Le cancer change-t-il irrémédiablement les rapports avec nos proches? Doit-on se résigner à une modification inéluctable de ces liens qui font partie de la richesse de nos vies? Doit-on accepter de changer son cercle comme si on changeait un vêtement devenu trop petit? Peut-on concevoir de voir disparaître certains … au profit, heureusement, de nouvelles amitiés peut être plus riches encore? Autant de questions qui me taraudent après ces dix ans de rémission, ces dix ans pendant lesquels la maladie est devenue comme une partie de moi. Mais, si je suis honnête, tout n’est pas si simple et le gris prévaut sur le tout noir ou tout blanc.
Quelques uns ont disparu purement et simplement, très vite. Peur, projection, impossibilité de m’aider, de me soutenir, de dire les mots qu’il aurait fallu pour panser mes plaies? Point de coups de fil, de sms, de mails, de petits mots empathiques ou attentionnés… un silence assourdissant qui a abouti à la brisure de ces liens face à un rien qui, s’il n’a pas toujours été insupportable, m’a blessée et laissée dans un gouffre de questions sans réponse acceptable.
Pour d’autres, le changement de ma personnalité – enjouée et résolument extravertie – a été sans doute trop brutal. Et si, je faisais en sorte, lorsque les effets secondaires de la chimio me laissaient suffisamment tranquilles, de paraître dans des soirées mondaines, je ne pouvais éviter de faire entrer, bien malgré moi, l’ombre de la grande faucheuse, jetant un froid polaire dans ces soirées qui se voulaient avant tout festives.
Mais j’ai pardonné à certains de ceux là, comment aurais-je réagi à leur place? Qu’aurais-je fait à l’époque moi la mère de famille-épouse-working girl débordée et un peu, il faut bien le dire, superficielle?
Et puis, soyons sincère, j’en ai fui d’autres, délibérément. Ceux qui, pour me faire croire, que la vie n’est rose pour personne, me faisait part de leurs propres maux. Ceux qui, comme moi, n’avait pas dormi de la nuit, berçant leur nouveau né pendant des heures ; qui, vomissait leurs tripes, comme moi encore, à cause d’une gastro carabinée… mais curable ; qui divorçait, quittait contraint et forcé leur emploi, se débattait avec des enfants insupportables ou en echec scolaire….. Il n’y a pas de hiérarchie dans la douleur, dans la souffrance. Chacun vit la sienne comme il peut, mais je ne pouvais pas me laisser polluer par la douleur des autres, j’avais trop à faire avec la mienne ! Epouser leur mal-être était au dessus de mes forces.
Ceux aussi, qui me disaient qu’ils avaient autant de risque que moi de mourir, eux sous les roues d’un chauffard invisible, moi sous les pattes d’un crabe bien ancré dans mon corps. Comment leur dire que les prévisions étaient malheureusement en ma défaveur, que les statistiques n’étaient pas de mon côté? La comparaison était juste insupportable !
Ceux qui m’auraient laissée face à un sentiment que j’exècre : la jalousie. Oui, si je ne les avais pas quittés, je serais devenue jalouse de cette joie de vivre qui m’explosait au visage. Envieuse de ce bonheur de gens dans la fleur de l’âge et bien incapables de me le cacher… Impossible pour moi de ne pas comparer ces vies et de composer avec cette injustice flagrante. J ‘ai préféré être heureuse pour eux, très sincèrement, mais de loin.
Enfin, des amis, proches ou moins proches, sont restés. Eux ont trouvé les mots, les attentions qui m’étaient nécessaires, vitales. Ils m’ont tenu la main, comprise, acceptée avec mes différences. Comprise dans mes refus de parler, de les voir, de les écouter parfois. Acceptée dans mes larmes, mes peurs, mes conversations qui tournaient autour de ce cancer qui me rongeait le corps et l’esprit. A ceux là, je dois une reconnaissance éternelle. Merci à vous, si vous me lisez.
Alors bien sûr, je me suis retournée vers les autres. Et les autres, ça a été mes soeurs d’armes, mes compagnes d’infortune. D’abord virtuelles, puis parfois IRL, ces nouvelles amies me comprenaient puisqu’elles vivaient la même chose. Je ne les ennuyais pas avec mon cancer, mes peurs, puisqu’elles avaient les mêmes. Nous pouvions, plutôt que de parler chiffons, shopping, beauté, « papoter » chimios, radiothérapie, mastectomie, traitements… plus de problèmes d’épilation, de coiffeur, de tenues affriolantes ou dessous libertins …. celles là m’ont merveilleusement soutenue alors qu’elles mêmes avaient besoin d’aide. Elles m’ont donné sans compter, nuit et jour, partageant les petits trucs qui font que la vie est plus douce. Certaines sont parties, trop tôt, laissant un vide dans mon coeur pour toujours.
Et aujourd’hui qu’en est-il? Mes amis, je parle des bien portants, ne me comprennent plus. Quelques uns s’éloignent à nouveau, par incompréhension, lassitude, que sais-je encore. Comment au bout de dix ans, puis-je continuer à vivre, dormir, manger cancer? Il est vrai que créer ce blog ne m’éloigne pas de la maladie, loin s’en faut
Dorénavant, il faut bien l’avouer, mon paysage amical est constitué pour une bonne partie de « cancéreux » ou de personnes concernées de près ou de plus loin. Pour autant nous ne parlons pas que de ça mais j’avoue me sentir bien en leur compagnie. Comme si le fait d’avoir traversé et surmonté les mêmes choses nous rapprochaient inéluctablement. Comme si le cancer les avait rendu plus vrais, plus sincères, plus humains. Du même coup, comme me l’a dit récemment une de ces amies, la probabilité de perdre des proches précocement est un état de fait, et accompagner certains dans leur dernier voyage est une éventualité que je ne peux pas négliger. Peu m’importe , je prends le risque… Le tri salvateur est fait, et ceux qui m’entourent, maintenant, anciens ou nouveaux, me sont trop précieux. Ce voyage dans la souffrance a eu un impact certain sur moi et mes relations avec l’extérieur mais j’en suis heureuse et je suis aujourd’hui, en plein accord avec moi-même.
Alors bon vent à ceux qui partent et bienvenue aux nouveaux, dont vous faîtes un peu partie, puisque vous lisez ce blog