Frיdיric Beigbeder : Pourquoi je lis.
Photo Abaca. Dontmiss.fr
Dans sa chronique du magazine "Lire"octobre 2010, qu'il intitule "Mauvaise foi. Pourquoi je lis ?" Frédéric Beigbeder articule sa plume autour du livre de Charles Dantzig qui se pose la question du pourquoi de la lecture.
Intriguée par la pensée - plutôt, réponse instinctive - de "Beigbé", j'ai parcouru ces lignes, en me posant à mon tour cette question. Si mes réponses rejoignent pour la plupart celles du chroniqueur, il n'en demeure pas moins qu'il paraît que "Fred" ait omis d'en évoquer une, pourtant, essentielle : savourer, non seulement le contenu d'un texte, mais surtout la manière dont il est enrobé : le style. Certains écrivains sont de tels orfèvres qu'à lire leurs lignes, les genoux en fléchissent.
Voici sa chronique que je vous retranscris dans son intégralité :
"Dans un petit livre bleu, Charles Dantzig se demande "pourquoi lire ?" et répond joliment : "Nous lisons parce que ça ne sert à rien." Il ne le pense pas vraiment, c'est de la provoc, qui est la forme bruyante de la timidité.
"Presque tout ce que j'ai appris de bien, je l'ai appris par les livres." C'est un pamphlet tranquille, un livre de combat paisible. Le livre papier est attaqué : c'est mon antienne. Mao aussi en voulait aux tigres en papier.
Bienvenue au club des fauves fragiles, Charles. Nous vaincrons parce que nous sommes les moins forts. Ton essai est une ode inquiète à la solitude, au temps perdu, à la glande, à la joie, à l'autre vie, celle qui est mieux que la vraie, celle qui se cache dans les bibliothèques, les librairies, chez les bouquinistes des quais de la Seine ou sur votre table de chevet. Pourquoi lire ? devrait-être lu à haute voix dans les lycées: c'est une lecture moins plombante que la lettre d'adieu de Guy Môquet. Dans un magazine titré comme le nôtre, comment ne pas se sentir visé par l'inquiétude de Dantzig : pourquoi Lire ?
Un tel journal a-t-il encore un sens aujourd'hui ? J'ai décidé de faire une petite liste car je sais que ce garçon les affectionne. Parce que moi non plus, je ne sais pas bien pourquoi je lis. Parfois j'ai besoin de le savoir, pour me rassurer. On sent bien qu'elle n'est pas tout à fait normale, cette activité. Alors voilà :
Je lis parce que la vie ne me suffit pas (comme disait Pessoa).
Je lis pour m'empêcher de dire des bêtises aux femmes.
Je lis pour ne pas regarder Secret Story.
Je lis pour être ailleurs.
Je lis pour devenir toi.
Je lis parce que c'est la seule activité au monde qui permette d'être à la fois seul et accompagné.
Je lis pour déménager dans la tête de Montaigne.
Je lis pour que Flaubert me parle de la mélancolie des paquebots.
Je lis comme Gide écrit Paludes : pour que d'autres m'expliquent pourquoi je lis.
Voilà : je lis pour que Montaigne, Flaubert et Gide m'apprennent qui je suis.
Je lis parce que c'est une chance d'avoir des interlocuteurs aussi âgés : Montaigne 477 ans, Flaubert 189 ans, Gide 141 ans.
Je lis pour écouter les morts.
Je lis pour que Frédéric Berthet me dise ceci : "J'ai des souvenirs comme un défilé de mode, une mémoire comme un soir de cocktail je n'évolue jamais dans ma chronologie sans avoir un verre la main. Se souvenir, c'est comme sortir."
Je lis pour que Berthet m'explique pourquoi je fais la fête.
Je lis pour sortir, sans sortir.
Mais je lis aussi pour entendre les vivants.
Je lis pour que Pierre Ducrozet commence son premier roman par ces deux phrases : "J'en étais alors à me regarder pousser les cheveux. Le soleil commençait à m'emmerder sérieusement, et la pluie aussi."
Je lis parce que Mathieu Terence défend le mot "pénombre".
Je lis parce que Mathieu Terence, comme Charles Dantzig, comme Sartre avec Les mots, a lui aussi ressenti le besoin de bâtir son panthéon de lecteur, parce que des mecs de trente ou quarante ans continuent de croire que lire mérite le détour en 2010, et que ce choix bizarre est un choix de résistant.
Je lis pour ne pas vieillir.
Je lis pour échapper à la société autant qu'à moi-même.
Je lis pour être libre.
Je lis pour ne pas être dérangé.
Je lis pour ne pas répondre au téléphone.
Je lis pour ne plus être ici mais là-bas.
Je lis sans raison.
Je lis pour lire.
"Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout." André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924.
"
Et vous ?
Savina de Jamblinne.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 16 décembre à 00:10
Je lis car je n'ai pas le choix.