Encore un article Chéreau je l'ai longtemps considéré comme un enfant gâté, un incontournable aussi et là je me dis que j'ai du suivre sans le savoir des démarquages des revanches bien légitimes.
Les rapports de séduction le corps à corps au théâtre entre metteur en scène et acteurs le corps au travail... on y voit tellement ce long apprentissage redouté puis ardent adoré...
on voudrait tous travailler autant que lui pour ces résultats cet écho là.
Avant même de connaître l'Opéra on lui propose des mises en scènes.
L'émotion qu'on lit sur les visages doit être dans tout le corps....
Du théâtre au cinéma, Patrice Chéreau déploie les mêmes obsessions des corps et des visages, comme l'illustre son exposition au Louvre.
Les Inrocks
"Sur Arte, Stéphane Metge explore cet art de la mise en scène.
Face aux comédiens auxquels il adresse des indications et des regards pénétrants, Patrice Chéreau se livre imperceptiblement à un geste répété : sa main, fugitivement, s'accroche au col de sa chemise, comme s'il y cherchait un quelconque appui.
En déséquilibre, à la recherche de la justesse des corps dans l'espace, il mêle à sa concentration extrême l'abandon de ses postures mécaniques. Dans chaque plan du beau documentaire de Stéphane Metge qui le révèle au coeur de son processus créatif, Chéreau exhibe cette double posture : son obsession du contrôle et sa perte associées dans un même mouvement. Comme si son regard captait tout, sauf la conscience de lui-même.
Cinéma, théâtre, opéra, Patrice Chéreau est sur tous les fronts
A l'occasion de l'exposition du musée du Louvre Les Visages et les Corps dont Patrice Chéreau est le commissaire, Stéphane Metge s'intéresse à son art de la mise en scène, tel qu'il s'est déployé tout au long de sa carrière protéiforme (théâtre, opéra, cinéma).
Le film tente de saisir, sur la durée de ses expériences éclatées, ce qui agite Chéreau au fond de lui, ce qui l'éclaire, ce qu'il éclaire, comment son regard s'est constitué. L'intéressé ne le sait peut-être pas lui-même tant le cercle de ses obsessions n'échappe pas à l'étrangeté de ses origines (l'apprentissage du regard grâce aux peintures de son père ?).
Chéreau fait en revanche preuve de clairvoyance lorsqu'il évoque son mode d'appropriation des textes et le plaisir qu'il éprouve à provoquer l'interaction entre les acteurs.
"J'ai vite réalisé que j'étais bien dans une salle de spectacle"
Grâce à de formidables images d'archives et des entretiens approfondis, Stéphane Metge explore les paysages continus de Chéreau, traversés d'effets de rupture qui obéissent à une logique d'extension et d'élargissement d'un désir fondateur.
" Très tôt, j'ai admiré", confie Chéreau : les sculptures et les peintures du Louvre, mais aussi les spectacles et les films. En 1960, déjà, il découvre, ébloui, le Berliner Ensemble mettant en scène Bertolt Brecht. " J'ai vite réalisé que j'étais bien dans une salle de spectacle, ça m'a semblé mieux que chez moi", dit-il.
Même s'il avoue que les raisons de faire ce métier se transforment sans cesse, le plaisir de vivre dans ce sanctuaire reste son moteur. Strehler, Sobel et Planchon l'initient au théâtre.
Le comédien Daniel Emilfork le pousse à interpréter Richard II : bien que très jeune, il joue déjà avec conviction. Emilfork, le visage émacié, la voix aristocratique, évoque alors le caractère du jeune promis :
" Chéreau me rappelle Fritz Lang, il y a chez lui une recherche dans la rythmique des mouvements, comme s'il voulait s'approprier la vie même."
Ses expériences à Gennevilliers, Sartrouville ou en Italie le conduisent au TNP de Villeurbanne au début des années 1970, moment où son geste théâtral s'affirme.
En 1973, il monte La Dispute de Marivaux, un tournant. " Nous sommes tous des enfants de La Dispute", dira l'un de ses comédiens. Chéreau renouvelle la lecture de Marivaux, mais, surtout, " le rapport au texte devient concret", viscéralement lié à la pratique du plateau, traduisant la recherche du sens des mots dans l'espace : " Le lien entre ces mots et l'espace est le corps des acteurs."
Le corps, motif obsessionnel de ses films
Ce tropisme du corps investi par le texte se déplace aussi dans son travail sur l'opéra. Sa proposition de L'Or du Rhin de Wagner fait scandale en 1976 à Bayreuth : les wagnériens conservateurs lui reprochent de mettre" trop de théâtre" dans sa mise en scène et de sacrifier la musique.
Ce rapport au corps des acteurs est un motif obsessionnel de ses films. Dans L'Homme blessé, son premier grand film réalisé en 1983, les corps s'attirent sans cesse, même si " le plaisir est impossible".
Au Théâtre des Amandiers de Nanterre où il s'installe au début des années 1980, son art théâtral trouve son parfait accomplissement. Il y crée une école restée célèbre.
Les images de son enseignement auprès des jeunes élèves d'alors (Valeria Bruni Tedeschi, Laurent Grévill, Vincent Perez, Bruno Todeschini...) consignent l'énergie créatrice de Chéreau, proche de ses comédiens, au plus près de leur souffle, comme s'il avait besoin de se frotter au grain de leur peau, de se mesurer aux frémissements de leurs voix incertaines, de percer le mystère de leurs visages.
Une oeuvre nourrie de chuchotements et de cris
"Je pars toujours du désir que j'ai pour un comédien", dit-il. De l'espace du plateau (théâtre, opéra) à celui du cadre (cinéma), le geste du metteur en scène se déploie toujours à partir de ce désir exploratoire.
Ce travail de pédagogue, avoue Chéreau," renouvelle alors son envie de mettre en scène". Partagé entre son travail au sein d'une cage dorée - une école à l'abri du dehors - et sa curiosité pour le monde extérieur, Chéreau construit une oeuvre nourrie de chuchotements et de cris, de ses affects et de faits sociaux.
Les tragédies politiques de l'époque résonnent dans les intimités blessées et les souffrances des chairs. Dans La Reine Margot, film sur les massacres de la Saint-Barthélemy, on devine les échos des massacres en Yougoslavie.
Les fêlures du monde et des hommes s'entremêlent sans cesse dans un chaos orchestré par son regard et son désir de mettre à nu les malentendus, sans pouvoir les résoudre.
Dans sa sublime mise en scène de la pièce de Koltès, Dans la solitude des champs de coton, une danse hystérique, nerveuse, malade de sa propre peur, livre sur Karmacoma de Massive Attack l'image d'une souffrance exaltée.
C'est sur ce noeud inextricable qui associe l'effroi du spectacle de la violence et l'impossibilité d'en détacher le regard que se construit l'univers de Chéreau. Où la solitude, éternelle, s'écrase dans un champ de béton.
Patrice Chéreau, un artiste au travail, documentaire de Stéphane Metge. Lundi 15 novembre à 22 h 30, Arte l'exposition