Car c'était là, jadis, que la mort t'attendait,
La Maison du refuge était l'antre du crime
Et dès le seuil franchi, nulle âme n'en sortait !"
Hier soir -ou plutôt ce matin très tôt-, France 3 diffusait un documentaire cherchant à relater la véritable histoire occultée derrière le mythe des évènements qui eurent lieu dans cette auberge de Peyrebeille, plus connu sous le nom d'Auberge Rouge.
Pour moi, cette fameuse bâtisse est longtemps restée ce bâtiment perdu, toujours situé sur un chemin devenu une route nationale, synonyme de sentier des vacances. Lorsque nous passions devant, c'était l'occasion pour mes parents d'esquisser rapidement la légende du lieu - sans doute le moyen non avoué de s'assurer que ma soeur et moi nous taisions quelques minutes, retenant notre souffle jusqu'à ce que la bâtisse sombre se soit éloignée. Car, en dépit de la modernité de la route qui la longe et qui voit défiler à 100km/h l'invasion des touristes chaque été, mon esprit prompt à un imaginaire dramatique a toujours trouvé glaçant ce grand panneau que l'on ne peut manquer "Ici l'authentique auberge de Peyrebeille". Pire, lorsque nous y passions à Toussaint, sous un bas ciel gris vaguement angoissant, seule voiture sur une route entourée d'épaisses forêts de sapins, je pouvais presque m'imaginer 150 ans plus tôt et j'étais prise dans cette pesante ambiance morbide. Certes, c'est mon légendaire sens de la dramatisation théâtrale qui se fait jour. Reste que les impressions demeurent gravées dans ma mémoire. C'est devenu un lieu touristique. Vous pouvez vous offrir dans la journée une après-midi au Lac d'Issarlès puis un rapide détour sur le chemin du retour pour visiter l'auberge, accompagné d'un guide qui s'amuse à effrayer ses clients. Pour ma part, j'en envoyais des cartes postales à mes amis.
Si j'ai développé une curiosité pour ce fait divers macabre, c'est que mon père et toute sa famille sont justement originaires de ce coin oublié, égaré dans les montagnes ardéchoises, quelque part entre Lanarce et Coucouron, où ma grand-mère a conservé une de ces grandes anciennes fermes "typiques". Pour effrayer les jeunes enfants avides de frisson et aiguiser leur sens de l'aventure, les deux légendes locales contées lors des soirées d'été sont celles de l'Auberge Rouge et celle, sans doute plus connue, avec une dimension surnaturelle en plus, de la bête du Gévaudan (nous sommes dans le Vivarais, pas très loin de Langogne, -et puis ma mère est originaire du Cantal).
L'Auberge de Peyrebeille, dite "Auberge rouge"
Une histoire macabre
Replacez-vous dans ce début de XIXe siècle. Nous sommes en 1831, aux débuts de la Monarchie de Juillet. L'action se déroule en haut du col de la Chavade, sur un plateau escarpé, difficile d'accès, situé à plus de 1200 mètres d'altitude. Le climat est rigoureux. Les habitations s'y font rares. Dans ce désert démographique perdu, c'est un paysage accidenté aux forêts denses qui s'offre au voyageur. L'auberge de Peyrebeille constitue alors un des rares relais dans cette étendue inhospitalière, située sur la route qui relie la Vallée du Rhône au Massif Central.Finalement, ce n'est que grâce au témoignage, aussi unique que fragile, d'un vagabond que les accusés furent reconnus coupables du meurtre de 1831. La Cour les condamne à la peine capitale. Le 2 octobre 1833, le couple Martin et leur domestique sont exécutés dans la cour de leur auberge, le "lieu sanglant de leurs crimes", devant une foule nombreuse (la dépêche d'un journal local relatant l'exécution parle de 4.000 personnes) venue "fêter" la justice rendue.
Une mystification progressive : la "légende" perpétuée et entretenue
Les rumeurs de l'opinion publique ont finalement permis d'entériner leur propre version des faits, occultant les conclusions plus modestes du tribunal. Cette opinion est consacrée dans un ouvrage qui diffuse ce fait divers local, brochure publiée sous le titre évocateur autant que provocateur du "Coupe-gorge de Peyrebeille". Paru en 1886, son auteur, Paul d'Albigny, un directeur de journaux locaux, se propose de faire revivre à ses lecteurs "vingt-six ans de vols et d'assassinats". C'est un récit dense et très détaillé, résolument à charge contre les aubergistes qui replonge dans ce début de XIXe siècle.
Une culpabilité aujourd'hui remise en cause : une erreur judiciaire ?
Au cours du XXe siècle, des historiens se sont replongés dans les archives de l'époque, reprenant le dossier d'accusation et les pièces de procédures. Dans les documents officiels d'époque, aucune trace des dizaines de victimes, ni d'éléments permettant d'accréditer cette légende sanglante.
La réalité et le mythe se sont dissociés depuis longtemps dans ce fait divers que l'on évoque toujours sur le plateau ardéchois. Comme souvent, la recherche de la vérité des évènements de Peyrebeille n'a désormais guère d'importance. On préfère l'attrait frissonnant de cette légende de l'Auberge rouge, qui continue d'être contée au coin du feu.