LAURENT FABIUS. J’ai surtout retenu que ce remaniement-que j’appelle un rétrécissement- ne sert pas à grand chose. Ou bien on change de politique-ç’aurait été nécessaire !-, mais alors on décide de changer de Premier ministre. Ou bien on conserve le même cap, bien qu’il ait échoué, mais alors pourquoi un remaniement ? Le remaniement sarkozyste de 2010 risque d’être aussi performant que la dissolution chiraquienne de 1997.
Si le PS gagne en 2012, pourra-t-il mener une autre politique ?
Nous reviendrons sur plusieurs mesures fiscales injustes et économiquement improductives. Nous serons sélectifs sur les dépenses : priorité à l’éducation, la recherche et l’innovation. A la fin du quinquennat la France affichera 2 000 milliards d’euros de dette : celle- ci aura plus que doublé en dix ans ! Notre politique de vra donc-contrairement au gouvernement actuel qui prétend démontrer son équité par une suppression de l’ISF - être à la fois juste, sérieuse et porteuse d’espoir. Et nous devrons soutenir l’investissement pour ne pas casser toute la croissance. D’autant plus que, en dépit de certains messages lénifiants, la crise et la spéculation continuent de flamber.
Justement, que peut faire l’Europe pour lutter contre cette nouvelle flambée de crise ?
L’Europe doit d’urgence se réorienter, passer la vitesse supérieure dans sa détermination et sa coordination anticrise. Techniquement elle doit se décider à émettre des bons du Trésor européens. Sinon, on n’évitera pas la contagion, l’affaiblissement durable de l’Europe. Et la Chinamérique décidera du sort du monde sans nous.
Pourquoi le PS est-il si frileux sur l’affaire Karachi ?
Il ne l’est pas. Par la voix de l’excellent député de Cherbourg, Bernard Cazeneuve, le PS a adopté une attitude sage : refuser les procès d’intention, mais exiger la vérité.Est-il exact par exemple que 8 millions d’euros auraient été promis ou versés en 2009 au dirigeant d’une société écran, pour son silence sur des commissions ou rétrocommissions ? Le gouvernement doit répondre. Les familles des victimes ont le droit de savoir.
Roland Dumas, à l’époque président du Conseil constitutionnel, avait fait valider l’élection présidentielle de1995 malgré des comptes de campagne des candidats Chirac et Balladur qui auraient dû être refusés. N’est-ce pas très grave pour la République ?
Raison de plus pour établir d’urgence toute la transparence sur les faits.
Naguère les socialistes auraient aussi touché des rétrocommissions ?
Ce que je sais, c’est que les pratiques illégales ne sont pas plus acceptables sous un gouvernement que sous un autre.
L’affaire Woerth-Bettencourt n’est pas non plus finie...
Visiblement non. D’ailleurs, si j’ai bien compris, la preuve que le dossier des retraites a été traité d’une manière exemplaire, c’est que son titulaire a été remercié...
Que vous inspire la multiplication des candidats aux primaires du PS ?
On n’est pas candidat aux primaires pour faire un tour de piste et passer à la télévision mais pour être président de la République. Tous ceux qui veulent se présenter aux primaires doivent pouvoir le faire mais le débat nécessaire n’implique pas l’éparpillement.
Ségolène Royal vient pourtant de récuser l’accord annoncé par Martine Aubry entre elle-même, Royal et DSK...
L’unité, l’unité, l’unité : je recommande à tous nos responsables de parler surtout des Français et aux Français.
Dominique Strauss-Kahn vient de déclarer à l’hebdomadaire allemand « Stern » qu’il effectuera son mandat au FMI jusqu’à son terme, en novembre 2012...
Pour le moment, il agit au FMI. S’il décide de rentrer en France, il le dira. Je m’en tiens là.
Ne trouble-t-il pas le PS en soufflant ainsi le chaud et le froid ?
Gardons notre calme et travaillons sur le fond.
Vous avez toujours une certitude sur sa candidature ?
La certitude que j’ai, c’est que tous les responsables qui veulent que la gauche gagne doivent respecter deux conditions : être unitaires et élever le « niveau de jeu ».Dans cet esprit, nous devons hiérarchiser nos propositions et dire précisément ce que nous ferons dans les trois premiers mois, dans le quinquennat et notre perspective pour la décennie. Ce sera fait au printemps, sous la direction de Martine Aubry.
Dans le ticket Strauss-Kahn-Aubry mettez-vous un ordre ?
Je ne suis pas un commentateur : ce que je veux et que je vais contribuer à construire, c’est que la gauche gagne pour redresser notre pays. D’autant plus que M. Sarkozy subit un profond et double rejet : un rejet qu’il partage avec l’ensemble de la droite pour leurs résultats, un rejet supplémentaire qui tient à son comportement personnel. Beaucoup de gens dans ma région de Normandie, quel qu’ait été leur vote, me disent : « Il ne fait pas président. » Sans dévaloriser M.Fillon, le crédit que certains accordent à ce dernier me semble surtout lié aux contrastes qu’il offre avec le Président qu’il sert.
DSK, qui impose des cures d’austérité à la Grèce et à l’Irlande, est-il le mieux placé pour incarner le changement ?
Vous avez certainement remarqué que le FMI, qui regroupe l’ensemble des pays du monde, n’est pas exactement une section du PS. Pour autant, il y a des évolutions récentes et positives dans ses interventions, le rôle accru des pays émergents, l’invention de « prêts verts », le refus d’une doctrine d’austérité générale qui mènerait à la récession : les pays qui le peuvent (Chine, Allemagne, grands pays émergents,...) doivent soutenir la croissance mondiale.
Quelle est votre intime conviction sur l’éventuel retour de Dominique Strauss-Kahn ?
(Long silence). Je suis d’un tempérament volontaire et optimiste...
Les ministres d’ouverture chassés du gouvernement pourraient-il revenir au PS ?
J’en serais un peu étonné. Pour parler trivialement, la politique, selon moi, ce n’est pas « aller à la gamelle ». La vraie ouverture serait celle de nos institutions, avec une opposition respectée dans ses droits et associée aux grands choix.
Qu’avez-vous pensé de l’éviction d’Audrey Pulvar de son émission sur i>télé ?
Je la trouve inélégante et même injuste. Audrey Pulvar est une femme de talent dont l’objectivité n’est pas contestée. Tous les médias pour lesquels elle travaille n’ont d’ailleurs pas adopté la même attitude.
Quand le président de la République déclare en marge d’un sommet aux journalistes :« Amis pédophiles, à demain ! », quelle est votre réaction ?
Je vois mal le général de Gaulle (ou François Mitterrand), dont l’intéressé se réclame volontiers, tenir ce genre de propos, qui témoignent d’une particulière élévation depensée et de langage. La modernité n’est pas la vulgarité. Et pour vous dire vraiment le fond de ma pensée, je suis convaincu que, pour bien présider la République, il faut d’abord se présider soi-même.
Laurent Fabius