassent. Tout cela disparaît si des épisodes de l’intrigue semblent contingents. De même, l’héroïne, plus qu’une princesse lointaine, est une jeune fille localisée, actualisée. C’est possible pour Mulan qui a vécu dans la Chine ancienne, dans notre monde, mais l’est-ce pour Raiponce, qui vit dans un royaume de conte de fées ? L’ambiguïté de son statut rend le film plaisant mais anodin, sapant la possibilité d’émerveillement. Tout comme la multiplication des méchants (il y a aussi des voleurs) réduit la terreur inspirée par la marâtre.

Les images potentiellement signifiantes sont réduites au statut de vignettes décoratives, voire de clins d’œil à des chefs-d’œuvre autrement plus puissants, et la symbolique s’en trouve nécessairement amenuisée. Pour ne donner qu’un dernier exemple, la défaite de Mère Gothel rappelle celle de la marâtre de Blanche-Neige, mais les brèves images inquiétantes sont vite escamotées par le retour au happy end, comme si l’on n’osait plus virer franchement dans l’imaginaire et dans le dérangeant. L’existence d’un tel film nous fait nous interroger : le projet de départ était-il condamné d’avance, car visant un assemblage intenable ? Ou un scénario et une réalisation plus audacieux en auraient-ils permis la réussite ?

Quoiqu’inégal, Raiponce n’est pas un mauvais film. Le cheval Maximus donne lieu à quelques scènes hilarantes ; son zèle excessif et ses manières canines en font un élément absurde, dont la présence a une réelle force d’étrangeté, même si son potentiel comique s’essouffle au fur et à mesure du film (et pour ceux qui préfèrent les caméléons, il y en a un, il est mignon et il s’appelle Pascal). Fruit à la fois d’un travail soigné et d’une réticence à prendre des risques, Raiponce est un film dont la réussite artisanale est tout aussi évidente que les limites artistiques, qui montre autant ce qu’il réussit que ce qu’il rate, tant sont nombreux les potentiels laissés dormants.

Raiponce est-il pour les Studios Disney un chant du signe du conte de fées en forme de retour nostalgique ou une expérimentation visant à un renouveau du genre ? On attend la suite…