Éditeur : Fayard - Date de parution : 25/08/2010 - 295 pages
Lui, c'est le nouveau dans l'entreprise. On lui demande de choisir un prénom pour ce métier de téléopérateur. Il a choisi Eric. Répondre au téléphone, déblatérer à ces clients anonymes des questions types. Vendre les nouveaux produits pour atteindre les objectifs. L’ancien électricien est devenu Eric. Il parle toute la journée pour ne dire que des formules, des phrases préconstruites. Des suicides surviennent dans l’entreprise. L’incompréhension, l’incrédulité cèdent place à des questions de fond. Un jour, Eric rappelle un client pour lui donner un renseignement. Il téléphone à un client de son propre gré sans autorisation.
L’écriture singulière de ce livre m’a harponnée. Une écriture qui donne une force, un pouvoir aux mots. Pas de fioriture pour ce livre sur la déshumanisation du monde du travail. Des entreprises où la personne est considérée comme un objet de rendement et perd son identité.
Les mots, Eric en dit à longueur de journées au téléphone. Des mots choisis, pesés par des spécialistes du marketing. Toujours être poli envers le client sans rentrer dans la bulle du personnel ou de l’intime. Garder ses distances avec le client mais sans le lui montrer. L’allécher par un discours et lui vendre le nouveau produit. Dans l’entreprise où Eric travaille, des employés se suicident. Sur d’autres sites ou dans d’autres services. Il y a les réactions de l’extérieur : ce n’est pas possible, on ne se suicide pas à cause de son travail. Eric rappelle un client au téléphone, lui rend service. Une façon de ne pas oublier qui il est, de garder son humanité, d’être lui et pas Eric.
Je me suis glissée dans cette histoire en retenant mon souffle. Le malaise et le mal-être sont palpables. Ils nous prennent à la gorge. Saisissants.
Ce livre a failli être un coup de cœur, je dis bien failli. J’ai une réserve, une seule concernant l’état de santé du client. Fallait-il qu’il soit paralysé ? Pas forcément, à mon sens,et le livre aurait quand même eu autant de puissance.
Une fois de plus, il m’a fallu du temps pour évacuer toutes les émotions. Une soif d’avoir un bonjour sincère et vrai… Avec cette lecture, je suis revenue des années en arrière quand je travaillais dans une grande entreprise. La pression, le rendement étaient présents… Des personnes arrêtées pour dépression ou à deux doigts de craquer, également.
Pourtant, en juillet, à Marseille, dans la même torpeur estivale, avec la mer scintillante des calanques, le ciel d’airain comme un couvercle brûlant, tout cela n’avait pas suffi à faire taire le drame qui s’était déroulé et les mots implacables de celui qui avait affirmé : Je me suicide à cause de mon travail. A cause de. Origine, fondement, raison, motif. Retour brutal aux mots sauvages.Les avis de Cathulu, Aifelle, Antigone et Gwen (merci de me l’avoir expédié !).Un livre lu grâce à Dialogues Croisés.