Comme à son habitude, l'UDC a utilisé des affiches chocs, et a joué sur le sentiment de peur, comme pour l'affaire des minarets il y a quelques mois.
Une presse qui s'enflamme
La presse suisse s'est immédiatement enflammée, ainsi que de nombreuses associations, et en particulier les associations d'étrangers de 2ème et 3ème génération (en Suisse, on trouve beaucoup d'étrangers dont les parents ou grands-parents sont venus s'installer en Suisse, notamment des italiens et espagnols, et qui n'ont jamais demandé la nationalité suisse).
Le gouvernement, pour sa part, est bien "emprunté" : il a invité le peuple a voter contre cette initiative, qui ne l'a malheureusement pas écouté.
La démocratie directe donne le pouvoir au peuple suisse
Ce que je trouve intéressant dans cette affaire, c'est précisément la démocratie directe, et la manière dont celle-ci a été utilisée.
Tout d'abord, voici un petit rappel pour ceux qui ne connaissent pas bien le systèmede démocratie directe en Suisse : l'initiative populaire, qui comme son nom l'indique vient du peuple, permet à n'importe quel citoyen de modifier la Constitution. Il doit pour cela rassembler un nombre minimum de signatures, en un temps limité. S'il y parvient, l'initiative est alors soumise à la Chancellerie, qui étudie la recevabilité du projet. S'il est recevable, le Conseil fédéral a obligation d'organiser une votation dite populaire. Le Parlement peut alors proposer un contre-projet, et les citoyens devront alors se positionner également par rapport à ce contre-projet (c'est ce qui s'est d'ailleurs passé dans cette affaire).
Une décision qui met mal à l'aise le Conseil fédéral
Le jour de l'annonce des résultats, les conseillers fédéraux ont pris acte du résultat et accepté la décision du peuple. Ils sont cependant bien précisé que la Suisse était un pays qui avait besoin des étrangers, et que ceux-ci étaient bienvenus. A présent, il va devoir faire en sorte d'appliquer la loi en Suisse, sans pour autant violer le droit international. Pas facile, et surtout bon courage pour gérer les tensions internes au Parlement au moment de la rédaction des textes (en particulier, il va falloir préciser ce qu'est un délit grave). De fait, on pourrait critiquer la trop grande "souplesse" de la Chancellerie dans l'acceptation d'initiative "limites" comme celle-ci, sachant qu'elle sera forcément dénaturée pour être conforme. La presse suisse, qui commence à remettre en cause la démocratie directe, affirme que les parlementaires sont forcément influencés dans l'acceptation de ces initiatives, de peur de perdre des voix. Le nombre de signatures à rassembler (100 000 signatures au niveau fédéral), jugé trop faible, est également remis en cause.
Une Suisse très partagée sur le sujet
Quand on regarde le détail des résultats, on constate un vrai clivage entre d'une part la Suisse romande (peu favorable au renvoi) et le reste de la Suisse, et d'autre part les grandes villes (peu favorables au renvoi des étrangers criminels) et les zones plus rurales. Zurich est un exemple frappant : alors que seuls 35,5% des zurichois ont voté pour le renvoi, les districts alentours sont tous au moins 55% à avoir voté pour.
Les suisses votent-ils désormais avec leurs émotions ?
En tant que Français, une chose m'avait vraiment frappé ici : la capacité des suisses à voter en toute froideur : alors qu'en France on vote avec ses tripes et parfois en oubliant son cerveau (eh oui, lorsqu'on n'a jamais son mot à dire, on profite de la moindre occasion pour sanctionner un gouvernement, sans pour autant tenir compte objectivement de la situation), en Suisse on est très mesuré dans les urnes : le peuple suisse a déjà voté contre une baisse d'impôt, contre plus de vacances, contre une semaine de travail de 36 heures, ou pour le versement d'un milliard de francs suisses à l'UE sans contrepartie directe. L'intérêt collectif et national est souvent dans la tête de tous ceux qui déposent le bulletin dans l'urne, surtout lorsqu'il s'agit de sujets ayant un impact économique.
Avec les dernières initiatives concernant les étrangers (les minarets et le renvoi des criminels étrangers), je me demande dans quelle mesure les Suisses n'ont pas perdu cette froideur, ni perdu de vues les implications économiques : sans pour autant remettre en cause la décision du peuple, on peut déjà s'interroger sur la validité, en terme de droit international, de ce résultat. On peut également se demander dans quelle mesure cela ne va pas affecter l'image de la Suisse à l'étranger, alors même que le pays a objectivement besoin de travailleurs étrangers pour soutenir son économie.
La relation entre la criminalité et les résultats de l'initiative
L'UDC a mené une campagne basée sur la peur, avançant à qui veut l'entendre, que les étrangers commettent plus de délits et de crimes que les Suisses. Ce qui est à la fois vrai et faux : la majorité des crimes sont commis par des Suisses (plus de la moitié), et un peu moins de 30% le sont par des étrangers qui habitent en Suisse. Ce qui est vrai par contre, c'est que les étrangers, qui représentent un peu plus de 20% de la population résidente, sont responsables de plus de 35% des infractions au code pénal en Suisse (source : OFS). En proportion, les étrangers sont donc plus nombreux à commettre des crimes que les Suisses.
Mais le plus étrange, c'est que ce sont dans les cantons où le taux de criminalité est le plus élevé, que les résultats opposés aux renvois des étrangers ont été les plus importants. Et inversement. L'UDC a donc bien réussi son coup.
A titre personnel, je ne dirai qu'une chose : contrairement à ce qu'on pourrait croire, la très grande majorité des Suisses sont favorables aux étrangers et les apprécient. Le reste n'est que politique.
Et vous, que pensez-vous des résultats de cette initiative ?