Petit retour en arrière pour rappeler qui sont les "vrais" centristes (dans le langage politique d’avant 2007) qui ne sont ni des radicaux, ni des libéraux, ni des adhérents du MoDem,
mais avant tout, des "démocrates sociaux" : « une exigence intellectuelle et morale, un désir d’action », selon Raymond Barre. Seconde partie.
Éclatement des centristes en 2002
Si François Bayrou a compris qu’il fallait changer la marque en faisant naître Force démocrate puis, en accédant (enfin) à la présidence de l’UDF, en reprenant cette (ancienne) marque à son profit, il a suscité bien des amertumes et des rancœurs : les libéraux d’Alain Madelin ont quitté l’UDF en créant Démocratie libérale à l’occasion d’une réelle divergence stratégique après les élections régionales de mars 1998 (les libéraux ayant accepté quelques exceptions au refus d’alliance avec le Front national).
L’éclatement atomique eut lieu juste après le premier tour de l’élection présidentielle du 21 avril 2002. La charge émotionnelle d’un Jean-Marie Le Pen au second tour aidant, Alain Juppé a précipité la création de l’UMP censée soutenir Jacques Chirac, malgré la réticence de beaucoup de leaders du RPR, en particulier de sa présidente, Michèle Alliot-Marie, et de Nicolas Sarkozy, son précédent codirigeant (avec Philippe Séguin).
Menés par Philippe Douste-Blazy, de nombreux parlementaires UDF rejoignirent l’UMP, y compris (comme écrit plus haut) Jean-Louis Borloo, porte-parole du candidat François Bayrou. Quand je dis "nombreux", c’est la quasi-totalité des élus UDF, avec à la clef, quelques postes ministériels (dont Matignon accordé à Jean-Pierre Raffarin), la présidence de l’immense groupe UMP à l’Assemblée Nationale, Jacques Barrot qui laissa le poste à Bernard Accoyer en 2004 lorsqu’il fut nommé à Bruxelles, et depuis lors, malgré la récente tentative, le 23 novembre 2010, de Jean Leonetti pour la succession de Jean-François Copé, toujours resté dans le giron de l’ancien RPR.
La détermination de François Bayrou à garder l’UDF n’était pas, évidemment, sans arrière-pensée personnelle. D’un point de vue stratégique, il trouvait l’enrégimentement contreproductif électoralement (il a eu le courage de le dire à Toulouse en février 2002) ; d’un point de vue politique, il pensait que c’était le meilleur moyen de renoncer à ses propres convictions ; enfin, d’un point de vue personnel, c’était ne plus avoir d’appareil pouvant le soutenir pour sa probable candidature à l’élection présidentielle de 2007.
Notons aussi que Bernard Bosson (ancien maire d’Annecy), le principal concurrent de François Bayrou en 1994 et qui était favorable au principe d’une réunion de l’UDF et du RPR à l’époque des rénovateurs, est resté fidèlement à l’UDF.
Malgré toutes les tentatives, l’UDF est parvenue à survivre, préservant son financement public et son existence politique en sauvant son groupe parlementaire, avec près de trente députés UDF élus ou réélus en juin 2002.
Cette structure malgré tout légère a suffi à François Bayrou pour se présenter à l’élection présidentielle de 2007 et pour réaliser un très bon score (sept millions d’électeurs). Il a montré par ailleurs que le centrisme n’était pas dissout dans l’UMP puisque l’électorat UDF a toujours bien résisté entre 2002 et 2007, et que la fusion de 2002 n’était pas une addition mais une soustraction.
Éclatement des centristes de 2007
La voie indépendantiste totale adoptée par François Bayrou tant pour le second tour de l’élection présidentielle que pour les élections législatives de juin 2007 a été le déclencheur d’une seconde explosion atomique du centrisme.
François Bayrou a fondé le MoDem le 10 mai 2007 (formellement le 1er décembre 2007, il y a trois ans) dans l’optique de réunir tous ses électeurs. Hélas, son électorat était très hétéroclite (40% votant pour Nicolas Sarkozy, 40% pour Ségolène Royal et 20% allant à la pêche au second tour).
Cette création a engendré un véritable espoir d’engagement, souvent de jeunes actifs qui ne s’étaient jamais engagés auparavant et qui ont eu la naïveté de croire que le monde pouvait être réinventé (la déception a été à la mesure de leur attente) ou alors d’anciens responsables politiques rejetés par leur camp d’origine. Malheureusement, ce n’étaient là plus des centristes avec une philosophie commune qui pouvait former une cohérence globale, mais des personnes d’horizon très divers cherchant à surfer sur la "vague Bayrou" à des fins parfois carriéristes (la stratégie des élections municipales de mars 2008 a été éloquente).
Le refus de nouer des alliances électorales avec d’autres formations, quelles qu’elles fussent pour les législatives a été suicidaire dans le cadre d’un scrutin majoritaire. Le résultat des courses : absence de groupe puisque trois députés MoDem seulement ont été les rescapés de cette opération kamikaze.
Conçu comme un ensemble qui engloberait l’UDF, le MoDem est devenu, lui aussi, une soustraction plutôt qu’une addition, ne pesant plus, au lendemain des élections régionales de mars 2010 que la moitié du "fonds de commerce" moyen de l’UDF entre 1995 et 2007.
Une telle stratégie dévastatrice a engendré une véritable désertion des élus qui soutenaient François Bayrou. Dès le mois de mai 2007, la plupart des députés UDF ont renoncé au MoDem pour poursuivre leur alliance classique avec les gaullistes : c’est en cela que le Nouveau centre a été conçu plutôt comme un syndic de parlementaires pour se faire réélire avec l’investiture de l’UMP. Et cela a fonctionné, puisque le Nouveau centre a pu constituer un groupe aussi nombreux que l’ancien groupe UDF en 2002.
La formation du Nouveau centre ne s’est pas fait sans arrière-pensée non plus : la perspective de ministères et d’investitures a eu son rôle déterminant. Cependant, cette démarche paradoxalement donnait raison à François Bayrou : ce sont les parlementaires qui sont restés à l’UDF en 2002 qui, finalement, ont le plus gagné par rapport aux "UDF de l’intérieur" (de l’UMP). Les relations UMP-NC ne sont guère différentes des relations RPR-UDF en 1993 ou en 1997, par exemple, avec un lien de vassalisation relativement démonstratif. Le Nouveau centre a tellement bien réussi cette tentative de s’UDFiser qu’il a accueilli quelques transfuges de l’UMP qui avaient fait le mauvais choix en 2002, comme Hervé de Charette.
Mais beaucoup d’autres centristes refusèrent cet opportunisme à peine voilé du Nouveau centre et, soit se retrouvèrent "orphelins de parti" comme Jean-Louis Bourlanges (ancien député européen), Gille de Robien (ancien maire d’Amiens) ou encore Pierre Albertini (ancien maire de Rouen), soit créèrent leur propre groupuscule centriste, comme Jean Arthuis avec son Alliance centriste fondée le 27 juin 2009.
Kaléidoscope à six faces
Donc, si je résume, il existe maintenant, de l’ancienne mouvance centriste (originellement CDS), six points de chute : le MoDem qui, statutairement, en est l’héritier juridique le plus incontestable, le Nouveau centre qui, électoralement, en est l’héritier parlementaire, les UDF à l’intérieur de l’UMP, et parmi eux, les UDF ayant choisi, comme Jean-Louis Borloo, d’entrer au Parti radical, la nanoscopique Alliance centriste, et enfin, les SPF, à savoir sans-parti-fixe.
Le devenir juridique de l’UDF est un élément crucial. Qu’adviendra-t-il, le 1er décembre 2010, de la structure UDF ? Si elle était dissoute, François Bayrou n’aurait plus aucun pouvoir sur le sigle. Si elle perdurait encore pour une durée de trois ans (par exemple), elle empêcherait la réutilisation du sigle par les responsables du Nouveau centre.
La question à se poser reste sur les intentions du Parti radical (Laurent Hénart veut se séparer de l’UMP), qui pourrait aussi préférer la réunification avec les radicaux de gauche, le danger communiste n’existant plus, et sur les velléités des centristes de l’UMP réunis autour de Pierre Méhaignerie et de Jean-Pierre Raffarin. A priori, ces derniers excluent de quitter l’UMP mais Jean-Pierre Raffarin a cependant créé un sous-groupe d’une trentaine de sénateurs pour formaliser son autonomie (mais en accord avec Nicolas Sarkozy).
Car les intentions du MoDem de François Bayrou sont claires : tant qu’il n’y a pas réelle indépendance, pas de rassemblement.
Jean-Louis Bourlanges préside désormais un club de réflexion destiné à réunir toutes les composantes centristes. Nul ne doute qu’un tel rassemblement ne pourrait se concevoir qu’autour du Nouveau centre qui est la structure la plus solide avec financement, élus et ministres.
Et c’est bien là le hic de la famille centriste : le parti le plus apte à capter l’héritage est le Nouveau centre… mais le seul candidat crédible reste bel et bien François Bayrou.
Tout porte à croire que la réunification de la famille centriste ne pourra se réaliser avant l’élection présidentielle de 2012.
À moins que…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 novembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
À qui appartient l’UDF ?
Encore un effort, Monsieur Bayrou.
L’UDF est morte, vive le MoDem.
Un vrai centriste.
Le MoDem peut-il se relever des 4% ?
Le centre courtisé (par Hervé Torchet).
Les centristes quittent l’UMP (version 1).
Les centristes quittent l’UMP (version 2).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-famille-centriste-en-france-2-85138
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-225