http://www.humanite.fr/26_11_2010-la-loi-bachelot-privatise-lhosto-458697
Rentabilité à tous crins et concentration des pouvoirs, un an et demi après l’adoption de la loi qui voit se dresser contre elle l’essentiel de la communauté hospitalière, un premier bilan, lourd et éloquent. Décryptage.
D’ici à 2011, le gouvernement devrait faire un bilan d’étape de la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires), dite « loi Bachelot ». D’ores et déjà, un an et demi après son adoption, malgré les protestations quasiment unanimes de la communauté médicale, force est de constater que le dessein de la loi est en passe d’être atteint : rentabilité maximale et hôpital-entreprise demeurent les maîtres mots de la loi, à savoir donner à l’hôpital public un fonctionnement inspiré du privé et, au-delà, transférer à ce dernier, une partie de ses missions. Dans les faits, le gouvernement est bel et bien parvenu à gommer les différences entre l’hôpital public et les cliniques privées.
On pousse de plus en plus les patients à s’adresser au secteur privé
Des établissements privés commerciaux se sont vu confier des missions de service public ; des dispositions ont légitimé la suppression ou la privatisation de services ou d’activités non rentables. Ce qui, dans le domaine des soins, pousse de plus en plus de patients à s’adresser au privé, sans garantie de tarifs opposables. Et comme on le craignait, la loi Bachelot a renforcé l’évolution du management dans le sens d’un hôpital géré comme une entreprise, tout comme elle a fait des agences régionales de santé des instances de centralisation du pouvoir. Alors, certes, la tentative de liquidation du service public hospitalier a commencé, mais elle se heurte à des hommes et des femmes qui résistent à leur niveau.
Partenariat ou privatisation de l’hôpital public ?
Le gouvernement l’a écrit dans les tablettes : la permanence des soins hospitaliers ne peut plus rester l’apanage des seuls établissements de santé. Celle-ci doit s’organiser en fonction des besoins de la population du territoire de santé. Il est ainsi proposé que l’ensemble des missions de service public puissent être assurées par tous les établissements de santé, quel que soit leur statut. En témoigne le futur pôle de santé public-privé d’Arcachon (Gironde), qui sera effectif à l’horizon 2012. Il s’agit d’un groupement d’intérêt économique (GIE), rendu possible par la loi HPST, qui réunira, sur un même site, l’hôpital public et la clinique d’Arcachon, déjà liés par une convention. En contrepartie de la maternité de la clinique, l’hôpital a dû céder à celui-ci plusieurs spécialités : ophtalmologie, ORL, stomatologie. Ce qui permet au privé de récupérer des activités lucratives. Au passage, la radiologie sera privatisée et d’autres services verront leur activité restreinte, comme la pédiatrie et la réanimation. Autre exemple, même finalité : pour construire un pôle femmes-enfants-hématologie, le CHU de Caen a fait appel, en s’appuyant sur un PPP (partenariat public-privé), à un consortium privé, comprenant la banque ABN Amro et Bouygues. C’est bien évidemment le privé qui est propriétaire des terrains et des bâtiments, et qui les loue au CHU, moyennant un bail de longue durée. En perspective, une belle plus-value. À plus petite échelle, l’hôpital de Valenciennes va dans le même sens. La direction a entrepris de privatiser le service de bionettoyage des chambres. « C’est une première étape », analyse Didier Wilcot, délégué CGT de l’établissement, qui s’inquiète de la propension de la direction à « vouloir déléguer au privé toutes les fonctions pas directement liées aux soins, comme la cuisine ou la logistique ». Et de citer le projet de « regrouper la logistique avec d’autres établissements pour l’instant publics, mais qui sait, peut-être privés demain ? » Tous les syndicats le craignent : avec les procédures simplifiées de coopération public-privé, tout ce qui est rentable risque d’être transféré au privé.
Rentabilité à tous crins
Le centre hospitalier intercommunal Toulon-La Seyne-sur-Mer a signé, début novembre, un contrat « performance » avec l’ARS Paca. Il est question de « dégager les ressources nécessaires pour assurer l’équilibre financer », « améliorer la performance des processus cliniques », « réduire le déficit de certains pôles » ou encore « redynamiser l’activité médicale ». Voilà un exemple qui concrétise les orientations de la loi HPST, qui place la performance au cœur des politiques publiques pour répondre aux déficits du système de santé.
Des regroupements synonymes de menaces
D’après la loi, les regroupements d’établissements de santé sont censés « mieux répondre aux besoins des populations d’un territoire en favorisant une plus grande souplesse d’organisation et de gestion ». Les établissements peuvent ainsi prévoir de « modifier la répartition de leurs activités ». Entendez suppression d’activité probable, voire fermeture, pour de nombreux hôpitaux locaux. Après celui de l’hôpital Trousseau, l’exemple de Béclère, en Île-de-France, montre l’intérêt de se battre contre ces menaces. À la suite de vigoureuses protestations et d’un mouvement de grève du personnel non médical, la communauté soignante et non soignante a réussi à faire reconnaître par l’administration sa spécificité au sein de son groupe hospitalier. Elle se traduit par un protocole qui garantira à l’hôpital Béclère un certain degré d’autonomie au sein de son groupe hospitalier et la proximité nécessaire à un meilleur fonctionnement local. Ainsi, un directeur financier à plein temps a été nommé à l’hôpital, il prépare, avec le directeur et le représentant de la communauté médicale, le budget et le tableau des effectifs, « identifiés au niveau de l’hôpital avant la négociation avec le groupe hospitalier de l’AP-HP ». Autre exemple : l’annonce, début septembre, du regroupement des urgences de nuit d’Île-de-France dans un seul hôpital par département participe de cette même menace. Ce qui se profile, c’est un hôpital tête de pont par département avec, autour, des hôpitaux filialisés, où il ne restera plus qu’un peu de médecine.
Un super « patron » d’hôpital
Le pilotage des hôpitaux publics doit être facilité par le renforcement des pouvoirs et de l’autonomie du chef d’établissement. En tant que président du directoire, celui-ci se voit confier la pleine responsabilité de l’établissement de santé. Le cas du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen (Calvados) illustre bien cette nouvelle orientation. Et surtout, les dérives qui en découlent. Nommé il y a un an par Roselyne Bachelot, Angel Piguemal a pris les commandes de ce paquebot avec une mission : celle de redresser les finances de l’établissement, qui a affiché, en 2009, le plus gros déficit hospitalier cumulé de France après ceux de Paris et Marseille, à 67 millions d’euros. Et l’homme n’y est pas allé par quatre chemins : 200 postes supprimés en 2010, soit 400 d’ici à 2012. Le problème, c’est que « les décisions sont prises sans concertation », déplore Jean-Louis Vigne, délégué Unsa et porte-parole de l’intersyndicale. Et d’évoquer des « consultations externes non payées car il n’y a plus de personnel pour accueillir et faire payer les patients », ce qui a pour conséquence de faire perdre des recettes à l’établissement. « La direction nous informe des suppressions de postes au dernier moment », renchérit Philippe Saint-Clair, de la CGT. « Le directeur réduit les effectifs de soins sans modifier le contenu du travail. Il décide tout seul », dénonce l’intersyndicale, parlant de « directeur tout puissant ». Cette situation a d’ailleurs poussé les syndicats à la grève le 16 novembre dernier.
Des ARS aux superpouvoirs
Les inquiétudes se confirment : les agences régionales de santé (ARS) concentrent tous les pouvoirs. Un exemple : désormais, ce sont les ARS qui réglementent les créations de lits en Ehpad (maison de retraite médicalisée). « Auparavant, expose Jean-Paul Tripogney, président de l’Unsa retraités, les établissements qui souhaitaient ouvrir des lits faisaient une requête auprès du conseil général et de la Drass. Aujourd’hui, il faut attendre que l’ARS définisse au niveau régional le nombre de places qu’elle juge nécessaire et fasse un appel d’offres. Qui plus est, la lourdeur de cette nouvelle structure fait que tous les projets sont bloqués. » De fait, les ARS sont absorbées par leur organisation interne : leur tâche est complexe car elles sont en train de fusionner sept administrations. Faute d’interlocuteurs, la mise en place des ARS a conduit, dans certaines régions, à des situations oscillant entre immobilisme et chaos.
Précarisation des médecins
Le « clinicien hospitalier » nouveau est arrivé ! Ce contrat, censé renforcer l’attractivité de l’hôpital public, a été défini dans un décret et un arrêté parus au Journal officiel du 16 octobre dernier. Côté rémunération, ce qui est proposé est un statut « tout compris » (garde incluse, pas de RTT, protection sociale minimale), avec une part fixe et une part variable de rémunération liée à l’activité. Le « contrat de la honte », dénonce le syndicat des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs (SNPHAR-E). Ce statut est surtout une mauvaise réponse à un vrai problème : la fuite des médecins de l’hôpital public.
Démographie médicale en berne
La loi Bachelot avait pour objectifs de combler les inégalités d’accès et de favoriser l’installation de jeunes médecins. Force est de constater que c’est raté. Même l’UMP Alain Million, rapporteur au Sénat du projet de loi HPST en 2009, a reconnu l’impuissance du gouvernement sur les installations de médecins généralistes dans les zones à faible densité médicale. Un constat confirmé par l’Atlas de la démographie médicale, présenté en début de semaine par le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom). On y apprend sans surprise que le mode d’exercice libéral de la profession fait de moins en moins d’adeptes. « Alors que, dans les années 1980, un médecin sur deux choisissait un exercice libéral, à ce jour, ils ne sont plus qu’un sur dix », note le Cnom. Et si, dans l’absolu, on compte 324 médecins pour 100 000 habitants, certaines régions en sont bien loin. Dans le bas du tableau, on trouve ainsi la Picardie (239 médecins), la région Centre (244 médecins) et la Haute-Normandie (248 médecins).
L’opaque transparence des industriels pharmaceutiques
La nouvelle obligation de déclaration des dons des industriels de santé aux associations de santé devait marquer une étape importante dans la transparence d’associations qui jouent un rôle croissant dans le système de santé. Fin octobre, la haute autorité de santé (HAS) a publié le montant des « aides de toute nature » que les firmes pharmaceutiques ont octroyées dans ce cadre. Le constat montre que les firmes refusent très clairement le jeu de la transparence. En effet, seulement 81 des 900 entreprises françaises de santé se sont pliées à cette déclaration. 90 % ne l’ont pas effectuée. « Le faible respect des obligations existantes permet de mesurer la distance qui sépare les actes des intentions affichées », déplore le Formindep, association de formation et d’information médicale indépendante. Les financements publiés (5,1 millions d’euros) occultent donc une large part des sommes réellement versées.
Alexandra Chaignon