Le développement de l’A350XWB suit son cours, tranquillement.
Didier Evrard, directeur du programme Airbus A350XWB, porte sur ses épaules de trčs lourdes responsabilités. Le nouveau biréacteur européen, riposte au Boeing 787, conditionne en effet la bonne tenue des Européens dans un secteur vital du marché mondial des avions commerciaux, et cela pour les 20 ou 30 années ŕ venir.
Au cœur d’une actualité nerveuse, oů des moteurs explosent en vol, des circuits électriques prennent feu, également marquée par de coűteux retards et les menaces concurrentielles brandies par de nouveaux venus comme les Russes et les Chinois, Didier Evrard apparaît comme un personnage pour le moins déroutant. Il affiche un grand sourire, ne se départit jamais d’un calme olympien et semble ignorer superbement la nervosité ambiante. A l’écouter, mettre au point un nouvel avion qui exige un investissement de plus de 10 milliards d’euros serait presque une affaire simple, qui suivrait son cours le plus naturellement du monde.
Le microcosme bruisse-t-il de rumeurs relatives ŕ un retard soigneusement dissimulé ? Il répond, toujours souriant, que le premier A350XWB entrera bien en service au cours du second semestre de 2013. Tout au plus concčde-t-il que le calendrier est tendu, que la durée des essais en vol a dű ętre ramenée de 15 ŕ 12 mois. Un détail, semble-t-il.
Ici et lŕ, une touche d’humour au second degré se glisse entre deux précisions techniques. Invité ŕ prendre la parole (un fait rare) lors de la séance solennelle annuelle de l’Académie de l’air et de l’espace, Didier Evrard a dit le plus sérieusement du monde qu’il s’agit de développer, produire et livrer dans les délais le nouvel avion … Ťsous la pression permanente des journalistesť. Quel honneur pour ces derniers d’entendre cela ! Et il faut incontestablement ętre trčs sűr de soi pour se permettre une telle remarque, devant un noble aréopage, dans la resplendissante salle des Illustres du Capitole de Toulouse.
D’ores et déjŕ, le XWB apparaît comme une belle saga industrielle. Il a permis d’effacer une erreur stratégique d’Airbus, celle de tenter de contrer le 787 avec un A330 modernisé. Ce dernier n’avait aucun cas besoin d’un traitement cosmétique (il continue de se vendre remarquablement bien) mais, tout au contraire, seul un appareil entičrement nouveau pouvait répondre ŕ la nouvelle menace venue de Seattle. Ainsi naquit, avec retard, l’A350XWB (Extra Wide Body), appellation curieuse du long-courrier tout composite décliné en trois versions, de 276 ŕ 369 sičges, propulsé par des Rolls-Royce Trent (Airbus a vainement attendu la candidature de General Electric).
Un million de mčtres carrés d’usines sont sortis de terre, 51 grands fournisseurs ont été choisis, l’opération occupera bientôt entre 20.000 et 25.000 personnes. A ce jour, non moins de 573 exemplaires ont déjŕ été commandés sur catalogue par 35 clients et, surtout, les leçons d’errements récents ont été tirées sans concession. Le lancement industriel chaotique de l’A380 aura au moins servi ŕ cela, préparer avec soin, dans des limites réalistes, la personnalisation des avions (Ťcustomisationť en eurosprechen airbusien). Plus question, donc, de s’égarer dans une infinité d’options et de perdre son âme dans un dangereux océan de câblages.
Entre-temps, le retard affiché par le XWB par rapport ŕ son concurrent américain a été partiellement comblé, tout simplement parce que l’équipe adverse a accumulé les difficultés. Les Européens, eux, sont dans les temps, ŕ quelques semaines prčs, une exception notable dont personne n’ose encore se réjouir ouvertement.
Un bonheur n’arrivant jamais seul, le nouvel appareil européen met Boeing beaucoup plus dans l’embarras qu’il n’y paraît ŕ premičre vue. En effet, la version allongée A350-1000, livrable ŕ partir de 2015, d’une capacité de 369 places, se pose en redoutable adversaire du Boeing 777-300ER. Ce dernier pourrait ne pas résister ŕ l’arrivée du nouveau venu, porteur d’une véritable rupture technologique. D’oů l’hypothčse du développement d’un nouveau Boeing qui n’était pas prévu avant longtemps. En d’autres termes, la concurrence est bel et bien source d’émulation, ŕ la satisfaction d’ŕ peu prčs tout le monde, directeurs financiers et actionnaires mis ŕ part.
Sans doute cette situation dynamique amuse-t-elle Didier Evrard. D’autant que, précédemment, il officiait chez MBDA, dans les tréfonds du complexe militaro-industriel. Ici, les rebondissements sont plus nombreux, moins discrets. De lŕ, peut-ętre, le sourire d’un directeur de programme heureux.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(Photo: Daniel Faget)