Cette marque parisienne s'est faite remarquer par la rigueur de ses coupes et la qualité de ses matières pour un vestiaire masculin à la fois classique et moderne. La boutique de la rue de Saintonge au coeur du Haut Marais en est l'écrin parfait: vieilles tapisseries, canapés en cuir, boiseries patinées et livres de Platon. J'ai rencontré son co-fondateur Mathieu de Menonville pour un entretien qui parle de vieille catin, de philosophie du style et de stratégie de développement...
Peux tu nous raconter comme est né Melinda Gloss ?
C’était en 2007, j’étais étudiant en philosophie à Shanghai avec Rémi. On s’est demandé ce qu’on voulait faire ensuite et on s’est rendu compte qu’on ne voulait pas devenir prof de philo. On a toujours bien aimé les fringues alors on s’est alors lancé le défi de créer notre propre marque à notre retour en France. C’est vraiment parti sur un coup de tête. On a présenté notre première collection au Tranoï en janvier 2008 avec de bons échos.
Qui est Melinda Gloss ?
Melinda Gloss est une muse. On cherchait un nom de marque et c’était le surnom d’une fille qu’on connaissait. On aimait bien l’idée d’avoir un côté un peu vulgaire dans la marque, cela fait vieille catin. C’est parti d’une blague puis on est resté là dessus.
Quelle est la philosophie de Melinda Gloss ?
Elle vient d’une certaine image de la mode. On cherche la justesse plus qu’une identification très forte, la justesse des coupes, des matières, les bons rapports, les bonnes alliances. On ne cherche pas à révolutionner la mode.
On a développé un vestiaire complet pour l’homme : manteaux, mailles, chemises, costumes... On va ajouter à cela les accessoires notamment des chaussures en cobranding avec un petit bottier de Portofino et bientôt de la petite maroquinerie.
Qui achète vos produits ?
On s’est beaucoup développé en multimarques sur les salons Piti Uomo et Tranoï. On travaille avec le Bon Marché ou Merci qu’on apprécie beaucoup. Ils ont une excellente sélection d’homme. On marche bien chez eux. On a aussi Opening Ceremony qui est notre agent à New York. Ils sont un peu plus pointus que nous dans l’ensemble, mais ils sont très sympas. On est au Landmark Plaza à Hong Kong, on avance nos pions au Japon…
Et vous avez ouvert votre boutique…
Si tu es ultra pointu, tu peux te développer quasiment que en multimarque en touchant deux ou trois points de vente par pays. A la limite, on est trop classique pour certains multimarques. Tu ne vas pas nous trouver chez Colette ou à l’Eclaireur.
En septembre 2009, on voulait avoir un endroit pour notre collection. On a fait un appartement store ouvert uniquement sur rendez vous. Le bouche à oreille a très bien marché. Cela a permis de trouver les financements pour ouvrir la boutique rue de Saintonge et d’avoir une première clientèle qui nous suive.
Comment marche la boutique ?
Pour le moment, c’est bien. Financièrement une boutique, cela met un an pour que cela rapporte quelque chose. La bonne nouvelle, c’est que dès le début, elle s’équilibre tranquillement. Surtout, il y a une vraie atmosphère de marque. On avait envie d’avoir un lieu qui nous permet de renforcer notre image. On a été bercé par Nietzsche et Platon, on aime bien mettre des vieux bouquins pour donner un peu de personnalité à l’endroit.
Est-ce que le trafic de la rue de Saintonge est suffisamment bon pour faire vivre une boutique ?
C’est une boutique destination mais qui reste dans un quartier shopping. Tu as Isabel Marant qui est la locomotive de la rue. Le Marais est en train de migrer au fur et à mesure vers le Nord.
Il y a toujours un dilemme dans le Haut Marais entre la rue de Saintonge et la rue Charlot...
La rue Charlot est le gros point d’interrogation du quartier. Je ne voulais pas y être… C’est un peu le miroir aux alouettes, il y a pas mal de petites boutiques mais pas de locomotive. Ici, on bénéficie d’un trafic de quartier et des clients qui vont chez April 77, Isabel Marant ou vers la rue de Turenne.
Comment se passe le développement de la marque actuellement ?
C’est cette année que cela décolle vraiment. La première année était encourageante mais financièrement difficile. La 2e année, cela s’est redressé mais c’est vraiment la 3e année qui est la plus intéressante.
C’est l’impact de la boutique ?
C’est encore trop tôt pour le dire. Il y a 3 jours, un gros distributeur japonais m’a envoyé un email parce qu’il nous avait trouvé grâce à la boutique. On sait qu’il y a un impact, mais on s’en rendra vraiment compte lors de la prochaine fashion week homme en janvier prochain. La boutique donne de la crédibilité vis-à-vis des détaillants car ils savent qu’on connait les clients et qu’on est confronté aux mêmes problématiques qu’eux. C’est un signe de viabilité des produits.
La boutique est justement une vraie problématique pour les créateurs. Vendre en wholesale ou retail, la question se pose toujours à un moment du développement…
Ce sont deux logiques très différentes dans la manière de fonctionner. L’un ou l’autre indépendamment ne sont pas si lourds que ça à mettre en place, mais l’un plus l’autre il y a vraiment une synergie. Mais pour beaucoup de créateurs, la boutique est compliquée, cela implique d’avoir quelqu’un pour la gérer, de rentrer dans une logique de stock, c’est forcément plus lourd.
Où faites vous la production ?
La production se fait en France et en Italie. On s’est rendu compte qu’on perdait beaucoup de temps et pas mal de sous à faire un peu plus loin. Parfois la qualité est très bonne à l’étranger, même en Chine. Mais sur des petites séries, amortir le coût d’un billet d’avion ou les problèmes de production, de communication, cela pèse lourd en temps et en coût. Et bien sûr le Made In rassure le consommateur à juste titre.
C’est aussi un argument de vente…
Pour un client Wholesale, c’est forcément un argument de ventes. Ils ne connaissent pas la marque donc ils veulent savoir si la qualité va venir. La qualité est souvent un problème de fond chez chez les créateurs donc la question est légitime.
Pour un jeune créateur, est-ce qu’il est plus facile de se développer en France ou à l’étranger ?
C’est une grande problématique, cela dépend vraiment des marques. Les marques très pointues marchent très bien à l’export, mais les marques classiques marchent bien en France. Tout le monde a jeté la pierre au marché français. Là encore, c’est à nuancer. Il faut voir qu’il n’y a pas que Paris. On fait une bonne partie de notre chiffre en France. On est facilement compris ici. On est plus facilement en contact avec les acheteurs. Le multimarque étranger veut le pointu en permanence, il surfe sur des vagues, il te prend, il te jette. Le multimarque français surtout en province va travailler sa clientèle sur ta marque. Il va être méfiant au début parce qu’il ne veut surtout pas te prendre pour te dégager 2 ans après, mais le turnover est faible. Quand il te fait rentrer, il te garde. Et aussi on a vu pendant la crise que le marché français résiste beaucoup mieux que celui étranger.
Le marché de l’homme est aussi un marché porteur par rapport à la femme…
Avec la femme, tu vas plus vite parce que le marché est beaucoup plus mûr, mais il y a une offre qui est beaucoup plus large que le marché de l’homme et l’achat est plus impulsif. Tu conquières des points de ventes plus facilement mais tu te fais jeter aussi vite.
Un homme qui trouve un costume qui lui va, il devient ton client pour 10 ans. L’homme connait une croissance beaucoup plus forte que le marché de la femme, même si le marché est beaucoup plus petit. Aussi, chez l’homme il reste pas mal de niches à prendre entre les marques grands publics et le luxe, là où s’est placé Sandro par exemple. Aujourd’hui, avec un positionnement prix un peu au dessus de Sandro, il n’y a pas grand-chose.
Si tu pouvais changer quelque chose à posteriori à votre développement, tu ferais quoi ?
J’aurais mis plus d’emphase sur la communication dès le départ. On n’avait pas l’argent ou le temps de le faire, donc cela nous a un peu freiné.
Tu as des clients connus ?
Je ne sais pas si je peux le dire, mais Zidane nous aime bien…
Les prochains projets pour Melinda Gloss ?
On va continuer à mettre l’accent sur la boutique et on va s’attaquer au web l’année prochaine avec le lancement d’un eshop pour l’été prochain.
Merci Mathieu !!
Plus d'info: www.melindagloss.com