Propos recueillis par Laurent Gilot
Photo DR
DJ, productrice et figure emblématique des nuits parisiennes, Chloé a traversé une décennie de clubbing electro. Retour sur un parcours atypique à l'occasion de la sortie de son premier album "The Waiting Room".
Comment es-tu venue à la musique électronique et à quel moment as-tu décidé de passer derrière les platines ?
Chloé : J'ai découvert la musique électronique au milieu des années 90. Je me suis mise à fréquenter les raves, les soirées spécialisées. À cette époque, très peu de clubs de la capitale avaient ce genre de programmation. J'ai donc commencé par évoluer dans un réseau très underground. Puis, pour pouvoir écouter cette musique chez soi, il fallait faire la démarche d'acheter des disques vinyles. On ne trouvait pas de compilations mixées… Assez rapidement, je me suis mise à fouiner chez les disquaires spécialisés et c'est ainsi que je me suis retrouvé à mixer. Avant de découvrir la musique électronique, je jouais plutôt de la guitare et j'étais très branchée folk. Pour moi, l'apprentissage du mixage, c'était comme apprendre à jouer d'un instrument. Progressivement, on m'a booké en tant que DJette et, en 1999, j'ai décroché une résidence au Pulp. En fait, ce sont essentiellement des rencontres qui m'ont permis de prolonger mon parcours.
Quels sont les DJs, les styles qui t'ont poussée vers les platines ?
Dans la deuxième moitié des années 90, j'écoutais beaucoup de house music au sens large du terme, avec tous les sons acid en provenance des Etats-Unis. Ils y avaient peu de DJs et, souvent, ces derniers avaient la casquette de producteurs, certains étaient même des stars incroyables. Au fur et à mesure, le genre s'est déplacé en Europe et s'est mélangé à des sonorités beaucoup plus froides en provenance d'Allemagne ou de France, par exemple. Une multitude de producteurs et de DJs se sont alors imposés en Europe alors qu'aux Etats-Unis la scène a lentement périclité.
Selon toi, quelle importance a eu le Pulp dans le monde de la nuit parisienne ?
Le Pulp était un endroit important dans le sens où, aujourd'hui, on ne retrouve pas dans les clubs parisiens l'état d'esprit qui régnait au Pulp. Nous pouvions inviter des DJs très connus comme des inconnus, tout le monde était mis au même niveau. Musicalement parlant, nous n’étions pas enfermé dans un style particulier, même si la tendance générale était plutôt electro. Chaque soir, la couleur musicale variait. Le mercredi, par exemple, il y avait des soirées rock alors que, dans la journée, c'était un dancing pour vieilles personnes. Cet endroit était le reflet de la vie urbaine d'aujourd'hui avec ces populations qui se mélangent aux différentes heures de la journée. Pour moi, c'est un endroit qui a changé la vision que l'on pouvait avoir du clubbing… Par exemple, c'était une des seules boîtes gratuites à Paris où les gens pouvaient rester le jeudi soir jusqu'à la fermeture. Le Pulp était vraiment particulier…
Comment as-tu évolué en tant que DJette au sein de ce club jusqu'à sa fermeture fin 2006 ?
Au départ, il y a presque 10 ans, c'était juste une discothèque sur les grands boulevards et lorsque l'on parlait du Pulp, peu de gens connaissaient l’endroit. Moi, comme toutes les personnes employées dans le club, nous avons apporté notre pierre à l'édifice. Tout le monde a contribué à l'évolution du Pulp. En ce qui me concerne, j'avais une grande liberté au niveau de la programmation parce que je pouvais faire jouer les artistes que je rencontrais dans les festivals, lors de mes déplacements à l'étranger. Au départ, on a commencé par inviter des DJs en provenance d'Allemagne qui n'avaient encore jamais joué à Paris. J'ai vraiment vu le Pulp évoluer au fur et à mesure avec l'apport de chacun. C'était une vraie histoire… Lorsque les portes ont fermé, c'était comme la fin d'un cycle.
Pour toi, que reste-t-il de cette expérience aujourd’hui ? Une impression de gâchis ? Une page définitivement tournée ?
En fait, c'est une bonne chose que ce soit fini. Je n'aurais pas voulu assister au dépérissement progressif du Pulp et de tous ceux qui en faisaient partie. Que l'image et l'identité du club soient restées intactes est une bonne chose… Auparavant, on y allait assez naturellement pour se retrouver entre nous… Moi, j'y allais spontanément juste pour boire un verre en me disant que je retrouverais forcément des amis… Ça me manque un peu au final…
Peut-on parler de ta première compilation mixée, "I Hate Dancing", sortie en 2004 sur le label Uwe ?
À l’époque, beaucoup de gens me demandaient si j'allais réaliser une compilation de ce genre. J'ai alors démarché quelques labels avec ce projet en tête et cela s'est fait assez naturellement avec Uwe. The Hacker ou Electric Indigo venaient de sortir leurs compilations respectives sur le label, j'avançais donc en terrain connu. Les responsables d’Uwe sont présents sur la scène depuis pas mal de temps, ils sont notamment impliqués dans des festivals comme Astropolis, j'étais donc assez contente de réaliser ce disque avec eux. Le titre, "I Hate Dancing", était un clin d'oeil assez marrant à mon premier maxi sorti en 2001 sur Karat, le label du magasin Katapult à Paris.
Il y a des DJs qui t'ont marqué dans leur façon de mixer, de communiquer avec le dancefloor ?
En fait, quand j'ai commencé à mixer, je n'étais pas fan d'un DJ en particulier. J'attachais plutôt de l'importance aux atmosphères que pouvaient créer les uns ou les autres. Il y avait surtout des producteurs qui me fascinaient et des labels comme Underground Resistance ou Warp, par exemple. J'aime beaucoup quelqu’un comme Losoul, un musicien que je suis depuis un moment. Mais, pour un artiste électronique, la constance est assez rare. Certains évoluent par période et c'est plus ou moins réussi selon les cas. Les technologies et les genres changent tellement vite que c'est difficile de se focaliser sur un artiste en particulier.
Lors d’une soirée au Cabaret sauvage avec Yvan Smagghe, on a remarqué que tu n'utilisais plus de disques et que tout était dans ton ordinateur. Tu as définitivement franchi le cap du mp3 ?
En fait, j'utilise le logiciel Serato Scratch Live. C'est le système actuel qui l'impose. Il y a quelques années, j'allais acheter mes disques chez des disquaires indépendants comme Daphonics ou Katapult. Mais, avec le téléchargement, ces magasins ont disparu. Aujourd'hui, les boîtes de promo envoient de plus en plus souvent leurs disques en mp3. D'ailleurs, certains labels ne sortent plus que leurs productions en mp3. On peut donc dire que le vinyle meurt tout doucement. En compilant tous les fichiers numériques dans mon ordinateur, je gagne du temps, car je ne grave plus de Cd, et je garde la main sur l'organisation de ma discothèque. Néanmoins, je préfère le vinyle, j'aime bien aller fouiner dans ma collection pour dégoter une perle rare.
À quel moment et pourquoi t'es-tu intéressée à la production ?
Lors de ma période folk, je m'amusais à enregistrer mes compositions, chose que j’ai continuée à faire une fois que je me suis intéressée à la musique électronique. J'ai alors cherché à comprendre comment on pouvait concevoir un morceau de ce genre. J’ai réalisé que l'on pouvait faire de la musique toute seule dans son coin sans forcément faire appel à un groupe. Je me suis alors vraiment tourné vers la production en mélangeant mes influences pop-folk avec des sons plus electro. En 2001, j'ai sorti mon premier maxi, "Erosoft", avec la volonté d’affirmer mon style, de concevoir comme un mini-album.
Peux-tu nous parler de ta "salle d'attente" (« Waiting Room »), ton premier album ?
Avec ce disque, j'ai voulu aller à contre-courant de l’état d'esprit général, de cette société qui va à 10 000 à l'heure, avec ces gens qui téléchargent dans tous les sens, qui donnent l'impression de vivre dans une ambiance "Star Ac" où tout doit être fait en deux secondes, où tout devient jetable... Ce n'est pas un album 100% dancefloor, on peut dire que c'est une autre vision du clubbing, un reflet plus intime de ma personnalité.
Dj Chloé "The Waiting Room" (Kill The DJ/Nocturne)
www.dj-chloe.com
www.myspace.com/chloekillthedj