250 000 documents confidentiels balancés sur la Toile, pour la diplomatie d’un pays, ça pique. Quand on apprend que les Américains en savent plus sur les secrets de la politique allemande que les politiciens allemands eux-mêmes, ça surprend. Quant à ce que les diplomates américains rapportent de la diplomatie arabe sur l’Iran (plus ou moins assimilé à une pieuvre, un serpent dont il faut couper la tête)… On imagine qu’à Washington, on est en train de se dire « les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. »
En tout cas, internationalement, silence radio. Il faut dire qu’il y a de quoi être pétrifié. Ce n’est pas tous les jours que votre principal allié se fait torpiller.
A Wikileaks par contre, on doit commencer à se chercher de bonnes assurances-vie… M’est avis qu’au Pentagone, on trouve que la plaisanterie a assez duré. Car si ces divulgations ne changeront pas la face du monde (encore que… c’est à débattre), les quelques observateurs politiques qui ont déjà commenté l’événement affirment déjà que les Etats-Unis « ne sortiront pas indemnes d’une telle opération ». Pour Jean-Dominique Merchet, directeur adjoint de la rédaction de Marianne, spécialiste des questions de défense et interviewé par Owni.fr (partenaire de Wikileaks), « les diplomates du monde entier vont être réticents à partager des informations avec le pays, redoutant de les voir sur Internet dans les six mois qui suivent. Une chose est sûre : Wikileaks affaiblit les Etats-Unis politiquement. »
L’anarchie 2.0
C’est peut-être un événement, une première historique : un simple site Internet fait trembler l’une des puissances stratégiques mondiales. Impensable il y a 10 ans. Plus que le fait d’un seul type qui a balancé des milliers de documents, c’est bien Internet lui-même le responsable. Plus de frontières, plus de secrets : après tout, après les potins des stars, pourquoi pas les secrets-défense ? Mais qui accuser alors ? Il y aurait certes ce soldat de 23 ans, qui a tout balancé à Wikileaks « en téléchargeant les documents tout en écoutant du Lady Gaga », qu’on aurait un peu envie de claquer, et qui surtout, paraît trop con pour être vrai. Là non plus, on ne nous dit pas tout. Un petit pilotage obscur ? Le vrai problème pour les diplomates, c’est qu’avec Internet, il n’y a même plus d’ennemi à abattre.
Malin, Wikileaks n’est évidemment pas hébergé aux Etats-Unis. Depuis août 2010, le parti Pirate suédois a offert de les héberger gracieusement. Ce parti anarchiste prône « un Internet libre, sans aucune licence, dans une société ouverte. La liberté de communication est l'une des bases des droits de l'homme et fait partie de la Convention européenne des droits de l'homme. Les nouvelles technologies sont quelque chose de fantastique que nous devons encourager, et non entraver en mettant en prison les gens qui fournissent des infrastructures. Les politiciens ne pourront jamais mettre un terme à l'échange de fichiers mais ils peuvent causer des dommages à Internet et aux gens qui œuvrent pour le développer. » Ces mêmes pirates ont été par exemple à l’œuvre avec Pirate Bay pour le téléchargement.
Wikileaks bénéficie de cryptages à la pointe pour assurer la confidentialité de ses sources, et à terme, espère devenir l’organe d’information le plus puissant au monde. Fantasme ou début de réalité depuis le 28 novembre à 17h ?
Sauf que… Quelles conséquences cela peut-il avoir, pour les Etats cités dans ces 250 000 télégrammes, de savoir ce que les uns et les autres pensent de chacun, et surtout, que le monde entier le sache ! Si le fondement de la diplomatie est d’être secrète, quid de la disparition du secret ? Quelles seront les implications politiques et diplomatiques à court et moyen terme ? Voir sur un même front commun contre l’Iran Israël (évidemment), mais aussi l’Arabie Saoudite, les Emirats, la Jordanie, l’Egypte… à peu près la totalité du Moyen-Orient liguée contre le grand Sauron, cela dessinerait-il à gros traits une future coalition ? Brrr…
Entre autres réjouissances pour l'avenir, on apprend tout de même que l'Iran a acquis des missiles auprès de la Corée du Nord, qui pourraient attendre l'Europe de l'Ouest, et que les Etats-Unis ne savent strictement rien de l'Iran, où ils n'ont aucun informateur fiable.
Une chose est sûre : les Etats-Unis vont très vite se sentir bien seuls. Leur siècle de domination s’est bel et bien achevé un 11 septembre 2001…