Petit retour en arrière pour rappeler qui sont les "vrais" centristes (dans le langage politique d’avant 2007) qui ne sont ni des radicaux, ni des libéraux, ni des adhérents du MoDem,
mais avant tout, des "démocrates sociaux" : « une exigence intellectuelle et morale, un désir d’action », selon Raymond Barre. Première partie.
Je sais qu’il n’y a ni monopole ni marque déposée dans le vocabulaire employé, mais depuis quelques semaines, depuis le changement de gouvernement, les médias parlent beaucoup des "centristes" avec, à mon sens, un effet loupe assez distordant. J’aimerais ainsi faire ici quelques rappels de certains éléments.
Le centre entre hésitations historiques et convictions de fond
L’histoire des "centristes" a été très mouvementée dans la décennie 2000 et tout le bouillonnement médiatique autour d’eux montre aussi qu’ils ne constituent plus une "famille politique".
Et quand je parle de "famille politique", c’est bien parce qu’à une certaine époque, la "famille centriste" était avant tout une famille, composée de quelques notables et de quelques "croyants" en des valeurs fondamentales comme le personnalisme communautaire qui a inspiré les fondateurs de l’Union Européenne ou qui encourage la décentralisation.
Quand je me suis engagé au sein du Centre des démocrates sociaux (CDS) qui était l’une des composantes de l’UDF, la principale avec le Parti républicain (PR), c’était en 1987 dans le but de soutenir la candidature de Raymond Barre à l’élection présidentielle de l’année suivante.
Et c’est vrai, je m’étais aperçu que c’était un peu une famille, pas forcément très ambitieuse (je me souviens notamment d’une université d’été du début des années 1990 où Pierre Méhaignerie, président du CDS, avait benoîtement dit « Si j’étais Premier Ministre… » alors que l’ambition d’un parti politique, c’est de présenter un candidat crédible à l’élection présidentielle) mais au moins, une famille forte de ses valeurs et de ses traditions que j’appellerais "démocrates-chrétiennes" ou "catholiques sociales" même si ces termes sont trompeurs car ils n’excluent pas la laïcité et l’indispensable séparation de l’Église et de l’État mais ce sont des expressions qui sont souvent utilisés dans d’autres pays, comme en Allemagne ou en Italie. C’est pourquoi le terme "démocrates sociaux" est plus approprié.
Les radicaux ne sont pas les centristes
C’est là déjà un problème de vocabulaire : si les radicaux se placent aujourd’hui au centre de l’échiquier, ils ne sont pas ceux qu’on a appelés depuis la fin de la Seconde guerre mondiales des "centristes". Les radicaux sont plutôt d’origine anticléricale alors que les "centristes" sont d’origine catholique sociale, comme je vient de l’écrire.
L’élément trompeur, évidemment, c’est le nom du président actuel du Parti radical, Jean-Louis Borloo, qui était l’ancien porte-parole du candidat François Bayrou lors de la campagne présidentielle de 2002 et qui était donc "centriste" depuis sa deuxième place sur la liste centriste de Simone Veil aux élections de juin 1989.
À l’époque, d’ailleurs, beaucoup de centristes avaient protesté (la constitution des listes aux européennes était une véritable "foire d’empoignes") car Jean-Louis Borloo n’était pas adhérent au CDS (je rappelle que la liste de Simone Veil n’était alors soutenue que par un seul appareil partisan, le CDS, face à la liste dirigée par Valéry Giscard d’Estaing, qui avait repris la présidence de l’UDF l’année précédente, une liste soutenue par le RPR).
Or, lors de la constitution de l’UMP en avril 2002, Jean-Louis Borloo a rejoint Jacques Chirac pour un ministère, comme beaucoup d’autres centristes (Philippe Douste-Blazy en particulier). André Rossinot, maire de Nancy et président du Parti radical, un parti qui est né le 23 juin 1901, le plus ancien de France, a négocié son ralliement à l’UMP à la condition de maintenir en l’état son parti, pour préserver une partie de l’histoire politique de la République et de ses grands noms (Georges Clemenceau, Édouard Herriot, Jules Jeanneney, Jean Moulin, Henri Queuille, Pierre Mendès France etc.). Christine Boutin en avait donc profité pour fonder aussi son propre parti à l’intérieur de l’UMP.
Petit à petit, au fur et à mesure que les anciens UDF devenus UMP se sentaient éloignés et peu écoutés de la direction de l’UMP, ils ont compris que le seul moyen de s’organiser, c’était de rejoindre le Parti radical. C’est comme cela que Jean-Louis Borloo, aidé par une popularité liée à sa personnalité originale et sympathique, a adhéré au Parti radical et en est devenu le président en novembre 2007. Son secrétaire général, Laurent Hénart, radical depuis toujours, brillant député et adjoint d’André Rossinot à Nancy, a été membre du troisième gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
Un autre ancien centriste devenu UMP et radical, Marc-Philippe Daubresse, ministre en 2004 puis en 2010, vient de faire les frais du changement de gouvernement mais a étrangement accepté d'être l'un des deux secrétaires généraux adjoints de l'UMP auprès de Jean-François Copé au moment où Jean-Louis Borloo quitte la vice-présidence de l'UMP.
Chose étrange d’ailleurs, même d’anciens membres du RPR ont rejoint le Parti radical pour gagner un peu d’autonomie vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, notamment ses deux actuels vice-présidents, anciens ministres, Serge Lepeltier, maire de Bourges (qui fut même secrétaire général du RPR de 2001 à 2002) et Yves Jego, député-maire de Montereau (qui fut l’un des plus fidèles soutiens de Nicolas Sarkozy avant son élection de 2007).
Peut-être pas si étrange : à la Libération, De Gaulle avait conseillé à Michel Debré et à Jacques Chaban-Delmas de se faire élire sous l’étiquette radicale, car c’était le parti où il y avait le plus de républicains sincères et de partisans de l’intérêt général.
Le Parti radical est ainsi devenu une organisation utile qui permet aux membres de l’UMP de ne pas renier l’UMP mais de prendre un peu de champ. Un sas. C’est une organisation "pratique" et j’ai du mal à y voir désormais des motivations autres qu’opportunistes, des motivations par exemple provenant des valeurs historiques du radicalisme. Notons d’ailleurs que ce n’est pas nouveau puisque l’expérience de Jean-Jacques Servan-Schreiber dans les années 1970 s’est située également dans le même genre de démarche : une personnalité populaire, d’un tempérament fort et original, qui pourrait faire renaître un parti en désuétude.
Rappelons également que les radicaux se sont divisés le 4 octobre 1972 au moment de la négociation du Programme commun de la gauche entre ceux qui acceptèrent une alliance avec les communistes, qui ont créé leur propre parti, devenu Parti radical de gauche (PRG) dirigé actuellement par Jean-Michel Baylet, et ceux qui refusèrent (appelés alors "radicaux valoisiens" car le siège du parti est rue de Valois à Paris). Parallèlement, Max Lejeune, ancien ministre socialiste, exclu du Parti socialiste le 16 décembre 1972, créa le lendemain le Parti social-démocrate (PSD) qui fut ensuite dirigé par André Santini avant d’être "fusionné" avec le CDS dans Force démocrate.
Vie mouvementée des centristes
Dans l’histoire d’après-guerre, les centristes ont pris beaucoup d’importance grâce à la Résistance. Beaucoup de résistants, refusant de revenir aux délices de la IIIe République, ont fondé le 26 novembre 1944 le Mouvement des républicains populaires (MRP) qui se positionnaient politiquement au centre comme les radicaux (et reprenant la philosophie du Parti démocrate populaire fondé le 16 novembre 1924) et souhaitaient gouverner avec les socialistes pour trouver une "troisième voie" entre gaullisme et communisme. Beaucoup de gaullistes durent d’ailleurs quitter le MRP (notamment Edmond Michelet et Maurice Schumann) lorsque De Gaulle créa son propre parti, le Rassemblement du peuple français (RPF).
Ce MRP se rallia cependant à De Gaulle en 1958 mais s’en sépara sur la question européenne quelques années plus tard. Il fut vite laminé par la logique de blocs qu’a imposée la Ve République mais Jean Lecanuet a réussi à maintenir la flamme par la création du Centre démocrate (suite du MRP) et par ses bonnes performances à l’élection présidentielle de décembre 1965. Le référendum de 1969 fut d’ailleurs l’un des points culminants de ce centrisme antigaulliste avec la combativité surprenante d’Alain Poher, récemment élu Président du Sénat et devenu le symbole de l’opposition à De Gaulle et à son successeur Georges Pompidou.
Une première division a eu lieu entre les deux tours de l’élection de Pompidou en 1969 : alors que Jean Lecanuet et les centristes traditionnels restèrent dans l’opposition, la jeune garde a accepté la participation au gouvernement et s’est organisée le 4 juillet 1969 en Centre Démocratie et Progrès (CDP). Une sorte de Nouveau centre avant l’heure. Faisaient partie du CDP tous ceux qui, finalement, comptèrent par la suite pour le centrisme : Jacques Duhamel, Joseph Fontanet, Bernard Stasi, Pierre Méhaignerie et Jacques Barrot.
Réunion de la famille centriste
L’élection en 1974 du Président Valéry Giscard d’Estaing, qui souhaitait gouverner au centre, a finalement réuni les deux ailes du centrisme, un rassemblement qui se réalisa à Rennes le 23 mai 1976 avec la fondation du CDS. Jean Lecanuet devint président du CDS aux côtés de Jacques Barrot (CDP) et d’André Diligent (CD), puis Pierre Méhaignerie lui succéda à Versailles le 31 mai 1982 (après un duel face à Bernard Stasi plus "autonomiste") jusqu’au congrès du 3 décembre 1994 qui vit à Vincennes la victoire de François Bayrou sur Bernard Bosson pourtant donné favori.
Le 1er février 1978, Valéry Giscard d’Estaing réussit à rassembler tous les partis non gaullistes de sa majorité dans une confédération, l’Union pour la démocratie française (UDF), rassemblant le CDS, le Parti républicain (PR), les radicaux valoisiens et d’autres groupuscules (des clubs). L’UDF fut présidée par Jean Lecanuet puis, le 30 juin 1988, par Valéry Giscard d’Estaing lui-même, le 31 mars 1996, par François Léotard soutenu par le CDS contre Alain Madelin, et enfin, le 16 septembre 1998, par François Bayrou.
La victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981 et la constitution d’un gouvernement socialo-communiste le mois suivant a rejeté mécaniquement les centristes dans une alliance avec le RPR et Jacques Chirac, leader naturel de l’opposition.
Bien que membres de l’UDF, les centristes ont toujours cherché à préserver leur autonomie. Au Sénat, ils sont formés le groupe de l’Union centriste où aujourd’hui encore cohabitent des membres du MoDem et des membres du Nouveau centre (son ancien président, Michel Mercier, ancien trésorier du MoDem, a finalement accepté de participer au gouvernement de François Fillon le 23 juin 2009). À l’Assemblée Nationale, ils sont souvent restés au sein du groupe UDF dirigé par un non centriste, sauf lors de la "législature Rocard", entre juin 1988 et mars 1993, où le CDS a créé le groupe de l’Union du centre (UDC) pour se démarquer de Charles Millon, président du groupe UDF. L’UDC fut d’abord dirigée par Pierre Méhaignerie (président du CDS), puis en mars 1991 par Jacques Barrot.
Le mouvement de rassemblement s’est poursuivi après la première élection du Président Jacques Chirac avec la fusion du CDS et du PSD, le minuscule parti d’André Santini, en Force démocrate le 25 novembre 1995 à Lyon et la fusion de toutes les composantes de l’UDF (sauf le Parti radical) en "Nouvelle UDF" à Lille le 29 novembre 1998.
Un centrisme qui s’adapte enfin à la Ve République
Le problème des centristes était l’absence de candidat crédible à l’élection présidentielle. À l’exception des candidatures de Jean Lecanuet et d’Alain Poher au début de la VeRépublique, les centristes ont délégué à une personnalité n’appartenant pas à leur courant philosophique le soin de les représenter : Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et 1981, Raymond Barre (sans doute le plus proche) en 1988, et Édouard Balladur en 1995. L’exemple de 1995 est assez frappant car il n’y a eu aucun candidat issu de l’UDF.
Le vide crée souvent le renouvellement. Et en politique, ce sont les plus ambitieux qui réussissent à gagner du terrain.
C’est avec cette façon de voir qu’il fallait comprendre l’élection de François Bayrou à la tête des centristes au congrès de Vincennes le 3 décembre 1994. Bernard Bosson, secrétaire général depuis 1991, connaissait toutes les fédérations départementales et pouvaient bénéficier d’un réseau qui le rendait l’héritier logique de Pierre Méhaignerie. Mais en trois mois, les amis de François Bayrou réussirent à retourner la situation interne en leur faveur, un peu aidés par Pierre Méhaignerie, d’ailleurs.
L’objectif de François Bayrou, à quelques mois d’une élections présidentielle sans représentant de l’UDF, c’était de préparer un candidat UDF pour 2002. Et évidemment, de faire en sorte que ce candidat fût lui-même. Cette perspective changeait radicalement les coutumes des centristes : eux aussi pouvaient entrer dans la "cour des grands" et ne pas être seulement des fournisseurs de propositions.
Après l’OPA de François Bayrou sur le CDS, les centristes eux-mêmes se sentaient moins "libres". Je me souviens dans les congrès, lors de banales discussions de couloirs, des militants s’inquiéter d’être espionnés par les "hommes du président" alors que leur sport traditionnel était de critiquer leur direction. Mettre un parti souvent indiscipliné en ordre de bataille pour une perspective présidentielle n’était pas gagné d’avance.
Dans la seconde partie, j’évoquerai l’éclatement de la famille centriste.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 novembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
À qui appartient l’UDF ?
Encore un effort, Monsieur Bayrou.
L’UDF est morte, vive le MoDem.
Un vrai centriste.
Le MoDem peut-il se relever des 4% ?
Le centre courtisé (par Hervé Torchet).
Les centristes quittent l’UMP (version 1).
Les centristes quittent l’UMP (version 2).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-famille-centriste-en-france-1-85136
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-224